C’est une fin d’après-midi fin du mois de janvier, agréablement douce pour la saison. Claude Posternak nous donne rendez-vous chez lui et nous attend sur le pas de la porte : un accueil chaleureux par le fondateur de L’Important, un homme bien occupé qui accepte de prendre le temps pour cette interview entre deux rendez-vous. L’entretien commence dans une atmosphère calme et feutrée, autour d’un café.
L’Important va sur ses 3 ans : comment avez-vous eu l’idée de créer ce site d’information ?
J’ai découvert les réseaux sociaux sur le tas ; surtout Twitter à vrai dire puisque je n’ai pas de compte Facebook. Et quand j’ai découvert Twitter, il y a maintenant presque quatre ans, je me suis dit que c’était un endroit exceptionnel, parfois effarant ou se côtoient le pire et le meilleur.
L’idée de L’Important est venu avec une question : comment dire qu’une jeune femme qui fait un selfie à Los Angeles n’a pas le même le poids que 500 morts en Syrie ? Je me suis demandé comment on pouvait rendre une hiérarchie à l’information avec les réseaux sociaux qui sont des tuyaux qui « dégueulent » du matin au soir, vite et très fort.
C’est pour cette raison qu’on s’est appelé L’Important et pas « l’essentiel » : on n’est pas l’essentiel des meilleurs tweets, on est sur le créneau de l’important. Et l’important, selon nous, c’est un choix sans algorithme, un choix humain pour rappeler des valeurs comme la lutte pour le droit des femmes, l’égalité dans le monde : en gros la défense de la veuve et de l’orphelin partout dans le monde.
On va donc chercher des tweets qui viennent du monde entier et qui font découvrir des journalistes. Par exemple, on a été les premiers à soulever le problème des chrétiens qui fuyaient le Liban pour la Russie. On a été les premiers à parler de Boko Haram, avant même que ça sorte dans la presse. Et finalement c’est la force de Twitter — être en éveil permanent et nous faire connaître des sources exceptionnelles : Mali Hebdo, L’Orient le Jour par exemple.
Cette richesse on peut l’avoir grâce à un tri qui se fait sans algorithme. On est peu à avoir une rubrique Afrique tous les jours. On donne de la visibilité à des blogs ou aux journaux peu connus : le Sahélien, Telquel ou même des titres de presse Kabyle. Toutes ces personnes connaissent nos lignes de valeurs, ils viennent toquer chez nous et nous proposent des articles à relayer.
Vous avez été seul à créer L’Important ?
Au départ j’étais seul, et puis on a formé une équipe petit à petit avec des bases extrêmement rigoureuses : comment vérifier l’information ? Qu’est-ce qu’une vraie source ? Comment travailler ? Beaucoup de journalistes contribuent à L’Important et ils ont déjà cette démarche déontologique, mais on a aussi trouvé des personnes que l’on a réussi à former et à qui on donne le pouvoir de faire remonter de l’information sur le fil Twitter et sur le site : la confiance est importante.
Laurence Haïm fait régulièrement des tribunes pour le site, elle a même une rubrique qui s’appelle le Laurence Haïm mood
On va aussi bien avoir quelqu’un à New-York ou à Taipei. Je n’ai jamais été déçu par cette confiance et c’est pour cela que L’Important ça fonctionne.
Vous avez en effet 46 000 followers sur Twitter, c’est quand même une belle audience.
Sur Twitter, ce qui est important c’est l’impression (lorsque le tweet est vu, ndlr). En décembre, qui n’est pas le mois le plus fort avec les fêtes, on était à 37 millions d’impressions. Pendant les événements tragiques de novembre, on a dépassé les 40 millions. C’est assez irrégulier, même si on reste sur ces tendances.
Ensuite, chaque mois, il y a une entreprise qui s’appelle Evan Carmichael qui établit les fils Twitter les plus importants dans le monde, pays par pays. Par exemple, au mois de décembre L’Important était cinquième derrière Europe 1 et devant Libé, France Info, France 24 etc. Ces comptes ont sûrement plus de followers que nous, mais comme nous sommes suivis par des followers très influents qui ont une énorme attractivité, nous sommes mieux classés qu’eux. Donc quand nous sommes retweetés par ces followers, il y a une grosse audience derrière. On est relayés par beaucoup de personnes qui ont tous des profils très différents : Laurent Ruquier, Jacques Attali, Ali Badou, Renaud Dély, Raphaël Enthoven, Philippe Vandel, l’AFP, France Info, Laurence Haïm…
D’ailleurs Laurence Haïm aime tellement L’Important qu’un jour elle m’a contacté pour me dire qu’elle souhaitait écrire des papiers pour nous. Je lui ai répondu que L’Important n’écrivait rien et elle me dit : « J’aimerais quand même écrire pour vous ». Elle souhaitait nous apporter un éclairage différent sur les choses. Quand il y a eu ces évènements à Ferguson, elle tenait à nous expliquer ce qui se passait réellement là bas.
À partir de là, elle fait régulièrement des tribunes pour le site, elle a même une rubrique qui s’appelle le Laurence Haïm mood. Quand elle nous écrit ses papiers, ils sont lus 80 000 fois et énormément retweetés. Et puis avec le temps j’avais vraiment envie de demander aux gens : qu’est-ce qui est vraiment important ? Finalement, ces tribunes sont arrivées à point nommé.
« Qu’est-ce qui est important ? » : c’est une question compliquée d’autant plus que la réponse est subjective. Ce qui est important pour moi, ne le sera pas forcément pour vous. Comment fait-on alors ?
Totalement subjectif. Pour moi l’information c’est subjectif, c’est pour cette raison que je crois en la vision des êtres humains plutôt que celle de l’algorithme.
Par exemple, prenons le cas de Najat Vallaud-Belkacem qui rédige des tribunes pour L’Important. On lui pose la question de ce qui est important pour elle à l’époque où elle est ministre des droits des femmes, elle nous répond : « L’important, c’est nos enfants ». Six mois plus tard elle est nommée ministre de l’éducation nationale. On a donc republié la tribune : « voilà ce qu’elle nous disait six mois auparavant ». Quand Arnaud Montebourg a souhaité quitter le gouvernement, il a voulu l’annoncer sur les réseaux sociaux, et il a choisi de le faire sur L’Important.
L’Important sans Twitter c’est impossible donc ?
Absolument, c’est l’outil qui nous sert à remonter l’info. On est en train de faire une mise à jour qui sortira la semaine prochaine. On veut faire remonter de plus en plus de contenu issu d’Instagram parce qu’il y a des choses qui sont importantes sur ce réseau social. On a aussi des partenaires qui sont importants : Mediapart par exemple. Edwy Plenel a très vite voulu qu’on soit partenaires.
Avec Twitter, vous êtes obligé de composer avec la rapidité, facteur d’erreur aujourd’hui dans le journalisme…
Laurence Haïm nous a dit la chose suivante : « Pour moi la modernité dans le journalisme, la manière de faire passer les informations, passe par les réseaux sociaux ». On est obligé d’être très réactif sur ce qui se passe, non pas sur le fond mais sur les attentes des lecteurs : comment les gens perçoivent l’info aujourd’hui ?
L’Important a fait très peu d’erreurs, voire aucune. En plus de ça, j’ai tendance à penser que si on est amené à faire une erreur en remontant une mauvaise information, nous ne sommes pas les vrais responsables. Mais c’est vrai que l’instantanéité est absolument dramatique parce que les gens vérifient de moins en moins leurs sources alors que c’est la première des choses à faire quand on est dans le journalisme.
Il ne faut surtout pas être dupe non plus et faire attention à votre interlocuteur : sur des sujets qui vont concerner l’Iran, si c’est une source Russe, vous allez l’étudier de façon différente que si c’est une source américaine. Il faut vraiment prendre du recul par rapport à ça et les gens qui travaillent avec nous savent le faire.
Au-delà de L’Important, vous êtes aussi présent en politique : vous avez travaillé pour la campagne de François Hollande en 2012, maintenant pour l’association La Transition…
J’ai crée le slogan « Le changement », d’ailleurs je m’en excuse auprès des électeurs de droite et encore plus auprès des électeurs de gauche. Pour ce qui est de La Transition, c’est un engagement citoyen qui n’a rien à voir avec L’Important. J’observe et je constate avec tristesse et souffrance l’état dans lequel le pays se trouve.
On a un pays formidable qui pourrait rebondir mais qui est en train de se déchirer, comment l’éviter ? On a donc créé cette association avec plusieurs personnes. Je suis de gauche, je le reste malgré tout. La Transition réunit des gens de tous bords politiques, de droite et gauche. Il y a des moments ou on a besoin de se rassembler parce que les intérêts du pays sont plus importants que tout le reste.
J’ai crée le slogan « Le changement », d’ailleurs je m’en excuse auprès des électeurs de droite et encore plus auprès des électeurs de gauche.
On est dans une situation extrêmement difficile : on a un parti d’extrême droite qui frise les 40 %, et nous en sommes tous responsables.
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