Nous avons un cas de conscience à Numerama. Depuis 2004, nous défendons la mise en place d’une licence légale (ou « globale ») pour l’industrie musicale, qui permettrait à tous les internautes de télécharger toute la musique qu’ils souhaitent, en échange du paiement d’une taxe forfaitaire versée aux FAI. Un tel modèle nous semble parfaitement adapté à financer la musique, dont les coûts de production sont extrêment faibles. En revanche, nous n’avons jamais cru à ce modèle pour financer le cinéma. Le moindre film coûte aujourd’hui plusieurs millions d’euros à produire, et il n’y a pas de « cinéma libre » qui puisse offrir une alternative réelle en cas de disparition de l’industrie cinématographique.

Mais nous n’avons jamais cru, non plus, à la menace d’une disparition de l’industrie du cinéma – alors que nous croyons très possible la mort de l’industrie du disque.

Nous n’avions pas consicence qu’il y avait une telle urgence à sauver le 7ème art des griffes du piratage. Le Centre National de la Cinématographie enregistre encore une hausse de la fréquentation en salles (+ 5% sur un an) malgré la crise du pouvoir d’achat qui affecte en priorité les loisirs, les DVD connaissent une baisse modérée après des années de hausse importante (- 4 %), les Blu-Ray semblent bien très partis pour connaître plus tôt que prévu un vrai succès populaire, et la VOD s’est déjà imposée comme un mode de consommation important dans beaucoup de foyers.

Tout en ayant conscience qu’il faut assurer un modèle économique stable à l’industrie du cinéma, nous ne voyons pas dans ces indicateurs la source de l’urgence à faire passer une mauvaise loi pour résoudre un faux problème. 31 cinéastes signent dans le Monde une tribune adressée à l’encontre de ceux qui, comme Numerama, combattent la loi Hadopi « Création et Internet ». « Nous ne sommes pas prêts à sacrifier à la mode de la gratuité de la culture, qui reste une escroquerie intellectuelle« ,écrivent-ils. Comme si le refus de la loi Hadopi était motivé par la volonté d’installer la gratuité totale de l’accès au cinéma en toutes circonstances…

Les auteurs de la tribune rappellent que « la vitalité et le dynamisme de notre création ont un prix que notre pays a toujours su défendre en adaptant notamment le financement de la création et la rémunération des auteurs aux évolutions technologiques« . C’est vrai. Mais justement, la loi Hadopi n’apporte aucune (aucune, zéro, nada, niente…) piste de financement et de rémunération de la création. Elle fait uniquement le pari qu’en accentuant la répression contre les internautes, les ventes remontront naturellement. Comme si entre le piratage et la consommation marchande n’existait pas une troisième voie : ne pas regarder les films et ne pas les acheter.

« Les efforts demandés aux internautes dans ce projet de loi et notamment la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’utilisation de leur abonnement Internet ne constituent pas un prix exorbitant. Au contraire, ils reposent sur une pédagogie active qui s’impose comme une alternative crédible aux peines fortes aujourd’hui encourues (3 ans de prison et 300 000 euros d’amendes)« , continuent les cinéastes. Ils s’offusquent, contre ceux qui jugent la loi « liberticide ».

« Est-il liberticide de soutenir un texte qui se propose de substituer aux peines de prison actuellement prévues des messages d’avertissement et éventuellement une suspension d’abonnement aux internautes qui téléchargent illégalement nos œuvres ?« 

Oui, c’est liberticide. Nous l’affirmons haut et fort, sans trembler, droits dans nos bottes, menton levé et yeux grands ouverts, pointés dans les leurs. Parce que justement, la loi ne vise pas ceux qui « téléchargent illégalement nos œuvres », mais les titulaires des abonnements à internet qui ont été utilisés pour télécharger illégalement. Or s’ils veulent se protéger, ces abonnés devront mettre en place chez eux des filtres dont on ne sait pour le moment rien, si ce n’est que pour être réellement efficaces, ils devront ratisser large, en interdisant par exemple le P2P dans son ensemble, sans différencier les contenus effectivement téléchargés.

Mais le problème n’est pas la liberté, c’est le respect des règles de la démocratie et la république. Quel est l’Etat qui sanctionne ses citoyens sans leur donner la moindre chance de se défendre ? Les procédures prévues par la loi sont fictives et mensongères lorsque dans les faits, il sera strictement impossible d’apporter la moindre preuve matérielle de sa bonne foi.

On ne peut pas tout faire, tout vouloir ou tout demander au nom de la défense de la création, des auteurs, ou des artistes. L’Art n’est pas à ce point sacré qu’il serait au dessus des valeurs fondamentales d’une société démocratique.

Et même, quand bien même l’industrie cinématographique venait à mourir, ce que nous ne croyons et ne souhaitons pas, serait-ce à ce point un drame pour l’humanité tout entière ? Il nous semble qu’elle a très bien vécu sans le cinéma jusqu’au milieu du 19ème siècle, et il nous semble qu’elle doit être capable de vivre à nouveau sans si jamais un tel scénario improbable venait à se produire.


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