Haro sur le cloud ! Alors que les députés vont adopter dans un esprit d’union sacrée le projet de loi copie privée, qui doit neutraliser les effets de sa remise en cause judiciaire, la prochaine étape est déjà clairement affichée : taxer le cloud computing, dont les recettes juteuses font saliver l’industrie culturelle.

Taxes sur le Cloud Computing

Pour créer une nouvelle source de revenus pour les auteurs, et compenser les pertes réelles ou supposées liées à la copie des cassettes audio et l’enregistrement des bandes FM, la loi Lang de 1985 a créé la fameuse « rémunération pour copie privée ». Née avec un vote à l’unanimité, la « taxe copie privée » est aujourd’hui constamment décriée, attaquée sur le plan judiciaire, et peine à conserver sa légitimité. Chacun voit bien avec l’évolution des usages qu’elle n’a plus rien à voir avec l’acte de copie privée, qui ne servait que de prétexte. Le but est uniquement d’apporter une rémunération.

Preuve en est la volonté de taxer le Cloud Computing, affichée de tous les bords lors du débat sur la nouvelle loi Copie privée. Il ne s’agit plus de rémunérer la copie, puisqu’il n’y en a par définition qu’une seule dans le cloud computing, mais bien l’interopérabilité qui permet d’écouter ou regarder une même œuvre sur différents supports sans avoir à la racheter. En Commission des affaires culturelles, c’est notamment l’incontournable Muriel Marland-Militello qui a sonné la charge. « Comment peut-on intégrer le cloud computing, qui connaît aujourd’hui un essor considérable, dans le périmètre de la copie privée afin que les œuvres ainsi gérées contribuent également au financement des ayants droit et de la création artistique, à l’instar des architectures informatiques traditionnelles ?« , a demandé la députée UMP. « Il ne faudra pas rester inactifs pendant deux ans« .

Mercredi soir, lors de l’examen du texte par l’Assemblée Nationale, le sujet s’est fait plus pressant encore, même s’il a été remis à une hypothétique « loi Lang 2 » promise pour la prochaine législature. En témoignes ces extraits tirés de la retranscription du débat au Journal Officiel :

Frédéric Miterrand :

« Mon ministère poursuit parallèlement une réflexion plus globale, plus ambitieuse, sur l’incidence des évolutions technologiques sur le mécanisme de la copie privée. Cette réflexion nous permettra d’aborder l’ensemble des questions, souvent légitimes, que suscite l’avenir de ce mode de rémunération de la création. Cette réflexion est conduite dans le cadre d’une commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, présidé par Sylvie Hubac, qui a été notamment chargée d’étudier l’incidence du cloud computing sur la rémunération pour copie privée. »

Marie-Hélène Thoraval (rapporteure du texte) :

Ces défis sont d’abord d’ordre technologique, avec le développement du numérique et du cloud computing qui consiste à déporter sur des serveurs distants des traitements informatiques, traditionnellement localisés sur des serveurs locaux ou sur le poste client de l’utilisateur. Le cloud computing remet en cause les fondements de la rémunération pour copie privée sur deux points essentiels. Il prive la rémunération pour copie privée de son assiette puisque les fichiers copiés ne sont plus stockés sur des supports physiques, mais à distance par le biais de services comme iMusic, iCIoud ou Google Music. Le cloud computing rend en outre inopérante la notion d’usage à des fins privées puisque les contenus – livres, musique, vidéos, logiciels – sont accessibles sur tous les écrans connectés qui entourent l’utilisateur, où qu’il soit dans le monde.

Christian Kert (UMP) :

La question essentielle, évoquée par tous en commission, est de savoir comment intégrer dans le périmètre de la rémunération pour copie privée ce qu’on appelle aujourd’hui le cloud computing et le changement de comportement des consommateurs qui versent de plus en plus vers le streaming ou le stockage à distance des données. (…) Nous devons trouver une nouvelle manière d’obtenir de la part de ces prestataires de services nouveaux, une rémunération des ayants droit. Le compte à rebours est déjà lancé et des préconisations doivent être rapidement présentées

La seule voix dissonnante n’est pas venue de la gauche, traditionnellement favorable à la sauvegarde de la rémunération copie privée qu’elle a créée et qu’elle entend bien perpétuer, mais de la droite. C’est en effet la députée UMP Laure de la Raudière, proche des industries numériques, qui a mis en garde contre cette tentation :

Imagine-t-on sérieusement pouvoir appliquer le système de la copie privée au cloud computing ? (…) Serait-il pensable d’infliger à ce secteur à peine émergent une redevance franco-française, alors que les services de cloud computing peuvent aisément – vous le savez – être installés à l’étranger ? C’est un sujet majeur, qui nous obligera à revoir le système de la copie privée

Toute la difficulté sera de savoir quoi taxer, et comment. Sur quelle base juridique rémunérer ce qui n’est plus une reproduction, mais une simple transmission de flux ? Comment distinguer parmi les nombreux services de cloud computing ceux qui doivent faire l’objet d’une rémunération au bénéfice des artistes, et ceux qui sont exclus de l’assiette ? Et comment s’assurer du versement effectif de la rémunéraiton, lorsque les services susceptibles d’être « taxés » sont situés aux Etats-Unis, en Irlande, ou en Grande-Bretagne ?

Le sujet est d’une complexité infinie, mais la volonté politique d’y parvenir est bien affichée. Et l’on a bien compris avec Hadopi que l’essentiel n’était pas de parvenir à une loi bien ficelée, mais de parvenir à une loi.


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