Après la relaxe dont avaient bénéficié les accusés en 2013, Skype a présenté mercredi devant la cour d'appel de Caen ses arguments contre les co-fondateurs de l'ancienne start-up VEST Corporation, accusée de contrefaçon et d'intrusion frauduleuse dans un système informatique. En jeu : le droit à la décompilation pour les développeurs qui cherchent à créer des produits interopérables avec la concurrence.

L'audience a duré 6 heures, et a été mise en délibéré au 12 janvier 2015. La Cour d'appel de Caen a entendu ce mercredi les arguments de Skype, qui poursuit les co-fondateurs d'une ancienne start-up française pour avoir mis à jour le protocole secret de Skype, en violation de leurs droits de propriété intellectuelle. En première instance, le TGI de Paris avait débouté les plaignants en reconnaissant le droit au reverse engineering des entreprises qui cherchent à étudier le fonctionnement d'un produit concurrent, sans pour autant en distribuer de copie.

L'affaire avait commencé en juin 2011, lorsqu'un hacker russe, Efim Bushmanov, avait révélé le protocole de Skype sur son blog, en expliquant qu'il s'appuyait sur des fichiers binaires déchiffrés publiés par VEST Corporation, la start-up caennaise qui a depuis mis la clé sous la porte. La révélation intervenait au moment-même où Microsoft investissait 8,5 milliards de dollars pour s'offrir Skype, ce qui était la plus grande acquisition de son histoire.

Installée en 2007 dans un "Pôle de compétitivité sur les Transactions Electroniques Sécurisées" créé à Caen, VEST Corporation avait été fondée par Christian Durandy, qui s'occupait des aspects commerciaux, et par un certain Sean O'Neil, un brillant cryptologue. Le but de la société était de créer une forme de "Skype à la française", interopérable avec le logiciel de référence, dont la sécurité serait renforcée et surtout garantie aux clients, alors que le fonctionnement de Skype restait opaque.

C'est dans le cadre de ses travaux de recherche que O'Neil avait découvert en 2010 une clé de chiffrement de Skype, et dévoilé des détails sur les protocoles de chiffrement utilisés par le logiciel de VoIP, lesquels ont ensuite été repris par le hacker russe. A l'audience, la défense explique toutefois que ce n'est pas O'Neil lui-même qui aurait diffusé les informations, mais un "ami" à lui, probablement "sous l'effet de l'alcool".

Quoi qu'il en soit, sur le fond de l'accusation en contrefaçon, aucune copie de Skype n'a été distribuée par les co-fondateurs de VEST Corporation, contrairement à ce qu'alléguait l'éditeur dans sa plainte. Seuls des algorithmes, qui ne sont pas protégés en tant que tels par le droit d'auteur, ont été divulgués. Or pour les obtenir, O'Neil n'a fait que profiter de l'exception pour décompilation prévue par l'article L122-6-1 IV du code de propriété intellectuelle :

IV. La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1° ou du 2° de l'article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :  

1° Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d'utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;  

2° Les informations nécessaires à l'interopérabilité n'ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1° ci-dessus ;  

3° Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d'origine nécessaires à cette interopérabilité.

Le même article de loi ajoute que les informations obtenues par la décompilation ne peuvent pas être "communiquées à des tiers", mais tout le problème de l'accusation est de démontrer que la communication est bien le fait de Sean O'Neil lui-même. En tout état de cause, elle n'était pas le fait de Christian Durandy, représenté à l'audience par l'avocat caennais Christophe Alleaume, qui plaide la relaxe.

Les deux hommes sont également poursuivis pour "accès frauduleux", "entrave au fonctionnement", "introduction frauduleuse de données" ou encore pour la mise à disposition d'un outil "adapté pour une atteinte au fonctionnement" d'un système informatique. Mais ces accusations sont mal étayées par Skype, et reposent principalement sur une campagne de spam qui a succédé la publication par Efim Bushmanov.

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