Vous l’ignorez probablement, mais Miss France a son pendant agricole. Le concours Miss & Mister Agri, organisé sur Facebook, ne cesse de prendre de l’ampleur. Plongée dans les coulisses de cette institution résolument moderne.

L’histoire commence un petit matin de novembre avec ce statut Facebook posté par un proche : « Héhé je suis sur Mister Agri 2017 votez pour moi les amis ! ». Cette demande laconique, avec si peu d’explications, est accompagnée d’une belle photo et d’un court texte de présentation. Il s’appelle Nicolas, officie comme berger dans les Alpes-Maritimes et n’a pas trente ans. Il pose devant ses montagnes, jumelles au cou. Evidemment, on s’exécute, on clique sur le lien fourni, on veut bien faire et faire plaisir. Et hop, 114 likes pour le berger.

Piqué au vif et attendri, on parcourt le reste. Se succèdent régions de France et spécialités agricoles, photos d’humains et d’animaux, hommes, femmes, jeunes ou moins jeunes. Parmi tout ce beau monde se cachent deux futures stars : la Miss et le Mister Agri 2017. La page Facebook compte plus de 7 500 fans, 400 candidats et enregistre 700 000 vues, ce qui n’est pas rien. Loin des terres, personne n’en a jamais entendu parler. Dans le monde agricole, il y est solidement enraciné depuis trois ans.

Miss et Mister Agri 2017, deux futures stars

Pour tenter sa chance, les conditions sont très simples : il faut être agriculteur, étudiant ou salarié. Le participant envoie une photo, obligatoirement en tenue de travail, et une petite présentation. L’équipe organisatrice, après validation, poste tout ça sur la page Facebook. Les internautes peuvent voter jusqu’au 15 décembre à minuit. Les 20 photos de chaque catégorie ayant le plus de likes seront enfin examinées par un jury qui, après délibération élira la Miss et le Mister Agri de l’année. Cette année, en marge du concours, on a aussi ouvert une catégorie spéciale pour les moins de dix-huit ans.

Comme pour la cérémonie des Miss France, il s’agit de voter pour une et un candidat plutôt beau, sexy et inspirant. Mais la comparaison s’arrête là. Ici, ni strass ni paillettes, aucune cérémonie, ambiance relâchée. Tout se fait sur Facebook, de manière complètement informelle, avec un budget quasi nul. Et pour ceux qui n’auraient pas bien compris l’affaire et qui se prendraient un peu trop au sérieux, le ton de l’encart de présentation sur la page d’accueil est là pour dissiper toute ambiguïté : « Le concours Miss & Mister Agri 2017 est un concours sur Facebook purement amical. Il est destiné à mettre en valeur l’agriculture de notre beau pays ainsi que les femmes et les hommes qui y participent ». Plutôt qu’un sex-symbol, on recherche davantage une incarnation.

Alexia 22 ans, Miss Agri originelle

Alexia, 22 ans, est l’une des trois organisatrices. Elle habite en Franche-Comté et fait de la polyculture dans une exploitation familiale. Son pedigree ? C’est la toute première Miss Agri, élue en 2013. Les deux organisatrices à ses côtés ne sont autres que les Miss Agri des deux années d’après. Les quelques 935 votes qu’a reçu Alexia en 2014 lui ont permis de se hisser parmi les finalistes avant d’être choisie par le jury. Après sa victoire, il y avait bien eu quelques retombées locales, dans la presse régionale, pas plus, mais c’était déjà pas mal.

De toute façon, cette Miss Agri historique n’envie ni les vraies Miss France, ni ses collègues paysans devenus célèbres après avoir participé à l’Amour est dans le Pré, la seule émission télévisée faisant la part belle aux agriculteurs. « Ici, dit-elle, c’est sain ! Il n’y a pas d’argent, c’est bon enfant, on veut juste s’amuser. On bannit automatiquement tous les commentaires déplacés. Et chez nous les filles n’ont pas besoin de jouer les bouts de viande, elle ne posent pas en débardeur, on est comme on est, des agriculteurs ! ».

fabien

Fabien et sa vache

Parmi les prétendants 2017, certains candidats font un malheur. Côté hommes, Fabien, 23 ans, salarié agricole en Basse-Normandie, terrasse ses adversaires avec plus de 1 100 likes. Dans la dizaine de commentaires qui accompagnent la photo, on le complimente lui mais on s’extasie aussi sur la guest-star, sa vache. Quelques agricultrices, conquises, regrettent de ne pas avoir un Fabien près de chez elles. Une citadine infiltrée dans ce monde qui n’est pas le sien se lancerait presque dans l’agriculture. Quand on demande à Fabien la raison de son succès, il peine à la trouver. Il est certes très mignon, la vache aussi, mais il y en a pourtant d’autres. Seule explication possible : un bouche à oreilles formidablement efficace auprès des amis et des amis d’amis.

Chez les femmes, Mélanie Hissler, avec plus de 2 000 votes, est elle aussi très bien placée. Cette fois-ci, ce n’est pas une vache qui accompagne cette agricultrice de 19 ans du Bas-Rhin, mais un tracteur. Cela ne doit rien au hasard, en témoigne la fin de son texte de présentation : « […] Je travaille avec mon père sur une petite exploitation polyculture, je suis passionnée de biologie et de machinisme de façon générale. J’aimerais très sincèrement pouvoir éliminer les stéréotypes, le monde agricole est très ouvert, les gens devraient comprendre que tout le monde y a sa place ». Au téléphone, elle précise sa pensée : « C’est vrai qu’au départ, on récompense la beauté et tout ça, mais c’est aussi un engagement, on veut montrer que les agriculteurs sont là, malgré la crise, on veut les faire connaître, autant les filles que les garçons ».

Engagé et bon enfant : c’est peut-être ça qui, au fond, rend ce concours si particulier. L’histoire de sa naissance a la même saveur. L’idée de Miss et Mister Agri émane au départ de l’un des groupes les plus populaires chez les agriculteurs : VIP : Very Important Paysan. Fort de ses 70 000 fans et de sa centaine de publications hebdomadaires, l’endroit fait l’effet d’une grande cour de récré où circule exactement ce que l’on trouve ailleurs sur le net mais à la sauce paysanne : des blagues, des détournements, des challenges, des felfies (contraction de farming et selfie), des tests de tracteurs en GoPro et même des vidéos live des premières moissons.

Very Important Paysan

C’est au milieu de cette cohue qu’en 2013, une adhérente du groupe propose, spontanément et presque pour rire, d’organiser un concours d’agricultrices calqué sur celui des Miss France. Flavien Roussel, community manager de la page, prend la proposition au pied de la lettre et lance la première édition. Énorme succès. Le 7 décembre 2013, Alexia devient officiellement la première Miss Agri — à l’époque, les hommes ne participent pas encore.

L’année d’après, le bébé échappe à son papa : Patricia Freyssac, une éleveuse dans le Cantal archi-motivée, se réapproprie l’idée et crée une nouvelle page Facebook pour la seconde édition. Flavien n’est pas consulté. À l’époque, cela le chagrine un peu. Aujourd’hui, c’est digéré, la cause paysanne transcendant les bisbilles. Pour preuve, il relaie chaque année le concours sur la page VIP pour booster la participation.

En 2014 donc, pour la seconde édition, Patricia rebaptise l’évènement en Miss France Agricole. Plus que jamais, il s’agit d’aller taquiner les Miss France. C’est peut-être ce nom, un poil plus propice au buzz que le précédent et les quelques coups de com de Patricia qui déclenchent un embryon de couverture médiatique : une dépêche AFP que quelques médias relaient timidement. Cette année-là seulement, le concours sort un peu de ses terres. En 2015, il redevient Miss et Mister Agri et retombe dans le silence médiatique. Mais sur Facebook, on n’a rien lâché, il plaît toujours autant.

Un succès qui ne faiblit pas

Que les agriculteurs accrochent à ce point avec Facebook, cela ne surprend guère Pierre Boiteau, journaliste et directeur des rédactions du magazine Terre-Net, un journal en ligne destiné aux professionnels de l’agriculture. Ce média est arrivé très tôt sur Internet, en 1997. Alors que la presse traditionnelle n’y croyait pas, les agriculteurs, eux, l’ont vite adopté. Pierre Boiteau était donc aux premières loges pendant la transformation numérique : « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les agriculteurs ont toujours été technophiles. Ils ont adopté Internet avant tout le monde et savent très bien s’approprier les nouvelles technologies pour répondre à leurs problématiques. Ce fut le cas avec Internet et Facebook. Il font la même chose avec les drones pour s’occuper de leurs champs ».

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Mélanie Hissler dans son tracteur

Sur Facebook, les agriculteurs sont fiers de montrer leur travail, leurs machines, leur cheptel. Ils y partagent leurs galères, leurs tuyaux, se sentent moins seuls. Ce qui arrive en ce moment à Mélanie Hissler, la jeune candidate alsacienne aux 2 000 likes, en est l’exemple même : depuis le début du concours, elle dit avoir reçu au moins une vingtaine de messages privés. Ses correspondants l’ont certes complimenté sur sa beauté mais ils se sont aussi et surtout renseigné sur le quotidien d’une agricultrice en Alsace : est-ce qu’il y a autant la crise chez toi ? elle est comment, la météo ? c’est facile, au quotidien ? etc.

Car l’agriculture est peut-être la seule profession où travail et vie personnelle ne font qu’un. Peu de week-ends, peu de vacances. L’identité est là, dans les terres, surtout pas ailleurs. Parler de son travail, c’est parler de soi, et vice-versa. Le tracteur est cassé, il faut en parler. La moisson est réussie, il faut le dire aussi. Tout l’inverse de la plupart des professions citadines où, en-dehors du temps de travail, on essaie de l’oublier ou, à défaut, de le circonscrire soigneusement. Il n’est donc guère étonnant que Miss et Mister Agri, au départ un concours de beauté, se transforme en une sorte de café du commerce virtuel.

Miss et Mister Agri se transforme en une sorte de café du commerce virtuel

Un vrai café du commerce, hors terre et hors Facebook, il y en a quand-même un, un très très grand : le Salon de l’Agriculture. Ce grand instant de réconciliation entre la ville et les champs, l’élite centralisée et les précaires éparpillés, les médias et les taiseux. Les Miss Agri ne dérogent pas à la règle : elles aussi rêvent du Salon de l’Agriculture. Cela tombe bien car cela fait partie du lot : le journal Terre-Net co-finance, avec d’autres partenaires, le convoi de la gagnante accompagnée de la personne de son choix vers la capitale.

Gagnante qui, souvent, n’aurait pas eu les moyens de s’offrir le voyage, tout coûte si cher à Paris. Au Salon, elle rencontrera les autres agriculteurs, fière et timide, et arborera elle aussi son écharpe blanche brodée. Le Mister Agri, lui, restera en ses terres, mais recevra tout de même un exemplaire de Farming Simulator 17, un excellent jeu vidéo où l’on gère une exploitation agricole. Nul doute qu’il adorera.

Salon de l’Agriculture x Miss France

Le Salon de l’Agriculture. Miss France. On repense à ces deux traditions bien françaises quand soudain surgit une réminiscence. On se souvient que, chaque année, il est d’usage que la nouvelle Miss France, la vraie, se rende au Salon de l’Agriculture. À peine la Belle foule-t-elle la paille que pleuvent les flashs et les questions des journalistes. Pour le coup, le tapage médiatique est, chaque année, fidèlement renouvelé.

Avec le recul et en forçant le trait, il y a quelque chose de déconcertant dans ce conte moderne : l’histoire de la Princesse qui rend visite aux bouseux, ses mains blanches et délicates qui toucheront peut-être pour la seule fois de l’année le museau d’une vache. Dès lors, on comprend un peu mieux pourquoi il est si tentant de parodier l’institution, de jouer les Miss France comme les enfants jouent à la poupée. On comprend mieux l’envie, si ce n’est le besoin, d’avoir une égérie à laquelle on puisse s’identifier. Une Miss Agri.

nicolas

Nicolas, prétendant 2017

Enfin quatre Miss Agri. Car, surprise de dernière minute annoncée sur la page Facebook dans un post ultra enthousiaste : cette année et pour la première fois, les quatre Miss Agri seront ensemble, coudes serrés, au Salon. Elles seront quatre à « défendre leurs valeurs, parler de la crise, représenter au mieux leur métier », bref, « accomplir leur devoir » , disent-elles.

Alors du coup on hésite. On ne sait plus bien quoi suggérer aux caméras scotchées à la vraie Miss France. D’un côté, le « mais allez donc voir aussi les Miss Agri et leurs paires, deviser sur les récoltes et la crise, bon sang ! » Et de l’autre : « laissez-les s’amuser tranquillement dans leur coin. Il n’ont pas besoin de vous pour exister ». On se souvient aussi des mots un peu forts, mais probablement justes, prononcés par Pierre Boiteau : « Avec ce concours et leurs pages Facebook, ils veulent montrer une chose : ce n’est pas parce qu’ils conduisent des tracteurs que ce sont des bouseux ».

Le 17 décembre prochain, ces égéries atypiques, sorties de la glaise de Facebook, auront donc un nom, un visage, probablement des vaches et un tracteur.

Ce n’est pas parce qu’ils conduisent des tracteurs que ce sont des bouseux
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