Netflix vient de franchir le cap des 100 millions d’abonnés dans le monde. Comment ce service de location de DVD fondé à la fin des années 1990 a-t-il réussi à s’imposer comme un géant mondial de l’industrie culturelle en moins de 20 ans ? Retour sur une entreprise de la tech qui a su prendre avec succès le virage du streaming.

En 2018, Netflix aura une raison supplémentaire de célébrer triomphalement son 20e anniversaire : l’entreprise vient en effet de franchir le cap des 100 millions d’abonnés, signe du succès croissant de son service de streaming vidéo prisé dans le monde entier.

Mais comment cette simple startup de location de DVD par voie postale est-elle parvenue à devenir un géant de l’industrie culturelle, capable aujourd’hui de faire trembler le festival de Cannes ?

Retour sur l’histoire de Netflix — et de son co-fondateur et patron, Reed Hastings –, faite d’innovations cruciales et d’une capacité d’adaptation aux nouveaux usages de consommation.

Pure, l’expérience formatrice de Reed Hastings

Reed Hastings, natif de Boston, dans le Massachusetts, mettra de longues années avant de succomber à l’appel de la Californie. Au Bowdoin College (dans le Maine), le jeune homme né en 1960 étudie les mathématiques et consacre l’essentiel de son temps libre à ses deux passions, l’escalade et le canoë-kayak.

Après deux années passées à l’étranger au sein du Corps de la paix — un service de volontariat pour aider les populations de pays émergents et leur faire découvrir la culture américaine –, il revient aux États-Unis pour étudier l’informatique à Stanford : c’est ainsi fait ses premiers pas dans la Silicon Valley.

Capture d'écran CBS

Capture d’écran CBS

Au début des années 1990, l’ingénieur de 31 ans se lance dans sa première aventure entrepreneuriale avec Pure Software, une startup qui propose un outil de débugage aux développeurs. Les revenus de Pure se multiplient d’année en année, signe du succès rencontré, mais Reed Hastings peine pour sa part à gérer son équipe grandissante : « L’entreprise est passée de 10 à 40 salariés, puis de 120 à 320, jusqu’à 640. J’étais clairement sous l’eau. »

L’entrepreneur recourt à une analogie sur sa passion pour expliquer son erreur de l’époque : « En kayak, si vous fixez le problème et restez concentré dessus, vous avez plus de risques de vous retrouver en danger. Je me suis concentré sur l’eau calme et ce que je voulais voir arriver, je n’ai pas écouté les sceptiques. »

De fait, Reed Hastings finit par demander au conseil d’administration de le remplacer, mais son souhait n’est pas exaucé. Après sa fusion avec la société Atria, Pure Atria est finalement revendu à Rational Software pour 750 millions de dollars : Hastings quitte l’entreprise peu après cette acquisition.

Netflix, parti pour « devenir le Amazon de quelque chose »

En août 1997, Reed Hastings utilise une partie de la somme obtenue grâce au rachat de Pure Atria pour fonder une nouvelle startup, Netflix, avec Marc Randolph, un ancien salarié d’Atria.

Mais comment est réellement né le concept originel du service de location DVD ? L’histoire popularisée par Reed Hastings n’est en fait qu’une anecdote qui sonne bien mais ne dévoile pas la véritable origine du service.

L’actuel patron de Netflix aime en effet raconter que le concept initial lui est venu après une expérience malheureuse avec la chaîne de location vidéo Blockbuster : « J’avais une pénalité de retard pour [le film] Apollo 13. J’avais 6 semaines de retard et je devais 40 dollars au magasin, parce que j’avais perdu la cassette, c’était ma faute. Je ne voulais pas en parler à ma femme et je me suis dit : ‘Je vais compromettre l’intégrité de mon mariage à cause d’une pénalité de retard ?’. »

Reed Hastings conclut son récit bien huilé en ces termes : « Plus tard, sur le trajet vers la salle de sport, j’ai réalisé qu’elle avait un bien meilleur modèle économique. Vous pouviez payer 30 ou 40 dollars par mois et vous exercer autant ou aussi peu que vous le souhaitiez. »

Une « fiction pratique »

Si l’anecdote est typique de celles bien connues de plusieurs success stories du monde de la tech, Marc Randolph, co-fondateur de Netflix, la considère plutôt comme une « fiction pratique » qui présente l’avantage de résumer le principe fondateur de l’entreprise, quitte à raccourcir la réalité — et à taire son propre rôle dans la startup.

En réalité, Netflix a émergé d’une idée conjointe de Reed Hastings et de Marc Randolph. Les deux hommes sont sur la même longueur d’ondes : avant le rachat de Pure Atria, ils passent des mois, chaque soir en rentrant du travail, à discuter de leur projet commun. Leur objectif est simple. Ils veulent  devenir « l’Amazon de quelque chose » à cette époque d’émergence du e-commerce.

Le format DVD s’impose dans leur esprit comme un produit populaire et transmissible par courrier contrairement à la VHS, trop encombrante. À défaut de pouvoir mettre la main sur un DVD — la technologie étant encore émergente — leur premier envoi test à l’adresse de Reed Hastings se fait avec un CD : Netflix est né.

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19,95 $ par mois pour une location illimitée de DVD

Le service est officiellement lancé en avril 1998, avec un concept similaire à celui de son grand rival dominant, Blockbuster : les 925 DVD disponibles à la location — dont de nombreux animés — par envoi postal sont aussi soumis à des dates de rendu et à d’éventuelles pénalités de retard.

Il faudra attendre septembre 1999 pour que Netflix lance l’abonnement mensuel qui lui permet de décoller. Pour 19, 95 dollars par mois, les clients du service peuvent recevoir autant de films qu’ils le veulent par mois à condition de ne pas en louer plus de trois à la fois.

Une fois qu’ils ont visionné leur film, ils le renvoient à Netflix dans une enveloppe pré-payée et ils reçoivent ainsi, quelques jours plus tard, leur DVD suivant… Le concept décolle d’autant plus que la location « traditionnelle » en magasin physique s’avère souvent compliquée, entre la nécessité de se rendre sur place et la frustration récurrente de ne pas trouver le titre recherché parce qu’un autre client l’a déjà loué.

2000 : l’algorithme qui change la donne

Ce système bien établi s’enrichit d’un ajout crucial en 2000 : les spectateurs peuvent désormais être conseillés sur leur prochaine location grâce aux recommandations prodiguées par site de Netflix. Elles sont d’autant plus pertinentes qu’elles s’inspirent de l’historique personnel des clients.

Plus que le service de location à distance, c’est ce système de recommandation unique en son genre — au fonctionnement jalousement gardé — qui est convoité de près par les géants de la location comme Blockbuster, de plus en plus inquiets face à cette startup qui monte. Blockbuster peut d’ailleurs se mordre les doigts de ne pas avoir racheté Netflix au moment où la startup lui proposait d’être rachetée pour 50 millions de dollars, en l’an 2000.

Dès cette époque, Hastings se penche de près sur un moyen de rendre les films accessibles aux clients via Internet. Les limitations techniques et financières — Netflix doit dépenser 10 $ en bande passante pour mettre en ligne un unique film au bout de 16 pénibles heures de transfert — l’amènent toutefois à laisser cette option de côté pour se concentrer sur le DVD. En 2001, la bulle Internet oblige l’entreprise à licencier un tiers de ses employés.

Un an plus tard, Netflix fait son entrée en Bourse alors que la concurrence s’accroît dans le domaine de la location de films avec l’arrivée de Redbox et de ses kiosques automatisés — le service parviendra même à débaucher Mitch Lowe, l’un des premiers salariés de Netflix.

Netflix

2007 : le virage réussi du streaming

En 2003, Netflix atteint le million d’abonnés, un palier symbolique, alors que ses rivaux tentent de s’aligner sur son modèle pour continuer à séduire le public. Blockbuster se lance ainsi dans une course effrénée avec Netflix, en inaugurant notamment son service de location illimitée de DVD en ligne pour 19,99 $ par mois. Après le départ de Marc Randolph en 2004, Reed Hastings devient plus que jamais la figure de proue de Netflix.

Gina Keating, auteure du livre Netflixed, (2012), qui offre une plongée dans les coulisses de l’entreprise, estime que la contribution de Marc Randolph est aujourd’hui passée sous silence : « L’ADN [de l’entreprise] a vu le jour à cette époque, quand Marc Randolph en faisait partie. Netflix est aujourd’hui très différent du Netflix de l’époque de Marc Randolph. La plateforme créée par l’équipe initiale, cet esprit qu’ils entretenaient sur la satisfaction du client avant tout, tout ça c’est Marc Randolph. »

Car, malgré ses multiples talents, Reed n’est pas forcément des plus compétents lorsqu’il est question de fidéliser la clientèle, selon les confidences recueillies par l’auteure : « Beaucoup de gens m’ont dit que Reed dispose de  […] ce qu’ils appellent un QI affectif de zéro. […] Plusieurs personnes me l’ont dit et personne n’a contesté cet élément au cours du travail que j’ai effectué. Il n’a pas la moindre empathie pour les gens en tant que clientèle ».

Reed Hastings, CEO de Netflix

Reed Hastings, CEO de Netflix

« Les films disponibles sur Internet arrivent »

En ce milieu d’années 2000, Reed Hastings reste obsédé par l’idée d’offrir accès à un catalogue de films grâce à Internet, lui qui croit de longue date à l’arrivée du streaming vidéo. En 2005 — l’année de naissance de YouTube –, il prédit notamment : « Les films [disponibles] sur Internet arrivent et à un moment donné, ils deviendront un gros marché. » Netflix compte alors 4,2 millions d’abonnés.

En décembre 2007, le patron de Netflix abandonne à la dernière minute son idée initiale, qui consistait à commercialiser une « box » de streaming dédié — dont la campagne publicitaire était sur le point d’être lancée, signe de l’avancement du projet. Conscient que les chaines du câble ne l’aideront pas à mettre en valeur ce service qui leur fait concurrence, il se tourne vers le streaming intégrable à tout type de support : console de jeu, télé… L’objectif est clair : le service doit être visionnable sur le maximum d’écrans différents.

Reed Hastings s’appuie sur l’expertise de Ted Sarandos, responsable du contenu chez Netflix et proche des studios hollywoodiens, pour convaincre les producteurs de séries et de films de les mettre à disposition sur la plateforme de streaming.

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Netflix, un modèle de réussite

Pour débuter, l’équipe mise sur des vieux films et séries télé — dont les droits sont moins coûteux à obtenir — et sur son algorithme de personnalisation, qui montre aux abonnés des pépites insoupçonnées du catalogue. Le pari de Reed Hastings se révèle payant : le manque de blockbusters, loin de pénaliser Netflix, est surmonté par l’attrait du streaming — qui permet un accès immédiat au contenu — et par la variété des titres proposés.

Depuis son virage dans le streaming, Netflix n’a cessé de gagner des abonnés — et de prendre ses distances avec le marché du DVD. À l’inverse, Blockbuster, empêtré dans ses investissements toujours plus conséquents et son manque de stratégie à long terme, finit par faire faillite en 2010.

Cette même année, Hastings pose triomphalement en couverture de Fortune. Le magazine, qui l’a élu meilleur homme d’affaires de l’année, vante le mode de fonctionnement atypique de son entreprise à succès où il n’existe pas de règle écrite concernant les congés des plus de 600 salariés : ils sont libres d’en prendre autant qu’ils le souhaitent tant qu’ils accomplissent leur travail. Les titres hiérarchiques n’existent pas vraiment non plus.

Netflix subit toutefois le raté du service Qwikster, mort-né

Netflix n’est pas à l’abri de quelques ratés pour autant. En 2011, il perd ainsi 800 000 abonnés après avoir tenté de diviser en deux l’offre d’abonnement conjointe pour les DVD et le streaming. Cette « offre DVD uniquement », qui aurait vu le jour sous le nom de Qwikster, est en plus couplée à une augmentation des tarifs d’abonnement, qui passe très mal auprès du public.

Netflix oublie ses déboires américains en poursuivant son expansion du côté de l’Europe en 2012, avec son arrivée au Royaume-Uni — la France, elle, devra attendre 2014. Un an plus tôt, le service lance une nouvelle innovation stratégique en commençant à produire son propre contenu.

House of Cards

House of Cards

2013 : House of Cards, pari réussi

Netflix pousse ce faisant l’utilisation de son algorithme encore plus loin. Il ne sert plus seulement à livrer des recommandations aux utilisateurs mais permet de créer des œuvres dont le succès est (quasiment) garanti. Pour sa première production phare, House of Cards, remake d’une série britannique, Netflix fait ainsi stratégiquement appel au réalisateur David Fincher et à Kevin Spacey dans le rôle principal. L’entreprise investit 100 millions de dollars pour seulement 2 saisons.

Ces choix ne doivent rien au hasard : Netflix sait que ses 33 millions d’utilisateurs sont particulièrement férus de Kevin Spacey et de David Fincher, mais également que la série britannique a rencontré un grand succès auprès de la communauté. La série devient un véritable phénomène, à l’instar de futures séries cultes de Netflix comme Stranger Things et Orange is the New Black.

The Crown

The Crown

La Chine, un territoire qui reste à conquérir

Depuis, Netflix poursuit sa croissance en produisant des œuvres originales propres à un pays (la France, le Royaume-Uni…) mais vouées à rencontrer un succès international. Marseille ou encore The Crown sont deux exemples — plus ou moins réussis — de cette stratégie efficace dans laquelle l’entreprise a investi 2 milliards de dollars.

Aujourd’hui, le petit service de location de DVD devenu géant de l’industrie culturelle aux 104 millions d’abonnés peut se vanter de semer la zizanie au festival de Cannes.

Alors que Netflix songe à diversifier ses revenus en se tournant vers les produits dérivés, il lui reste encore certains défis à accomplir, comme la conquête du marché chinois — même si cette mission s’annonce compliquée. Et, surtout, un objectif à ne jamais perdre de vue : conserver sa place au sommet du streaming vidéo.

Source : Montage Numerama

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