Battements de notre cœur, flux d’air dans nos poumons, prosodie de notre voix ou mouvements de nos jambes… Notre corps est une mer de rythmes différents. Aucun des systèmes biologiques qui les génèrent n’est isolé : chacun interagit avec son environnement, constitué d’autres systèmes à l’intérieur ou à l’extérieur de notre corps qui ont leur propre rythmicité.
Le mouvement est un bel exemple d’interactions entre rythmes. Le simple fait de marcher, pas après pas, est en effet une construction complexe ! Que cette construction se grippe, et le mouvement en pâtit. D’où cette question : peut-on redonner du rythme à ceux qui le perdent ? Oui, suggèrent certaines recherches. Petite explication, en partant des fondamentaux…
Si notre cerveau est à la manœuvre, tout un ensemble de structures nerveuses gouverne les cycles associés : des réseaux situés dans la moelle épinière insufflent les alternances d’activations musculaires nécessaires à sa genèse, mais ce sont les centres cérébraux supérieurs qui amènent la plasticité puisque c’est à leur niveau que se planifie l’initiation du mouvement ou la prise en compte des conditions de sa bonne exécution (évitement d’obstacles, etc.).
Le programme de base issu des réseaux de la moelle épinière est ainsi remodelé en fonction des exigences de l’environnement, retranscrites par nos sens… S’opère ce que les neuroscientifiques appellent le « couplage perception-action » : parce qu’il commande nos muscles et intègre les informations auditives ou visuelles, le système nerveux est capable de coupler nos sens à nos comportements.
C’est ce qui se passe lorsque nous jouons de la musique en groupe, où la coordination temporelle de nos gestes avec ceux de nos partenaires nous permet d’être à l’unisson. Cette synchronisation est possible par l’ajustement entre les rythmes auditifs/perçus et moteurs/exécutés. Cela signifie que les structures plutôt dédiées à la perception et celles plutôt dédiées au mouvement voient leurs liens se renforcer, formant un réseau fonctionnel dans le cerveau.
En d’autres termes, les structures cérébrales qui nous font bouger sont aussi celles qui nous font percevoir. Lors de l’écoute de morceaux de musique, qui combinent des séquences structurées de durées, de timbres et d’accents, la perception de la pulsation est l’événement psychologique qui revient le plus régulièrement.
Quand la machine déraille à cause de la maladie de Parkison
Des pathologies peuvent entraver la production de ces rythmes. C’est le cas de la maladie de Parkinson pour laquelle les difficultés à se déplacer sont le premier handicap rapporté.
Les patients sont sujets à un « gel de la marche », c’est-à-dire une difficulté dans son initiation et sa progression à l’approche d’un obstacle ou d’un virage. Ces deux séquences majeures du mouvement sont affectées par la perte progressive des neurones sécrétant de la « dopamine » – un neurotransmetteur, soit une molécule assurant la transmission de l’information entre les cellules nerveuses.
Une structure cérébrale dite profonde, car enfouie sous les hémisphères cérébraux, les ganglions de la base (ou noyaux gris centraux), est particulièrement touchée. Or ils gèrent la transition d’une étape à l’autre d’un mouvement : l’altération de leur fonctionnement va donc affecter toute la production de mouvements rythmiques en perturbant les rythmes cérébraux nécessaires au déclenchement des sous-mouvements qui composent une action.
Une marche hachée est symptomatique de cette difficulté de passer d’un sous-mouvement à l’autre. Si un patient dont la marche est irrégulière peut continuer à pédaler de façon plus fluide, c’est parce que le pédalage est moins dépendant du traitement séquentiel des informations sensorielles.
Le cycle de marche exige en effet la prise en compte de nombreuses informations sensorielles (par le cortex prémoteur) qui rendent compte tant des contraintes de l’environnement que de la bonne exécution du mouvement en cours : ce processus porte le nom d’intégration. La bonne connexion entre cortex et ganglions de la base permet l’adaptation de la marche aux spécificités de l’environnement – virage à anticiper, escalier à négocier, rue à traverser…
La perte des neurones à dopamine inhérente à la maladie de Parkinson empêche l’établissement de ces connexions (on parle de circuitopathie). Un large spectre d’effets moteurs en est la manifestation, de la locomotion à l’élocution.
Mêler musique et locomotion
Pourtant ce déficit peut être surmonté par une stratégie simple : en tirant simplement profit de l’appétence du cerveau pour des rythmes « pertinents », ceux avec lesquels nous pouvons synchroniser nos mouvements.
L’utilisation d’une horloge externe fournissant des repères réguliers, comme des stimulations auditives périodiques, permet de compenser les difficultés d’initiation et de maintien du mouvement en redonnant une structure temporelle aux actions. Cette stratégie est appelée « indiçage ».
Les patients bénéficient de cet indiçage qu’il soit visuel, tactile ou auditif – ce dernier permettant plus facilement de discriminer les rythmes envoyés. En témoigne une augmentation de la cadence et de la longueur des pas ainsi qu’une correction des asymétries de la démarche. Le patient marche plus vite et sa stabilité accrue réduit le risque de chute. Cette amélioration traduit le meilleur couplage entre flux auditif et appareil locomoteur au niveau du cerveau. Ces bénéfices se prolongent au-delà des séances de marche en musique.
Il y a deux explications possibles (qui ne sont pas exclusives) à ces améliorations :
- l’activation résiduelle des ganglions de la base,
- la mise en place de mécanismes compensatoires qui reposeraient sur le cortex et le cervelet. L’hyperactivation du cervelet a d’ailleurs été rapportée chez des patients lors de tâches de coordination sensori-motrice.
Un élément majeur a été émis en évidence : la précision de la perception du rythme détermine la force du couplage entre la locomotion et la musique.
Des tests ont été développés pour évaluer nos capacités de perception d’une part, et nos capacités de synchronisation de nos mouvements avec la musique d’autre part. Par exemple remarquons-nous le décalage entre un métronome désynchronisé et les pulsations de la musique ? Sommes-nous capables de battre la mesure de morceaux à la rythmicité plus ou moins évidente ?
La précision de la perception du battement et de sa régularité est représentative des capacités de coordination, et peut être comparée à des normes établies. Ce qui permet d’en quantifier l’altération et peut parfois de servir d’aide au diagnostic.
Une rééducation possible
Il existe une apparente contradiction entre l’influence bénéfique de l’indiçage et la détérioration de la perception des patients.
L’évaluation concomitante des capacités de perception et de la démarche sous l’influence de stimulations auditives a permis de clarifier ce point. Les patients qui bénéficient le plus de l’indiçage sont ceux qui ont préservé leurs capacités perceptives. Cela renforce l’hypothèse de la primauté de la force du couplage audio-moteur pour prédire les bénéfices de l’indiçage.
Les conséquences de la dégradation de la perception ne sont cependant pas une fatalité. Un réentraînement est possible grâce à des jeux sérieux au cours desquels le patient réapprend à se synchroniser avec la musique, à la danse qui est une activité de synchronisation sensorimotrice par excellence, etc.
Si la marche est améliorée par des indices auditifs délivrés au bon tempo, l’interactivité de ces stimulations est aussi un facteur essentiel à considérer pour améliorer la force du couplage.
Nous avons montré que le contrôle en temps réel la relation entre les pulsations musicales et les pas du patient, par l’adaptation en continu du tempo musical, garantit un couplage audio-moteur idéal. Associés aux effets positifs de la musique, neurochimiques par la libération des hormones du plaisir, et psychologiques par le sentiment d’évasion qu’elle procure, les effets de la stimulation sur la marche sont immédiats. Les bénéfices de l’indiçage s’en trouvent encore améliorés.
L’un des défis actuels est d’évaluer les effets à long terme d’une telle approche.
Des perspectives à moyen et long termes
La pleine perception de la musique passe par des structures motrices : n’a-t-on pas besoin de mettre tout notre corps en mouvement pour battre la mesure d’un morceau difficile ? Le recouvrement entre les structures de notre cerveau qui nous permettent de percevoir, et celles qui nous font bouger, ouvre une opportunité thérapeutique.
La rééducation du mouvement par la musique renforce en effet les liens entre la perception auditive rythmique et le comportement moteur. La musique s’immisce dans les réseaux moteurs du cerveau et peut compenser certains déficits créés par la maladie de Parkinson. Cette approche peut contribuer à améliorer la qualité de vie des patients et à réduire leur dépendance aux médicaments. Il s’agit donc d’un puissant outil de rééducation complémentaire de la thérapie pharmacologique.
D’autres pathologies présentant des déficits de la motricité sont également concernées. Sclérose en plaques, suite d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore diabète de type II sont en cours d’études au sein de notre équipe.
Loïc Damm, Postdoctoral Researcher, Université de Montpellier; Benoît Bardy, Professeur en Sciences du Mouvement, fondateur du centre EuroMov, membre de l’Institut Universitaire de France (IUF), Université de Montpellier et Valérie Cochen de Cock, Docteure en neurologie, chercheuse HDR au sein de l’unité EuroMov Digital Health in Motion, Université de Montpellier – IMT Mines Ales, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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