La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a confirmé jeudi que les FAI pouvaient se voir ordonner des obligations de moyens pour bloquer des sites internet pirates, mais en prévenant que les droits des internautes devaient être respectés. Y compris par l'Etat qui doit permettre aux internautes de contester les mesures de blocage.

La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a rendu ce jeudi son arrêt UPC Telekabel, dans lequel elle a répondu aux questions de la justice autrichienne sur la légalité des mesures de blocage ordonnées judiciairement aux fournisseurs d'accès à internet, à la demande d'ayants droit dont les droits d'auteur sont violés sur Internet. A cette occasion, la CJUE a confirmé que la directive européenne de 2001 sur les droits d'auteur permettait aux tribunaux d'ordonner aux FAI de bloquer l'accès aux sites internet qui diffusent des contrefaçons. Mais elle a assorti cette confirmation de plusieurs réserves importantes.

En l'espèce, l'opérateur UPC s'opposait à l'ordonnance judiciaire obtenue en 2011 par deux producteurs cinématographiques, Constantin Film et Wega, de bloquer l'accès au site Kino.to, qui proposait des liens permettant de regarder des films en streaming ou de les téléchargement. Celui-ci avait été classé parmi les pires sites pirates du monde par Hollywood avant que les autorités allemandes ne l'obligent à fermer ses portes en saisissant ses serveurs en juin 2011.

En première instance, le tribunal autrichien avait ordonné à UPC Telekabel de bloquer l'accès à Kino.to en utilisant les seuls moyens techniques explicités dans la décision de justice. En appel, la cour avait estimé que c'était au fournisseur d'accès de déterminer et d'utiliser tous les moyens à sa disposition, et qu'il y avait donc une obligation de résultat.

La haute cour d'Autriche, l'Oberster Gerichtshof, avait donc saisi la CJUE pour obtenir son éclairage, en particulier sur l'interprétation de l'article 8.3 de la directive de 2001, qui dispose que "les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue  à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit  voisin".

Le FAI doit prendre "toutes les mesures raisonnables"

Tout d'abord, la CJUE a confirmé que les FAI pouvaient bien être des "intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour (pirater)", même lorsque le piratage en question est réalisé par un site internet qui n'est pas un abonné du FAI. Et donc, qu'il était possible d'ordonner à un FAI de bloquer l'accès à un site pirate.

Mais ensuite, la CJUE a rappelé que l'ordonnance judiciaire devait chercher l'équilibre entre les droits d'auteur d'une part, et d'autre part la liberté d'entreprise des FAI, et la liberté d'information des internautes.

Sur la liberté d'entreprise, qui comporte notamment le droit de ne pas se voir imposer des mesures trop coûteuses, les juges européens estiment que l'injonction judiciaire doit laisser au FAI "le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé de sorte que celui-ci peut choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose et qui soient compatibles avec les autres obligations et défis auxquels il doit faire face dans l’exercice de son activité". L'opérateur peut ainsi se contenter de prendre les mesures les moins onéreuses, par exemple en privilégiant le blocage par DNS ou par adresses IP plutôt que le filtrage par DPI, et s'exonérera de sa responsabilité "en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables".

Le surblocage est une "ingérence injustifiée"

C'est donc bien une simple obligation de moyens qui est demandée aux FAI, et non pas une obligation de résultat. Néanmoins, la cour précise que le FAI doit avoir pour guide le fait que les mesures prises doivent avoir pour effet  "au moins, de rendre difficilement réalisables les consultations non autorisées des objets protégés et de décourager sérieusement les utilisateurs d’Internet (….) de consulter ces objets mis à leur disposition en violation (du droit d'auteur)".

Par ailleurs, et c'est peut-être ce qu'il y a de plus intéressant dans la décision, la CJUE a prévenu que les FAI devaient veiller à ne pas sacrifier les droits des internautes en prenant des mesures qui seraient trop attentatoires à leurs libertés. Ainsi, "les mesures qui sont adoptées par le fournisseur d’accès à Internet doivent être strictement ciblées, en ce sens qu’elles doivent servir à mettre fin à l’atteinte portée par un tiers au droit d’auteur ou à un droit voisin, sans que les utilisateurs d’Internet ayant recours aux services de ce fournisseur afin d’accéder de façon licite à des informations s’en trouvent affectés". Il est donc interdit de procéder à un surblocage par excès de zèle. La CJUE prévient qu'à défaut, il s'agirait d'une "ingérence injustifiée" par le FAI "dans la liberté d’information" des internautes.

Du droit de l'internaute à savoir et à s'opposer

Enfin, la CJUE rappelle aux états membres qu'il est "nécessaire que les règles nationales de procédure prévoient la possibilité pour les internautes de faire valoir leurs droits devant le juge une fois connues les mesures d’exécution prises par le fournisseur d’accès à Internet". De quoi provoquer peut-être une modification de la loi en France.

En effet, si le code de procédure civil prévoit de façon générale la tierce-opposition pour permettre à un individu extérieur à un procès de contester une décision de justice qui l'impacte, aucune publicité des "mesures d'exécution prises" par le FAI n'est prévue par le code de la propriété intellectuelle, qui encadre les demandes d'ordonnances de blocage de sites pirates.

Les FAI peuvent bloquer des sites internet sans dire aux internautes qu'ils sont bloqués, et comment ils sont bloqués. Or s'il n'y a pas de publicité des mesures de blocage, il n'y a pas d'acte auquel s'opposer pour l'internaute qui estimerait être victime d'un surblocage.

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