Manifeste de la volonté française d’établir une régulation, l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace réunit de nombreuses entreprises et cinquante États. Son annonce souligne une victoire en demi-teinte pour la diplomatie française sur un des sujets les plus sensibles aux Nations Unies.

L’opération n’est pas dénuée de portée symbolique : au lendemain des célébrations de l’Armistice de la première guerre mondiale, célébrée à Paris par Emmanuel Macron, Angela Merkel et Donald Trump, Paris présente son appel pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace au Forum sur la gouvernance de l’Internet (FGI) organisé par les Nations Unies (ONU). Ce texte, s’insérant dans un agenda à forte portée symbolique, compte rallier États et grandes entreprises autour d’engagements pour réguler le cyberespace.

Un texte sans les États-Unis

C’est au siège de l’UNESCO que le texte visant à établir un ensemble de principes a été ratifié ce lundi 12 novembre. Parallèlement à cet appel, la France avait prévu de profiter de l’agenda propre au centenaire de la fin de la première guerre pour s’imposer comme acteur de la paix dans le cyberespace. Au Forum de Paris sur la Paix, débuté le 11 novembre — sans les États-Unis — la diplomatie hexagonale a ainsi poussé un volet Nouvelles Technologies.

Toutefois, c’est bien l’appel de Paris qui semble prioritaire pour le Quai d’Orsay. Ce dernier doit réussir là où les précédentes discussions ont achoppé : en juin 2017, la France déplorait l’échec d’un cycle de discussion (dans le cadre du GGE) sur la cybersécurité au sein des Nations Unies. Cette initiative avait échoué à établir des principes communs entre les grandes puissances. Paris a donc choisi de relancer ce sujet en prenant la tête d’un appel rassemblant la société civile, des entreprises privées et des institutions. Hors du cadre diplomatique traditionnel de l’ONU, cet appel rencontrera moins d’obstacles mais il sera en conséquence moins déterminant et ne devrait par ailleurs pas être paraphé par la Chine, la Russie, Israël ou encore l’Australie et les États-Unis.

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Emmanuel Macron au Forum sur la gouvernance de l’Internet, Paris, 12 novembre / UNESCO – Christelle ALIX

Auprès de l’AFP, la diplomatie française tente de nuancer cet échec en soulignant qu’une « masse critique » d’acteurs américains se sont joints à l’appel. Il s’agit là principalement de grandes entreprises dont Microsoft qui a largement pesé sur ce dossier. Brad Smith, président de la firme américaine a fait le déplacement à Paris pour défendre le projet qu’il considère comme un « vrai tournant ». D’autres voix issues du privé ont également soutenu publiquement le texte comme Eugene Kaspersky qui parle d’un « changement très positif, compte tenu du climat de méfiance croissante ». Ils ont été rejoints par 159 entreprises comme Alphabet, Facebook, IBM Intel ou encore Dell. Seul 54 États se sont engagés dont les 28 membres de l’Union Européenne ainsi que tous les membres du G7 à l’exception attendue des États-Unis.

Un vœu pieux

Le gouvernement américain, déjà remarqué par son absence au Forum de la Paix, s’est montré peu intéressé par le texte et la démarche française. Le département d’État aurait considéré n’être « pas en position de ratifier » l’accord selon Politico et a considéré plus tard, auprès d’Inside Cybersecurity que si les États-Unis soutenaient les objectifs de Paris, le Département aurait « des réserves sur certains éléments du texte ». Pour des analystes du secteur privé cité par le média en ligne, le gouvernement fédéral éviterait surtout de nouvelles procédures sur une question déjà difficile à l’ONU et ne croirait pas à l’efficacité de l’initiative française.

Les États-Unis ne sont « pas en position de ratifier » selon le département d’État

Quant à la Fédération de Russie, également absente des signataires, fut, avec Cuba et la Chine, une des principales opposantes des États-Unis lors des discussions du GGE qui ont échoué l’été dernier. Le représentant cubain avait alors noté que l’application du droit international aux enjeux de guerre hybride et d’utilisation par des États de stratégie de déstabilisation via Internet conduirait certaines forces à engager des sanctions et répliques. Or la Russie, souvent dénoncée pour de telles stratégies de manipulation — en Ukraine et plus récemment aux États-Unis — continue de plaider non coupable lorsqu’elle est désignée comme responsable et dénonce systématiquement les sanctions qu’elle subit en représailles.

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« Campus » Microsoft à Issy-les-Moulineaux / Fred Romero

Les signataires se sont engagés sur un nombre de principes généraux qui ne concernent évidemment pas les questions d’espionnage mais plutôt la collaboration entre États et entreprises privées, la lutte contre la prolifération d’outils numériques dangereux, le soutien au développement d’outils de défense étatiques et privés, et l’engagement, pour les acteurs privés, de ne plus répliquer aux attaques subies. Sommaire et plutôt souple, l’Appel de Paris semble surtout un étendard sous lequel la diplomatie française tente de réunir des forces pour relancer un débat difficile.

Jusque-là dispersées, les forces occidentales pourraient profiter de ce ballon d’essai pour avancer sur une approche multilatérale de la régulation du cyberespace. Des entreprises comme Microsoft parlent déjà d’une convention de Genève du cyberespace, un vœu encore pieux.

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