Depuis la rentrée, Numerama vous propose une nouvelle série d’articles pour découvrir la culture coréenne. Ophélie Surcouf a fait le trajet de Séoul à Busan pour couvrir le fameux Festival du Film qui s’y tient tous les ans. Cette première partie raconte l’histoire récente du BIFF, entre mainmise politique et indépendance culturelle.

Si je vous dis Festival international du film de Busan ?

Vous ne pensez probablement pas à Iron Man – et moi non plus ! Pourtant, dans le calme qui enveloppe le festival pendant la cérémonie d’ouverture, un homme équipé de la combinaison de Tony Stark fait des photos avec tous les passants habillés sur leur 31. Un tableau étrange, au milieu des voitures de polices garées autour du tapis rouge et de brochettes de policiers en veste vert-jaune fluo.

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Bienvenue à Busan, la seconde plus grande ville de Corée du Sud. On s’habitue vite à l’improbable ici, comme partout ailleurs sur la péninsule. Encore que le plus improbable – même si on ne le voit pas à l’œil nu – est probablement que la 21e édition du festival international du film ait bien eu lieu.

Il y a à peine vingt-quatre heures, un typhon ravageait la côte. Il a fait sept morts et a détruit ce qui se trouvait près de la plage, y compris le village du festival, une de ses installations principales. « La première chose qui m’est venue à l’esprit [en constatant les dégâts], raconte Kang Soo Youn la directrice du festival pour Variety, c’est peut-être que nous ne sommes pas supposés [avoir le festival] cette année. »

L’orage plane sur le BIFF

Car l’orage plane depuis déjà deux ans sur le BIFF (le petit surnom du Busan International Film Festival). Et aux orages réels s’associent les orages métaphoriques : les imbroglios politiques ont vraiment fait craindre l’interruption du plus grand festival du film d’Asie.

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Sauvé des eaux

L’histoire date de 2014.  Le 16 avril, le ferry Sewol coule et fait 304 morts, dont une majorité de lycéens. La tragédie provoque un raz-de-marée émotionnel et médiatique en Corée. Le capitaine, l’équipage du navire et les opérateurs du voyage sont les principales cibles de la colère des Sud-Coréens. Beaucoup reprochent également au gouvernement sa réaction après le naufrage.

La tension est donc à son comble lorsque le directeur du BIFF, Lee Yong Kwan inscrit le documentaire The Truth Shall not Sink with Sewol (aussi connu sous le nom de Diving Bell) au programme en octobre 2014. Les réalisateurs du film, le journaliste Lee Sang Ho et le documentariste Ahn Hae Ryong, posent en effet un regard très critique sur la gestion gouvernementale des opérations de sauvetages.

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Suh Byong Soo, le maire de Busan et président du festival demande à ce que le documentaire ne soit pas diffusé. Lee Yong Kwan refuse : c’est le début d’un match à base de coups de poings médiatiques.

Premier round : Lee Yong Kwan doit démissionner de son poste et le budget public alloué au festival est d’abord réduit de moitié en 2015 (670 000 euros au lieu de 1,2 millions en 2014). La solidarité entre en jeu : de nombreux artistes y mettent de leur poche et avec le soutien de nombreux grands noms du cinéma, la 20e édition voit le jour en octobre 2015 avec, à la barre, l’actrice Kang Soo Yun comme nouvelle directrice du festival.

Second round : La ville de Busan demande un audit et Lee Yong est accusé début 2016 de détournements de fonds. Il risque jusqu’à un an de prison malgré ses affirmations répétées qu’il s’agit d’une inculpation politique qui ne s’appuie pas sur des faits.

La Corée tient avant tout à ses symboles

Pourtant, personne ne semble douter qu’il s’agit d’un abus de pouvoir dans l’opinion publique. Les médias transmettent clairement le sentiment qu’ils le pensent innocent – ou qu’un tel acharnement n’est pas justifié – à travers leur récit des événements. Quant à l’industrie du cinéma asiatique — et surtout coréenne —, elle fait bloc en faveur de l’ancien directeur. La vérité importe en fait assez peu : la corruption n’émeut personne en Corée où tous les politiques sont à un moment où à un autre impliqués dans des affaires d’argent sordides. Seuls des scandales comme celui qui touche depuis le 26 octobre la présidente Park Geun Hye suscitent l’indignation.

Car la Corée tient avant tout à ses symboles.

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Busan, le symbole

Il faut savoir que le festival du film de Busan n’est pas simplement l’une des plus grandes programmations de films au monde. C’est un phare en Asie où la plupart des pays sont encore sous le joug de la censure.

« Le BIFF est sans rival dans le continent », observe Jean-Michel Frodon, critique de cinéma français et l’un des invités du panel de discussion autour de la crise du festival. « Malheureusement, depuis l’arrivée de la présidente Park Geun Hye au pouvoir et le retour de la droite dure à tous les postes de responsabilité, le cinéma coréen subit des pressions et des restrictions. D’autres festivals importants, comme celui du cinéma numérique (CINDI), ont fermé et le conseil du film coréen (KOFIC) est aujourd’hui affaibli et souvent hostile. »

C’est en mai dernier que s’est déroulé le troisième round. Kim Dong Ho, le très influent et respecté fondateur du BIFF, a quitté temporairement sa retraite et a accepté, exceptionnellement, d’en redevenir le président. Il a également obtenu une importante décision pour l’indépendance politique de la manifestation : les maires de Busan ne seront plus automatiquement nommés président du comité d’organisation.

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« M. Kim a probablement sauvé à lui seul le festival »,confirme Matthew Scott. Journaliste Hong Kongais, cela fait 8 ans qu’il couvre le BIFF. « Il y a beaucoup moins de films et de stars coréennes au rendez-vous, constate-t-il. Les réalisateurs et les acteurs ne veulent pas tenir de conférences de presse parce qu’ils savent que le contexte politique va prendre le pas sur leur film. » De manière générale, il y a aussi beaucoup moins de monde dans le public : 165 000 personnes se sont déplacées en 2016 contre 230 000 l’an dernier. Ce qui n’a pas empêché certains de dormir dehors pour obtenir les tickets des films les plus demandés…

L’une des raisons de cette baisse de fréquentation ? Quatre des neuf organisations du « Comité d’urgence des groupes du film Coréen pour la défense de l’indépendance du BIFF » ont maintenu le boycott annoncé fin 2015. Les cinq autres ont révisé leur position à la suite de la nomination de Kim Dong Ho. L’absence de ces géants se fait toutefois ressentir, surtout avec l’absence du petit chouchou de l’année, Dernier Train pour Busan, dans les salles de cinéma. Le film de zombies a été l’un des plus grand succès de l’année et a bénéficié d’une reconnaissance à l’internationale en passant par Cannes.

Pour l’anecdote, Dernier Train pour Busan fait tout de même référence au festival, comme l’explique Jean-Michel Frodon dans sa critique du film. Non seulement Busan est le seul territoire épargné par l’invasion des zombies, mais on note aussi « qu’un porte-parole du gouvernement assure à la télévision que tout va bien alors que le pays est noyé dans le sang et le chaos »… comme lors du naufrage où autorité et médias niaient la catastrophe.

Et lors de ce festival, tout a été bon pour faire référence à la crise, latente. Parmi les films mis en avant par les programmateurs se trouve l’excellent thriller Rage. « J’ai probablement été choisi à cause du titre ! », plaisante le réalisateur Lee Sang Il pendant la conférence de presse. À côté de lui, Kang Soo Hyun peine à cacher son sourire. En pensant déjà à 2017… si le festival a lieu.

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Photographies : Ophélie Surcouf pour Numerama

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