Le propos est rude, sans doute excessif, mais il est révélateur d'une exaspération et d'un cri alarme qui peine à se faire entendre par des mots plus mesurés. Dimanche, le représentant français au numérique ("digital champion") auprès de la Commission Européenne, Gilles Babinet, a très durement critiqué le projet de loi de programmation militaire, qui devrait être adopté mardi par les sénateurs.
"Cette loi, c’est le plus grand coup porté au fonctionnement de la démocratie depuis les lois d’exceptions pendant la guerre d’Algérie", condamne-t-il dans Les Echos. "Il n’y a plus de pouvoir du juge. Or, comme le disait Montesquieu, le père de la séparation des pouvoirs en France, « Tout pouvoir va jusqu’au bout de lui-même ». Je n’ai pas de problème à ce que l’on aille fouiller dans la vie des gangsters. Encore faut-il savoir qui est celui qui désigne le gangster, et il faut que cela soit un juge. En aucun cas, il ne faut donner un donner un blanc seing aux militaires et à d’autres pour écouter tout et tout le monde en temps réel. Nous sommes à deux doigts de la dictature numérique" (on se rappellera cependant que Gilles Babinet avait sèchement critiqué la CNIL quand elle voulait protéger la vie privée des internautes face aux entreprises).
Le projet de loi de programmation militaire prévoit d'une part de confier au premier ministre le pouvoir d'instaurer l'état martial numérique en cas de nécessité, en donnant à l'exécutif le droit d'ordonner sans contrôle judiciaire "toute mesure" aux FAI et hébergeurs "pour répondre aux crises majeures menaçant ou affectant la sécurité des systèmes d'information".
D'autre part, ce qui soulève beaucoup plus d'indignations en pleine affaire PRISM / NSA, le projet de loi de programmation militaire donne à différentes instances de l'Etat (Bercy, ministère de la Défense, ministère de l'Intérieur) le droit de collecter toutes données "techniques" concernant les internautes, au besoin en temps réel par "sollicitation par réseau", donc sans même avoir à en faire la demande auprès des opérateurs. Le tout en toute confidentialité, par une procédure qui permet de blanchir les collectes illégales jusqu'à 9 jours après leur commencement. Et encore, seule une Commission, et non un juge, dira si la collecte est légale ou non.
Alors que les sénateurs s'apprêtent à adopter le dispositif sans en modifier une virgule, les réactions se sont multipliées ces dernières heures (voir l'ASIC, IAB France, la Quadrature du Net, l'AFDEL…). En fin de semaine dernière, c'est le Conseil National du Numérique qui a jugé qu'il était "pas opportun d'introduire sans large débat public préalable" un tel mécanisme de surveillance des réseaux. Mais la protestation a paru bien timide à beaucoup d'observateurs.
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