Membre de l’Alliance Public-Artistes qui soutient la création d’une licence globale pour légaliser les échanges de musique en contrepartie d’une rémunération collectée par les FAI, la Spedidam est avec l’Adami chargée de la gestion des droits des artistes-interprètes. En charge du droit des nouvelles technologies à la Spedidam, Lionel Thoumyre a un emploi du temps bien chargé en cette période de débats houleux sur le projet de loi DADVSI, mais nous accorde de longues réponses à nos questions :
Ratiatum.com : La licence globale que vous proposez avec les membres de l’Alliance Public-Artistes est critiquée de toutes parts depuis le 21 décembre, où le débat a pris un tour politique. En premier lieu la viabilité économique et la justesse de répartition des sommes collectées est très critiquée. En étant très concret, quelle est l’ampleur des sommes qui peuvent être soulevées par une licence globale et selon quelles proportions seraient-elles réparties aux organisations des différents ayant droits ?
Lionel Thoumyre : La licence globale doit faire l’objet d’un vrai débat public. Mais cette mascarade qui consiste à lancer à la va-vite deux ou trois bons mots assassins – tels que » la licence globale, c’est la mort du droit d’auteur » – fondés sur des idées fausses, ce ne sont pas des critiques. C’est de la caricature qui confine à de la désinformation. De l’autre côté, vous avez une majorité silencieuse, représentée par 75% des internautes favorables à la licence globale et par 13 482 artistes signataires d’une pétition en ce sens. Pour en venir à la viabilité économique, c’est simple : quelle est la viabilité économique de la radio, de la télévision, de la copie privée sur les supports d’enregistrement … ? Est-ce que ces différentes utilisations ont porté ombrage aux ventes de musiques ou aux entrées dans les concerts ? Non. La licence globale sur internet n’a pas plus vocation à se substituer à la vente de disques, aux sites de téléchargement commerciaux et encore moins au spectacle vivant. Dès lors, elle n’a pas non plus vocation à devenir la seule source de rémunération de l’artiste. Elle doit permettre de dégager une source de revenus complémentaires pour les artistes. Les sommes qui pourraient être soulevées par une licence globale optionnelle seraient comprises entre 300 et 400 millions d’euros par année.
La Sacem est radicalement contre la licence globale alors qu’elle percevrait une part importante des sommes collectées. N’est-ce pas un signe convaincant que votre projet est défavorable aux auteurs qu’elle défend ?
LT : Parmi les 13 482 signataires de la pétition pour la licence globale, beaucoup d’artistes sont également auteurs-compositeurs et, à ce titre, membre de la SACEM. Cet organisme tente cependant de riposter en faisant tourner sa propre pétition. Et savez-vous comment elle est intitulée ? » Le droit d’auteur est en danger ! Non à la fin de la création musicale » … La problématique de l’échange des œuvres sur internet n’y est pas du tout expliquée, et encore moins la licence globale optionnelle, et on y présente pléthore de contre vérités. Si je suis un auteur-compositeur mal renseigné, je signe tout de suite non ? Quelle crédibilité devons-nous accorder à ces procédés ?
Comment être sûr qu’un artiste écouté par un petit nombre d’internautes soit lui aussi rémunéré, et que les sommes collectées n’aillent pas uniquement vers les habitués du top 50 ?
Parce que le peer-to-peer n’est pas un moyen de diffusion contrôlé par quelques multinationales. Parce que les œuvres qui s’y échangent sont identifiables à partir de l’analyse des métadonnées (identifiants contenus dans le fichier qui transporte les œuvres) ou du haché (empreinte unique d’une œuvre numérisée) au niveau des serveurs intermédiaires, qui stockent temporairement les contenus circulant sur internet. Parce que les sommes collectées pourront ainsi être réparties auprès des artistes de chaque œuvre identifiée sur le réseau.
Nicolas Sarkozy organisait lundi une réunion avec de nombreux acteurs du monde culturel et de l’internet, parmi lesquels figuraient des représentants des maisons de disques, de la Sacem, des distributeurs, et également des consommateurs, mais aucun représentant des artistes-interprètes que vous défendez. Pourquoi cette absence dans un débat qui vous concerne très directement ?
Les 15 membres de l’Alliance Public-Artistes, à laquelle appartient la SPEDIDAM, lui ont demandé d’être reçu. Seuls l’UFC Que-Choisir et les Audionautes ont été invités. Pourquoi ? Sans doute par ce que cela fait un peu désordre d’avoir des voix dissonantes dans l’univers artistique. Tout cela donne encore la désagréable impression que les dés de la concertation sont pipés.
Tous les signaux semblent en rouge sur la licence globale. François Hollande lui-même s’est dressé contre le groupe parlementaire du Parti-Socialiste pour souhaiter un dispositif de conciliation » qui ne soit pas la licence globale « . Face à ce consensus droite-gauche, est-ce la fin du débat ? Garantir à tous cinq copies privées et supprimer les sanctions pénales lorsque les DRM sont contournés pour l’interopérabilité, n’est-ce pas une solution satisfaisante ?
Nous osons encore croire que nous sommes en démocratie et que l’opinion de nos députés ne se résume pas à celle de leurs chefs de file. Quant aux » cinq copies privées » … appelons-les plutôt les » cinq copies contrôlées « , car la copie privée ce n’est pas cela ; c’est aussi le fait de télécharger pour son propre usage. Le projet du Ministre, même dans sa version bis, demeure toujours aussi bancal. Le principe de » réponse graduée « , permettant de distribuer de » simples » contraventions aux plus petits téléchargeurs est étonnamment liberticide. Non seulement il nécessiterait une surveillance généralisée des flux entre individus, mais encore, il implique la distribution d’amendes sans aucune procédure judiciaire. Ce sera la loi de l’arbitraire.
Pour finir, une remarque plus qu’une question. L’Alliance Public-Artistes souhaite un débat sur la licence globale et se sent probablement isolée, mais son site internet (lalliance.org) n’offre aucun espace de discussion : ni blog que l’on peut commenter, ni forum. Pour investir internautes et artistes autour de cette idée, ne faut-il pas un mode de communication plus participatif ?
Le site est conçu pour communiquer dans le cadre d’un débat en urgence, nous concentrons nos énergies sur les discussions parlementaires. Mais si l’urgence est levée et que le gouvernement accepte véritablement le débat public, on peut très bien envisager que le site de l’Alliance devienne l’une des plates-formes de ce débat là.
Merci Lionel Thoumyre.
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