Par Serge Rivron : Après le pamphlet Voyous du Net contre Culture à vendre, quand la culture vendue s’affiche.

Ils sont 13, les empoisonneurs, comme les convives de la Cène, mais la comparaison s’arrête là, parce qu’il n’y a aucun seigneur parmi eux, ni d’invitation à aucun partage de leur festin de Judas. Ils sont 13 pour que la propagande ratisse large : deux trois nanars auto-proclamés, une vieille bluette du rock à mélo, un duo tragique d’arendbi neuneu, un couple de braillards québécois… des rassis qui valorisent sûr, et des feux follets qui cartonnent… On les a choisis sur mesure et on leur a taillé un slogan bien gras bien plat, un coup de schlague légaliste, un ordre à obtempérer sans discuter: « téléchargez-moi légalement », barrant l’affiche avec tous les logos de leurs marchands en dessous, toutes leurs médailles épinglées sous leurs gueules bouffies de suffisance.

On leur a peut-être même fait croire qu’ils s’engageaient, certains, en acceptant de signer ces affiches de leurs tant consensuels visages ! Que c’était un geste pour la sauvegarde de l’humanité ! Comme les galas qu’ils tiennent sans arrêt au profit de leur mielleuse notoriété !… On leur a dit « Vas-y, c’est courageux et indispensable, vu ce que tu représentes pour le public il va bien t’écouter, toi, tu œuvres pour le futur comme tes chansons, en faisant ça, tu défends l’avenir de la musique, t’es le passé le présent et l’avenir coco, regarde les courbes de tes ventes aussi, putain, bientôt tu pourras plus payer les traites de ta onzième 4×4, tes impôts locaux de ta maison de Marrakech, la pension de Dominique, le studio d’enregistrement que t’a acheté à ta maîtresse, protège-toi mec, porte haut les couleurs de la distribution, de l’édition, de la loi qu’on a fait passer pour toi dans le monde entier pour que tu puisses exprimer tes révoltes à la société méchante et l’émotion, bon dieu, l’émotion que tu sais si bien faire partager, toute cette tendresse derrière tes lunettes, cette poésie dans ta moustache, tes pieds nus qui swinguent si librement ta liberté, toute cette générosité que tu dégages si bellement, les gens ne sauraient pas s’en passer, ils le savent bien va, ils t’aiment et ils comprendront, y’a pas de risque coco, c’est courageux mais c’est sans risque, on va parler que de ça pendant un mois tu vas voir, ça fera même monter tout de suite tes ventes si ça se trouve, allez vas-y signe ! »

Alors voilà, ils ont signé, et sans vergogne. Préfèrent l’abjection que d’être délestés de leurs royalties, à ce qu’ils avouent. Certains d’entre eux, à des époques, chantaient l’insoumission, foutaient leurs chaussettes noires sur la table de salon des bourgeois, paraît-il. Ceux qui disaient que ça se calmerait avec l’âge, que c’était péché de jeunesse et qu’un peu de réussite aurait tôt fait de les faire rentrer dans le rang ne s’étaient pas trompés du tout. Ils avaient bien senti la camelote sous les airs de défi. Cette campagne a au moins le mérite de le révéler à ceux qui naïvement pensaient pas. Que ces tristes apôtres des majors sont plus creux, plus avides, plus insidieux et plus bêtes encore que leurs rengaines. Qu’ils méritent qu’on les oublie au plus vite. Que leurs noms ne figurent plus que sur des documents inattaquables comme leurs comptes bancaires, ou les tables infamantes de l’histoire du mensonge.

Serge Rivron
Auteur du légendaire récit CRAFOUILLI aux éditions Les provinciales, vivant dans la région Rhônes-Alpes, marié, trois enfants.

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