Après la publication lundi de l’étude bretonne qui indique que la loi Hadopi a pour effet d’augmenter le piratage et en particulier les pratiques de téléchargements sécurisés et de streaming, nos confrères d’ElectronLibre ont interrogé David El Sayegh, le secrétaire général du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), pour recueillir sa réaction. Selon le représentant des grandes maisons de disques, on ne peut accorder « aucune » crédibilité à l’étude, car « seule une analyse des réseaux et notamment des flux issus des ports peer-to-peer permettrait de garantir la véracité des faits énoncés« . « Or il n’en est rien s’agissant de l’étude en question qui se contente d’un relevé d’opinions et d’intentions« , ajoute-t-il.
C’est très vrai. Nous avions d’ailleurs accordé très peu de crédibilité à l’étude de la SCPP, la société soeur du SNEP, qui affirmait sur la base d’un relevé d’opinions que 88 % des P2Pistes français étaient sensibles à la riposte graduée. Et nous avions accordé encore moins de crédibilité au relevé d’intentions pourtant largement repris dans leur lobbying par l’industrie du disque et par le gouvernement, qui concluait qu’en Grande-Bretagne 70 % des internautes arrêteraient de télécharger après réception d’un premier avertissement. On n’avait d’ailleurs pas entendu les lobbyistes reprendre la même étude mise à jour moins d’un an plus tard, qui faisait tomber le même chiffre à 33 %. Sans doute avaient-ils réalisé entre temps que les sondages ne veulent rien dire, et que seule l’analyse des flux permettra de jauger l’efficacité de la riposte graduée.
Prenons rendez-vous. « Un premier bilan pourra être effectué 1 an après sa mise en œuvre effective« , dit d’ailleurs David El Sayegh. Et ça tombe bien, c’est le même délai qui était accordé par les accords Olivennes au développement de l’offre légale : un an après la mise en œuvre effective de la riposte graduée. On peut toujours attendre…
« Le P2P ne sera jamais supplanté par le direct download »
Par ailleurs, David El Sayegh fait dans la méthode Coué à propos du fait que l’Hadopi ne s’attaquera qu’aux seuls réseaux P2P, comme l’a confirmé le dernier décret publié. « S’il existe d’autres manières de pirater que le P2P, cette technologie – déjà ancienne – reste la plus efficace pour les échanges de fichiers audio. Elle est peu couteuse et permet un accès à un nombre significatif de fichiers. Elle ne sera jamais supplantée par le direct download« , prophétise ainsi le secrétaire général du SNEP.
En matière de technologie, il est toujours risqué de tenter des paris sur l’avenir. Mais en l’espèce, le pari du SNEP ressemble davantage à un voeu qu’à un pari. Le SNEP sait très bien que le « direct download » est extrêmement difficile à arrêter, et surtout qu’il ne peut pas donner lieu à une riposte graduée. On peut éventuellement savoir quels serveurs mettent à disposition quels fichiers, et tenter de les bloquer, mais pas savoir qui télécharge quoi. Donc il n’y a plus d’abonné à qui envoyer des avertissements, ou à qui suspendre l’accès à Internet.
On revient donc au régime traditionnel de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui permettait déjà de demander la fermeture de services illicites. Mais encore faut-il pouvoir appliquer la loi. Il est donc là aussi très optimiste de prétendre, comme David El Sayegh, qu’il sera possible de « lutter contre les sites de streaming illégaux » grâce à « l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui permet de bloquer tout contenu illicite communiqué par un service en ligne« .
S’il est vrai que l’article cité permet de demander au tribunal d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier« , le Conseil constitutionnel a toutefois largement limité sa possible mise en œuvre. Les sages ont en effet prévenu qu’il ne faudra prendre que des mesures « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause« . Les ordonnances de blocage ou de filtrage doivent ainsi être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi« , ce qui doit interdire au juge toute mesure susceptible de provoquer un sur-blocage ou qui serait excessivement coûteuse pour le FAI ou l’hébergeur. Et quand bien même un tel blocage serait possible, l’obligation de passer devant un juge au coup par coup limite considérablement son efficacité, et multiplie ses coûts.
Enfin, l’alternative ne se fait pas qu’entre le P2P traditionnel, le téléchargement direct et le streaming. Or David El Sayegh semble complètement ignorer le développement des réseaux P2P sécurisés et des solutions de VPN à tarif modeste qui permettent de télécharger en toute sécurité…
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