Pour l’industrie du disque, le 39ème Marché International du Disque et de l’Edition Musicale (MIDEM) à Cannes, est l’occasion de dresser un bilan. La récession se confirme, en 2004, les ventes de Compact Disques devraient enregistrer une baisse de 9 à 15 % par rapport à l’exercice précédent [1]. Si le coupable reste volontiers le téléchargement illégal, la profession commence malgré tout à amorcer une autocritique sur la valorisation du produit musical. En effet, au MIDEM, se dessine une prise de conscience sur les incohérences des politiques commerciales des maisons de disques.
La première erreur des maisons de disques, selon nous, est d’avoir considéré la musique comme un produit alors même que ce dernier est en réalité le support, c’est-à-dire le compact disque (CD). En effet, le monde de la musique ne souffre d’aucune crise, les salles de concert se remplissent toujours et, associée à d’autres supports (DVD, sonneries de portable, etc…..), la musique continue de se vendre.
La demande pour le bien culturel ne faiblit pas, par contre celle pour la technologie CD semble plus chancelante. Il parait naturel que cette technologie se déprécie dans la mesure où d’autres technologies, notamment celles liées au téléchargement comme les lecteurs MP3 et autres iPod, offrent les mêmes services à des coûts équivalents ou plus faibles [2], tout en autorisant davantage de souplesse dans le mode de consommation [3]. Le téléchargement de fichiers n’est donc pas forcement synonyme de piratage. Selon le rapport 2005 de l’IFPI [4], en un an les sites légaux de téléchargement ont quadruplé pour atteindre le nombre de 230 et les consommateurs seraient de plus en plus favorables au péage en ligne. Pour contourner le problème du piratage, l’enjeu aujourd’hui est de proposer la technologie la mieux adaptée aux habitudes et aux besoins de consommation des internautes (cf.Thomas Letexier, la newsletter de l’ADMEO, n°9).
L’autre grande faiblesse du CD est qu’il est techniquement dépassé par d’autres produits, comme le DVD musical qui enregistre dans le monde une hausse de 26 % [5]. En France, ce marché représente aujourd’hui 11 % du marché total contre 6 % en 2003 et 3 % en 2002. Outre l’image, ce support offre également un nouveau standard le 5.1 [6], qui constitue une innovation au même titre que le passage de l’enregistrement en mono au stéréo.
Si le DVD musical est un peu plus cher que le CD, son succès laisse penser qu’il offre des prestations adaptées à son prix. Il existe également des DVD musicaux » audio » (l’image se réduit à une ambiance visuelle), comme l’album de Jean Michel Jarre » Aero « , qui offre le mixage en 5.1 au prix du CD.
En résumé, la musique en tant que telle ne connaît pas de crise ; par contre, le support musical CD lui s’essouffle. Le CD est une technologie déclinante, son prix doit donc s’adapter. En effet, lors de l’introduction de la nouvelle technologie CD, son prix se justifiait, d’une part, du côté de l’offre, par le coût de son développement mais surtout, d’autre part, du côté de la demande, par le fait que les nouveaux services qu’il offrait (essentiellement la qualité du son numérique) étaient fortement valorisés. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. En toute logique, le prix devrait baisser pour tenir compte d’une part, de l’amortissement du coût de développement et d’autre part, de son obsolescence.
Quel serait donc le prix d’équilibre du CD ? Cela est très difficile à dire, et pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord, les pratiques tarifaires de l’industrie du disque sont très floues. Le prix des CD est très volatile si bien qu’un CD peut, sur des périodes très courtes, être soldés puis revenir à un prix fort et cela à plusieurs reprises. Ce phénomène a une double conséquence : non seulement le consommateur ne connaît pas le vrai prix du support CD mais cela brouille également son appréciation de la valeur de l’œuvre. D’autant plus que l’industrie du disque s’est adaptée à la grande distribution en offrant une musique de tête de gondole périssable[7].
- Ensuite, l’industrie du disque constitue aujourd’hui un oligopole où règne peu de concurrence. Le prix du CD ne provient pas d’une confrontation de l’offre et de la demande sur un marché en libre concurrence. Les maisons de disques fixent de manière arbitraire le prix en fonction d’un objectif de marge. Dans cette perspective, le prix du CD ne reflète en aucun cas la demande des consommateurs (ce qu’ils sont prêts à payer pour ce type de produit).
- Enfin, ce confort de marché ne produit aucune incitation à innover. Le processus selon lequel les nouvelles technologies chassent les anciennes, comme le CD l’a fait avec la cassette, n’opère donc pas. En voulant conserver les fortes marges réalisées sur la vente des CD, l’industrie du disque a ainsi raté le train de la musique en ligne.
Ce comportement d’oligopole explique aujourd’hui en partie les difficultés de l’industrie du disque. Son manque de réactivité a permis des entrées profitables sur un segment totalement ignoré par l’industrie du disque. Dans un univers concurrentiel, ce sont les maisons de disques (en possible partenariat avec d’autres industries) qui auraient lancé le iPod (ou son équivalent).
L’industrie du disque doit aujourd’hui prendre conscience qu’elle est soumise comme toute autre industrie à une concurrence réelle ou potentielle, pouvant également provenir d’autres industries (informatique, audiovisuel, etc…). Elle doit, pour rester compétitive, innover et répondre aux demandes exprimées par les consommateurs.
Ce changement de stratégie doit s’opérer au plus vite car d’autres entreprises sont aujourd’hui en mesure de satisfaire cette demande (Apple avec le iPod mais également NRJ ou M6 qui se placent dans le secteur de la vente en ligne). Si les maisons de disques ne réagissent pas, leur stratégie les aura conduit, ironie du sort, à n’être plus que de simples exploitants de catalogues musicaux.
Edouard Barreiro
Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’université de Nice-Sophia Antipolis, il appartient au laboratoire GREDEG/CNRS. Voir en ligne : http://hp.idefi.cnrs.fr/barreiro/
[1] Lemonde.fr, » Comment la concentration de la distribution nuit au disque « , 21/01/2005.
[2] Sur le site d’Apple le titre est facturé 0,99euro et l’album complet à 9,99 euros.
[3] Sur les sites de téléchargement, le consommateur n’est plus obligé de prendre l’album dans sa totalité mais uniquement les titres qui l’intéressent.
[4] http://www.ifpi.org/site-content/press/20050119.html
[5] Les Echos, mardi 18 janvier 2005, p. 27
[6] Le son Dolby Digital 5.1, également appelé AC-3 (pour Audio Code-3), se décompose en 6 canaux différents, deux pour l’avant, deux pour l’arrière, un pour le haut-parleur central et enfin un pour le caisson de basse.
[7] » L’offre s’est rapidement réduite aux têtes de gondole axées sur les meilleurs ventes, valorisant les single, les nouveautés des stars confirmées et/ou choyées par les radios, ainsi que les compilations flattant la nostalgie du consommateur » Le Monde.fr, art. précit.
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