S'il fallait démontrer que la démocratie ne se résume pas à l'élection, voire que l'élection n'est pas la démocratie, le "référendum d'initiative partagée" (RIP) serait certainement d'une grande aide. Prévu par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, le RIP est le nom qui fut finalement donné par sincérité d'âme à la vieille promesse politique d'un "référendum d'initiative populaire". Le dispositif était déjà très difficile à mettre en oeuvre dans ses grandes lignes de 2008, mais les textes d'application précise qui viennent d'être ajoutés pour encadrer son exercice (par Internet) achèveront sans doute de convaincre du ridicule.
Plutôt que de permettre au peuple de jouir de sa suprême souveraineté pour mettre un véritable référendum "d'initiative populaire" aux voix, le dispositif de 2008 confie aux seuls parlementaires élus le pouvoir de déposer une proposition de loi référendaire, et donc a contrario de faire obstacle aux demandes populaires qui les gêneraient. Si la proposition est déposée et si elle signée par un cinquième des députés et sénateurs, le texte devient alors ouvert aux "soutiens" par les citoyens pendant neuf mois. Et si enfin 4,5 millions de signatures (un dixième des électeurs inscrits) sont recueillies, alors la question sera finalement posée au peuple.
Voilà pour les grandes lignes. En pratique, une loi organique du 6 décembre 2013 qui a reçu ce vendredi 12 décembre 2014 son décret d'application fixe les modalités d'exercice de ce référendum d'initiative partagée, lorsqu'il passe dans la phase des soutiens, qui devra se faire obligatoirement à travers un site Internet.
Le décret qui a curieusement (c'est un euphémisme) reçu le feu vert de la CNIL prévoit que la liste des électeurs qui soutiennent une demande de référendum est publiée dans son intégralité, par ordre alphabétique. Pire, la liste doit "préciser pour chaque électeur soutenant la proposition de loi" :
- son nom,
- son ou ses prénoms
- sa commune, son village ou son consulat d'inscription sur les listes électorales, tels que saisis par l'électeur.
Pour s'assurer que le signataire ne triche pas sur son identité déclarée, le site internet demandera aussi l'adresse complète et le numéro de carte d'identité ou de passeport, et croisera les données avec l'INSEE pour vérifier si la saisie est cohérente. De son côté, la CNIL suggère même "des mesures additionnelles de contrôle (…) telles que l'interrogation du fichier électoral aux fins de vérification de la capacité électorale des personnes concernées", ou carrément "une solution d'authentification adaptée à la gestion de ces référendums" (ça tombe bien, France Connect est prévu pour 2016).
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Ainsi n'importe qui pourra vérifier avec quasi certitude si son voisin soutient telle proposition polémique, le législateur ayant estimé que le soutien n'avait pas à être protégé par les principes du secret du vote, même si en pratique l'on sait que ceux qui soutiennent voteront oui. On imagine les pressions que pourraient subir les éventuels soutiens, qui s'abstiendront de signer, ou au contraire se sentiront obligés à le faire.
La loi organique ouvrait pourtant la voie à une solution moins intrusive, puisqu'elle disposait uniquement à son article 7 que "la liste des soutiens apportés à une proposition de loi peut être consultée par toute personne", sans exiger explicitement aucune forme de mise en ligne. Lorsqu'il s'est agi de protéger la confidentialité du patrimoine des élus malgré l'exigence de transparence, on se souvient que les parlementaires ont su exiger que la consultation se fasse en Préfecture.
Mais la même précaution n'a pas été prise pour assurer la confidentialité des opinions des citoyens, dont le respect est pourtant essentiel au regard des principes de vie privée et de liberté de pensée consacrés par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, le Pacte des droits civils et politiques de 1969, la Convention européenne des Droits de l'homme de 1950, ou encore la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (pardonnez du peu).
Certes, la publication est peut-être nécessaire pour permettre la contestation des soutiens, si l'on découvre une tricherie malgré les précautions prises. Mais était-ce bien utile d'aller dans ces extrémités pour éviter que quelques fraudes ne provoquent la tenue d'un référendum, sans que ça ne préjuge en rien du résultat final ? Faut-il vraiment éviter à ce point les convocations aux urnes sur des sujets qui intéressent une partie substantielle des Français ?
Décidément mal inspirée, la CNIL se satisfait de ce que théoriquement, par l'effet bien connu du respect spontané de la loi, "toute finalité de prospection, commerciale ou politique, à partir des données à caractère personnel traitées dans le cadre du dispositif RIP est proscrite". Une vaste blague pour qui se doute que les données seront vite aspirées au mépris de la loi. Quelle aubaine pour compléter un listing de prospects qualifiés. Quelle chance pour les bureaux locaux des partis politiques de vérifier qui pense quoi sur le sujet dans un quartier, en croisant les listings avec leurs propres fichiers.
Or là encore, la CNIL fait preuve d'une naïveté confondante lorsqu'elle "estime que le ministère doit mettre en œuvre les mesures adaptées pour éviter tout détournement de finalité" et "notamment d'éviter toute récupération des données de manière automatique, de paramétrer l'indexation de façon proportionnée".
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