Le 14 décembre, avec Rogue One, Star Wars sortira pour la première fois en salle sous la forme d’un film dérivé de l’intrigue principale. Numerama revient sur les évolutions connues par ce vaste univers étendu depuis la reprise de Lucasfilm par Disney.

C’était le 30 octobre 2012. Contre toute attente, Disney annonçait le rachat de Lucasfilm pour 4,05 milliards de dollars. Dans la foulée, le conglomérat du divertissement annonçait la mise en chantier d’une nouvelle trilogie, à commencer par l’Épisode VII dont la sortie était planifiée pour 2015.

Beaucoup se demandaient alors comment cette nouvelle ère allait s’articuler avec la vaste production qui existait déjà sur Star Wars, connue sous le terme générique d’Univers Étendu (UE). Car depuis la toute première trilogie, l’univers de la saga spatiale s’est considérablement élargi, avec des romans, des jeux vidéo, des bandes dessinées, des jeux de rôle et des produits dérivés très divers.

Force Awakens

Deux ans après l’acquisition, un coup de tonnerre ébranle la communauté de fans lorsque Disney annonce que l’Univers Étendu n’appartient plus à la continuité officielle (ou le « canon »). Le tout est regroupé sous une nouvelle appellation, Legends, ce qui permet au studio d’avoir les coudées franches pour repartir sur des bases neuves.

Aujourd’hui, alors que The Force Awakens a lancé cette nouvelle trilogie et qu’un premier long-métrage dérivé, Rogue One, est sur le point de sortir en salle, que reste-t-il de cette vaste extension crée par des des écrivains, des scénaristes, des développeurs et des rôlistes ? C’est pour le savoir que nous sommes allés à la rencontre de deux passionnés de Star Wars, Frédéric (« Exar Kun ») et Florian (« Luuke »).

Ces fans de l’univers créé par George Lucas consacrent depuis des années une partie de leur temps libre à alimenter Star Wars HoloNet, une véritable encyclopédie qui s’est imposée comme l’une des références francophones pour tout passionné qui se respecte. Frédéric, qui l’a fondée en 2001, a été rejoint quelques années plus tard par Florian.

Historiquement, quels étaient les livres les plus importants de l’Univers Étendu ? Et pourquoi ?

Pour les deux connaisseurs, deux sagas littéraires s’imposent comme références incontournables : la trilogie de la Croisade noire du Jedi fou, de Timothy Zahn, publiée au début des années 1990, et la saga du Nouvel Ordre Jedi, scénarisée par de nombreux auteurs entre 1999 et 2003.

Dans la première série, Luke Skywalker, Han Solo et Léia Organa sont confrontés, cinq ans après la fin du Retour du Jedi, au redoutable grand amiral Thrawn, un génie militaire qui a conçu un plan ambitieux pour assurer le retour de l’Empire au premier plan.

La Croisade noire du Jedi fou fait office de point de départ pour Frédéric : « Elle a relancé l’intérêt des fans pour l’UE et les romans, en plus de créer des personnages forts et intéressants dont beaucoup ont été réutilisés par la suite dans d’autres supports » Parmi ces nouveaux personnages, on pense surtout à Mara Jade, qui voue une haine féroce à Luke Skywalker, et au contrebandier-stratège, Talon Karrde.

« Enfin, cette trilogie de romans constituait à l’époque la meilleure représentation qu’on pouvait se faire d’une suite à l’Épisode VI, et que tout le monde s’est un jour imaginé voir retranscrite au cinéma », nous explique Frédéric.

La Croisade noire du Jedi fou

La Croisade noire du Jedi fou

Le Nouvel Ordre Jedi, lui, aurait été plus difficile à adapter vu sa complexité et son nombre de tomes (proche de la vingtaine) mais il s’impose comme la saga la plus vaste : « Il introduisait et développait un grand nombre de personnages, autour d’un conflit majeur d’une envergure encore jamais vue, avec une espèce extragalactique dotée d’une biotechnologie inédite ».

Florian partage l’avis de son collègue : « La palme revient évidement à la trilogie La Croisade noire du Jedi fou. Elle a ouvert la voie à tout le reste ». Mais d’autres ouvrages, moins connus, méritent aussi d’être mentionnés à ses yeux, comme. C’est le cas du premier roman Star Wars, Splinter of the Mind’s Eye, sorti en 1978, mais aussi des jeux de rôle publiés par West End Games, de la trilogie sur Thrawn, du cycle Dark Empire et de la Guerre des Clones.

George Lucas tenait-il compte de l’Univers Étendu ?

Le créateur de Star Wars s’est toujours tenu éloigné de cet univers enrichi, comme l’explique Frédéric : « George Lucas s’est historiquement peu intéressé à l’UE et n’en a jamais fait grand cas. Sa préoccupation tournait autour des films essentiellement. »

« Il considère toujours que son Star Wars et le Star Wars de l’UE sont deux entités différentes », ajoute Florian. « Ce n’était pas le ressenti des fans et pendant très longtemps, la distinction ne s’est jamais faite ». Et tant pis pour la cohérence.

George Lucas discutant avec J. J. AbramsJoi Ito

George Lucas discutant avec J. J. Abrams
Joi Ito

Pour appuyer son propos, il donne deux exemples, l’un qui concerne l’Épisode VI, l’autre la série animée The Clone Wars : « Dans les livres de West End Games, la planète Mon Calamari, après l’Épisode VI, est censée avoir été découverte très récemment par l’Empire. Or, Lucas fait intervenir des espèces de cette planète dans la prélogie, ce qui met à mal tout ce contexte ».

Quant à la relation entre The Clone Wars et l’Univers Étendu, « on comprend dès 2008 que la série, complétement sous la supervision de Lucas, ne cherche pas à conserver une cohérence avec l’UE, ce qui n’est pas le cas de l’UE par rapport au Star Wars de Lucas. »

En somme, résume Florian, « Lucas accepte que d’autres auteurs racontant des histoires dans son univers, mais il faut bien comprendre que derrière il surveille les grandes lignes, en interdisant par exemple les Jedis wookiees à l’exception d’un seul, en donnant des indications sur l’histoire Sith et Jedi pour la série Tales of the Jedi, mais sans lire pour autant les histoires qui sont créées ».

Pourquoi Disney a-t-il décidé de supprimer l’Univers Étendu du canon officiel de Star Wars ?

« C’est difficile à dire précisément, il y a probablement plusieurs raisons derrière ce choix », estime Frédéric. « Pour que le retour de Star Wars au cinéma soit un succès total, il fallait certainement faire appel à des choses connues du grand public et pas seulement du monde des fans, donc s’appuyer sur les films précédents, et pas nécessairement sur un gigantesque Univers Étendu peu connu du grand public ».

Autre problème, le créneau temporel après les évènements de l’Épisode VI était déjà occupé. La force de l’Univers Étendu — sa taille — devient ainsi sa faiblesse, selon Frédéric : « Il est donc concevable que les équipes impliquées chez Lucasfilm et Disney aient préféré imaginer leur propre suite cohérente aux aventures de Leia, Han et Luke, en construisant un nouveau canon jugé plus cohérent à leurs yeux, leurs plans visant le très long terme ».

Comment cette décision a-t-elle été accueillie par les fans ?

Florian est d’abord passé par une phase de rejet avant d’arriver à l’acceptation. Il souligne la diversité des réactions chez les passionnés : certains sont demeurés très attachés à l’UE au point de rejeter tout nouveau canon, d’autres ont embrassé la nouvelle direction impulsée par le couple Disney / Lucasfilm. Le reste, enfin, a dû observer un temps d’adaptation pour digérer la nouvelle.

« La plupart des fans ont vécu cette annonce comme un choc, amplifié par le fait que depuis l’annonce de la reprise par Disney et de nouveaux films, l’espoir était permis. Mais beaucoup espéraient voir Star Wars continuer à vivre, après une longue période de moindre activité [après la sortie de l’Épisode III en 2005] », confirme Frédéric.

stormtroopers

La brutalité de ce changement a beaucoup joué dans ces réactions : « Rien ne l’annonçait. Cela a porté un coup terrible à beaucoup de fans, qui se sont sentis trahis. Certains ne l’ont toujours pas digéré et ont tourné le dos au nouveau canon, restant sur la période pré-Disney. Maintenant que l’Épisode VII est sorti depuis un an, les sentiments des fans à ce sujet ont un évolué dans le sens où les critiques ont davantage porté sur le film que sur la décision globale ».

À ses yeux, le temps a fini par faire son effet : « Au final, j’ai l’impression que la pilule est passée, que l’espoir et la passion sont de mise chez la plupart des fans, mais que l’Épisode VII n’a pas convaincu tout le monde. Le sentiment de beaucoup serait plutôt de considérer que l’Épisode VII est une bonne introduction à ce que pourrait devenir Star Wars, mais que le film était un cran en-dessous de leurs espérances ».

Certains choix scénaristiques ont-ils fait polémique ?

« C’est difficile de répondre », considère Florian. « Ça dépend de chacun : tu as des gens qui ont lourdement critiqué The Clone Wars. Après, les polémiques reviennent constamment dans la franchise. Il y a même des gens en ce moment qui râlent parce qu’il n’y a pas assez de contenu lié à la prélogie ».

« J’identifie deux types de critiques sur les décisions prises jusqu’à présent », avance Frédéric.

D’abord, « le fait de reprendre certains éléments de l’UE (par exemple le personnage Thrawn dans Rebels) mais dans un contexte différent. Cela ne choque pas tout le monde et d’ailleurs la plupart des fans les moins puristes sont plutôt contents de revoir des personnages et lieux déjà connus, même dans un contexte différent. Personnellement, je n’en vois pas l’intérêt : autant repartir de zéro autour des films ».

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Le grand amiral Thrawn

Ensuite, le cas de The Force Awakens reste particulier. « L’Épisode VII n’a pas convaincu par l’originalité de son scénario », rappelle Frédéric. Le long métrage a été « assimilé à l’Épisode IV. Le film prend peu de risques scénaristiques, fait beaucoup appel à la nostalgie. Mais le pire, c’est que ça fonctionne ! ». À ce titre, le spin-off attendu le 14 décembre semble mieux parti : « L’avantage de Rogue One c’est qu’il il semble original dans son approche. C’est le premier film Star Wars qui n’est pas focalisé sur la Force, les Jedi, les Sith, la famille Skywalker ».

Outre le spin-off sur Han Solo, quels sont les futurs projets de Disney en matière de « nouvel UE » ?

C’est la grande question qui anime les fans. Le créateur d’HoloNet explique : « Lucasfilm et Disney semblent s’orienter vers un univers qui s’articule lui aussi autour des films, sachant que ces derniers sont prévus au rythme d’un par an. La plupart des productions UE qui sont sorties dès le début du nouveau partenariat sont destinées à enrichir les films, à les présenter, à leur apporter un background plus détaillé ».

Alden Ehrenreich

Alden Ehrenreich incarnera Han Solo pour le deuxième film dérivé.

Frédéric se livre à une prédiction : « Tel que c’est parti, je ne pense pas qu’on aura de nouveau une série de romans totalement indépendants des films, comme la Croisade noire du Jedi fou ou le Nouvel Ordre Jedi, par exemple ».

« Il y a le travail prospectif du groupe en charge de l’histoire pour amener certains thèmes récurrents », ajoute Florian. « Certains fans ont par exemple remarqué que le thème des courses de vaisseaux, très peu présent dans l’UE, fait son apparition dans plusieurs œuvres du canon, notamment autour de Han Solo, ce qui suggérerait qu’on verrait quelque-chose de cet ordre dans le film ».

Rogue One et The Force Awakens s’inspirent-t-il malgré tout de l’ancien Univers Étendu ?

Si Disney a tiré un trait sur l’Univers Étendu, ses scénaristes peuvent tout de même trouver leur inspiration ou quelques bonnes idées dans cette ressource gigantesque. Mais la tendance actuelle va plutôt contre ce phénomène, comme le note Frédéric : « Pour le moment les films Star Wars de la période Disney ne puisent pas leur inspiration dans l’UE. L’Épisode VII a davantage été vécu comme une ‘copie’ de l’Épisode IV en termes de scénario ».

Dans le cas de Rogue One, quelques similitudes ont été relevées avec l’Univers Étendu, mais rien de plus : « L’intrigue précède de peu l’Épisode IV en termes de chronologie mais aucun élément ne viendrait a priori de l’Univers Étendu. Galen Erso, le père de l’héroïne Jyn Erso, fait peut-être un peu penser à Bevel Lemelisk, ingénieur en chef sur l’Étoile de la Mort, mais, toujours sous réserve de voir le film, les deux personnages semblent bien différents si on excepte leur importance pour l’Empire et sa super-arme », conclut-il.

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Felicity Jones, héroïne de Rogue One.

Même son de cloche chez Florian. Pour The Force Awakens. Il n’y a pas vraiment de reprise d’éléments, malgré les débats au sein de la communauté : « Il y en a qui voudraient dresser des liens entre les enfants Solo dans l’UE et Kylo Ren dans The Force Awakens, et d’autres petites choses comme cela, mais rien n’est avéré. Surtout que dans le cas de Han et Léia, les imaginer avoir un enfant n’est pas l’idée la plus originale qui soit ! », s’amuse-t-il.

Pour Rogue One, c’est plus compliqué : « On retrouve des thèmes communs, mais c’est profondément lié à des idées issues des films originaux ». Il explique : « Rogue One a été développé à partir d’un traitement de John Knoll, un génie des effets spéciaux. Son script était à l’origine prévu pour la série en prises de vue réelles qui a été annulée et il se base sur les deux premiers paragraphes de l’introduction déroulante de l’Épisode IV ».

À bord de vaisseaux spatiaux opérant à partir d’une base cachée, les Rebelles ont emporté leur première victoire sur le maléfique Empire Galactique.

Au cours de la bataille, des espions rebelles ont réussi à dérober les plans secrets de l’arme absolue de l’Empire : l’Étoile de la Mort

Entre-temps, le scénario final a fait l’objet de multiples traitements venus de personnes différentes. On saura dès le 14 décembre si Rogue One puise son inspiration dans feu l’Univers Étendu… et, plus simplement, si ce film à part dans la saga séduit les fans.


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