Depuis que la CNIL a interdit la chasse aux internautes en France, les lobbys du droit d’auteur en France ont changé leur fusil d’épaule et décidé de s’attaquer aux structures techniques qui permettent aux échanges de fichiers d’avoir lieu. Au cour de l’année 2006, aidé par la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), ils ont multiplié les attaques à l’encontre notamment des serveurs eDonkey en France. La Société Civile des Producteurs de Phonogrammes (SCPP) dit avoir « enjoint à 43 serveurs de réseaux P2P de mettre fin à leur activité », et indique que « 27 ont obtempéré pour l’instant ». Selon nos informations, à chaque fois que la SCPP a obtenu l’arrêt volontaire du serveur (parfois par simple demande formulée par e-mail), elle n’a pas amorcé de poursuite judiciaire.
Mais il n’en est pas de même pour la Sacem, qui a de son côté également entamé des actions à l’encontre de serveurs eDonkey, et souhaite aller jusqu’au bout. Ils se fondent sur l’amendement Vivendi de la la loi DADVSI, qui condamne l’édition d’un logiciel « manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés ». La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique a commencé en 2004 à réunir des preuves sur l’activité de certains serveurs eDonkey, et n’a pas abandonné ses poursuites après les fermetures intervenues il y a plusieurs mois. C’est donc suite à cette politique répressive, et sans qu’aucune mise en demeure n’ait jamais été envoyée, que l’un des administrateurs de serveurs eDonkey en France, qui avait arrêté toute activité liée à eDonkey, a subi la semaine dernière une garde à vue de 48 heures dans des locaux parisiens de la police judiciaire.
Son seul tort serait d’avoir mis en ligne un serveur eDonkey qui, bien sûr, est utilisé massivement pour l’échange de fichiers piratés, mais sert également à la diffusion parfaitement licite de fichiers protégés par des licences plus souples (notamment les musiques de Jamendo, qui fêtait hier son millionnième album distribué par P2P, ou l’ensemble des téléchargements proposés depuis plusieurs années par Ratiatum). Toujours selon nos informations, les autorités qui agissaient selon les éléments réunis par la Sacem s’attendaient à retrouver chez le prévenu les quelques centaines de milliers voire millions de fichiers échangés grâce au serveur eDonkey. Evidemment, ils n’ont rien trouvé si ce n’est quelques CD gravés que l’on trouve dans tous les foyers.
Contactée hier par Ratiatum, la Sacem n’a pas encore réagi à ces informations.
Il ne reste plus qu’un seul serveur eDonkey en France
Suite aux actions conjointes de la SCPP et de la Sacem, un seul serveur eDonkey reste debout malgré les pressions : Cortex. Contacté par Ratiatum, son administrateur indique qu’il n’a pas l’intention de céder mais qu’il a déjà indiqué à la SCPP qu’il était tout disposé à filtrer la liste des fichiers MP3 que lui communiquerait l’organisation qui protège les droits des grandes maisons de disques en France.
« Aucun de nos membres n’ayant, à notre connaissance, autorisé des échanges sur le réseau eDonkey, seules les interprétations tombées dans le domaine public peuvent être échangées sans autorisation. Notre base de donnée étant librement consultable en ligne, tout administrateur de serveur eDonkey est en mesure de déterminer les interprétations tombées dans le domaine public en matière de droit voisin et de créer une base de données de celles-ci« , nous indique Marc Guez, le directeur général de la SCPP. Selon Cortext, cette base de données est cependant inexploitable en l’état puisqu’elle permet uniquement de vérifier si un titre précis figure ou non au répertoire de la SCPP, mais aucune liste exhaustive de toutes les chansons à protéger ne peut être téléchargée pour être ensuite traitée de façon automatisée. La SCPP refuse de lui fournir une telle liste.
« Des entreprises comme Audible Magic ou Snocap gèrent des bases de données de phonogrammes protégés que les administrateurs de serveurs pourraient utiliser pour filtrer les contenus non autorisés », explique M. Guez, pour qui « il appartient aux administrateurs de ces serveurs, et non à la SCPP, de prendre les mesures nécessaires pour filtrer les contenus non autorisés ou, au contraire, pour ne référencer que les contenus dans le domaine public ou faisant l’objet d’une licence libre, du type Creative Commons« .
Actuellement aucune jurisprudence en France ne permet d’affirmer que la SCPP a tort ou raison. La clé figure sans doute dans la qualification juridique du serveur eDonkey. S’agit-il, comme le souhaiteraient les organisations de droits d’auteurs, d’un logiciel d’échange de fichiers, auquel cas l’amendement Vivendi pourrait être appliqué par un juge ? Ou s’agit-il d’un simple intermédiaire technique au sens de la la loi sur l’économie numérique (LEN), auquel cas le régime favorable aux intermédiaries s’appliquerait et obligerait les producteurs à notifier aux serveurs chacun des fichiers à bloquer ?
Si la SCPP maintient son action, Cortex est décidé à aller aussi loin qu’il le faudra pour que jurisprudence soit dite. Pour le gardé à vue de la semaine dernière, le débat juridique aura de toute façon lieu.
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