Dans le parterre de jeunes et vieux entrepreneurs venus assister à l’Amazon Academy, il y des convertis qui ne jurent plus que par le FBA (logistique maison d’Amazon) et l’AWS (le cloud du géant), mais aussi de nombreux curieux, parfois rétifs.
« Rouleau compresseur », « géant vampirique », « job-killer » ou encore «GAFA », les dénominations qu’on entend ça et là prouvent une prudence certaine des Français venus voir l’Américain faire des courbettes aux TPE-PME.
« Les Français ne sont pas conservateurs, ils sont prudents », tempère Jean-Daniel Levy d’Harris Interactive, invité par le géant pour analyser les réticences du tissu entrepreneurial national face au web. Et ce mercredi matin, c’est bien un mélange de prudence et de curiosité qui a conduit une assemblée de petits patrons à venir suivre, studieux, le show organisé par la firme de Seattle.
Pousse au web
Première édition d’une Amazon Academy comme elle est appelée, la journée sert de formation et d’invitation, explicite, aux entrepreneurs à se mêler au marketplace du géant. Accueillis par Xavier Bertrand, président LR de la région Haut de France, et Frédéric Duval, boss français d’Amazon, les patrons ont pu entendre le premier se féliciter des emplois créés par le géant et le second promettre que ce n’était qu’un début.
M. Duval va jusqu’à considérer que sa firme créerait pas moins de 7 000 emplois indirects grâce à son marketplace. Dans la salle parisienne louée pour la journée, les petits patrons prennent des notes : les chiffres sont enthousiasmants et sur scène, les success-stories s’enchaînent.
La firme de Seattle s’est payé l’expertise sondagière de Harris Interactive pour présenter à son public un bilan morne de la numérisation des TPE et PME française. Le constat ne semble pas exagéré alors que le CNNum publiait il y a moins de six mois, une analyse guère plus encourageante : la France est déconnectée, et ses entreprises de moins de 250 salariés sont clairement en retard. On comprend vite l’insistance d’Amazon sur cet état des lieux : le géant est venu vendre de la numérisation clef en main à des entreprises déboussolées par le e-commerce et ses ramifications.
Le géant est venu vendre de la numérisation clef en main à des entreprises déboussolées par le e-commerce
Dans la salle, Julie Réjean, experte en marketing stratégique écoute attentivement : pour elle qui conseille des jeunes femmes à se lancer sur le web, les marketplaces n’ont plus de secret. « Je m’occupe principalement de bijoux faits en France. Pour mes clientes, le web est une opportunité seulement si une différenciation est possible », lance-t-elle.
Comprendre : des colliers faits main ne doivent pas trôner sur le tentaculaire site du géant à côté de copies faites à la chaîne à l’autre bout du globe. Les réponses ne viennent pas vraiment des conférences matinales qui présentent un discours rodé et d’exemples pris avec précaution. Nos petits patrons confient attendre davantage les ateliers en comité restreint organisés dans l’après-midi par le géant.
Le meilleur ami des PME ?
L’étude Harris vient marteler que l’optimisme des PME viendrait du e-commerce, que les pionniers de la vente en ligne sont majoritairement en croissance — jusque 10 points de plus que leurs homologues rétifs. Le message est passé : qui que vous soyez, allez en ligne, et avec Amazon, c’est mieux. Balayant l’ensemble de ses activités, le géant fait des courbettes : gestion de la logistique nationale et internationale, service après-vente, soutien et conseil pour conquérir de nouveaux marchés, etc. Bref, Amazon voudrait être le meilleur ami des PME.
Dans la salle, un micro-entrepreneur s’interroge : « Et moi, je vous intéresse ? » Patrick Labarre, le directeur français du marketplace répond du tac au tac : « Évidemment, nous voulons vous laisser l’opportunité de rester seul, nous nous occupons du reste. » Le reste c’est récupérer le produit, le promouvoir, le distribuer et assurer son suivi. En somme tout ce qui nécessiterait aux petits des investissements lourds — en logistique. Et lorsque nous interrogeons Frédéric Duval sur la facilité pour un entrepreneur peu connaisseur du web d’accéder aux services du géant, il balaye en pointant du doigt son iPhone : « En deux heures, avec ça, vous êtes en ligne et dans nos étals ». L’opération charme est lancée.
Les petits seront-ils séduits ? Certains tempèrent déjà en se rappelant leurs mauvaises expériences : on nous raconte l’histoire de ce collègue qui a vu ses produits déréférencés du jour au lendemain, mais aussi la complexité du moteur de recherche produit qui demande, à l’instar d’un Google, une vraie expertise en référencement. Les problématiques classiques du retail deviennent des enjeux web pas toujours moins coûteux en temps : achat de mots-clefs, surveillance des commentaires, optimisation des descriptions… Oui, la plateforme demande une certaine agilité pour parvenir aux résultats vertigineux des exemples mis en avant.
Une tonne de homards en 12 heures
Ces exemples parlent toutefois d’eux-mêmes : Jérôme Desvouge, de Prêt à Pousser, startup française dans le jardin intelligent, parle d’une multiplication par sept de son chiffre d’affaires sur la marketplace, quand les boutiques Nature & Découvertes, Darty et Boulanger n’ont vendu que deux fois plus de plantes l’année passée.
Même enthousiasme du côté de la petite boîte du Finistère Poissonnerie.com qui parle inlassablement du Prime Day durant lequel elle a vendu une tonne de homards vivants en 12 heures. À quel coût ? Il a fallu consentir à un rabais nous explique-t-on, et intégrer une vente flash, véritable clef du succès sur Amazon. Toutefois, pas question de garder des prix bas toute l’année : selon les petits patrons, la différence entre l’Américain et ses concurrents français serait une clientèle régulière, n’attendant pas seulement les grosses dégriffes pour se faire plaisir. Sans parler de l’accompagnement logistique et de l’autonomie,
10 000 TPE et PME ont franchi les portes du marketplace
Elles seraient, selon M. Duval, déjà 10 000 TPE et PME à avoir franchi les portes du marketplace pour vendre en direct à de nouveaux clients des produits de tout type, des pommeaux de douche, des ustensiles de cuisine, du homard et des champignons en kit. Rêve ultime de ces petits grandissant dans l’ombre du géant : accéder à des marchés européens en quelques clics. Loin d’être impossible, leur répond-on.
Certains en oublient déjà leur distributeur traditionnel considérant les avantages du géant… au risque de perdre toute indépendance à son égard ? Dodow, startup française qui doit son succès à la firme de Bezos (elle a vendu 1 800 unités de son produit lors du Black Friday) s’en moque : « Si demain, nous ne vendons plus que sur Amazon, c’est même pas grave, ils sont moins chers, plus performants et efficaces… »
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