Ca n’est pas une découverte pour les maisons de disques qui ont commencé il y a déjà plusieurs années à s’adapter à l’évolution de leur marché. Mais les choses semblent vouloir se précipiter. Comme le rapporte The Economist cette semaine, il y a sept ans les deux-tiers des revenus des musiciens provenaient des ventes de singles et d’albums. Aujourd’hui ça ne représente plus qu’un tiers de leurs revenus, les deux tiers restants étant composés des revenus des tournées de concerts, du merchandising et du sponsoring. Il aura fallu moins de dix ans pour inverser la tendance. Nous le voyions d’ailleurs dans les propres chiffres de l’IFPI pour 2006, qui montraient un secteur musical en hausse constante, à l’exception des seuls maisons de disques et disquaires, qui vivent encore essentiellement de la musique enregistrée.
Il y a donc un conflit de plus en plus grand entre les maisons de disques et les artistes, dont les intérêts tendent à diverger. Les maisons de disques aimeraient que les artistes réalisent davantage de promo dans les médias pour leurs albums alors que ces derniers veulent faire davantage de tournées. Les concerts n’ont jamais autant rapporté aux artistes. Aux Etats-Unis, selon Pollstar, le marché des ventes de billets de concerts est passé de 1,7 milliards de dollars en 2000 à plus de 3,1 milliards en 2006 ! Le CD, qui était encore la première source de revenus au moment où Napster est arrivé, devient de plus en plus une publicité à grande échelle pour les activités non enregistrées des groupes et des chanteurs, pour lesquelles les labels ne touchent traditionnellement rien.
Le développement des « contrats à 360° «
Ca n’est pas nouveau dans l’industrie des loisirs. Le cinéma fonctionne depuis longtemps sur ce modèle, avec des sorties en salle très coûteuses en marketing et qui servent souvent en réalité à faire la publicité du DVD qui doit sortir six mois plus tard. Mais Hollywood touche à tous les niveaux. L’industrie du disque doit donc se renouveler pour englober beaucoup plus d’activités musicale dans ses filets. C’est le modèle de contrat global suivi par EMI et le groupe KoRn, dont nous rapportions récemment les premiers résultats financiers. Le groupe et la maison de disques se partagent l’ensemble des revenus générés par l’activité musicale du groupe, avec un taux de rémunération bien supérieur à celui que touche normalement l’artiste sur les ventes de CD dans un contrat classique. Robbie Williams et les Pussycat Dolls ont suivi également cette direction, et les labels se préparent à le généraliser.
The Economist nous rappelle ainsi que le mois dernier, Universal Music a mis 44,5 millions de livres sur la table (auxquels s’ajoutent 60 millions de reprise de dette) pour racheter l’indépendant Sanctuary Records. Cette maison de disques britannique avait été l’une des premières à anticiper la perspective « à 360 E » de son métier, en renforçant beaucoup ses activités annexes. « Les vrais actifs de Sanctuary Group se trouvent en effet ailleurs, dans les nombreuses activités développées autour ou plutôt indépendamment du disque, comme le management d’artistes – James Blunt, Elton John, Fleetwood Mac, Robert Plant… -, le merchandising – pour une trentaine d’artistes dont Oasis, Led Zeppelin, Robbie Williams, Eminem, Iron Maiden et The Who – et l’organisation de tournées – pour quelques 350 artistes dont Avril Lavigne, James Morrison, Corinne Bailey Rae, Dido et Kaiser Chiefs« , nous rappelle Philippe Astor dans un excellent billet sur son blog.
Warner, également, se prépare. La maison de disques américaine aurait les yeux rivés sur l’une des plus grandes agences artistiques du pays, Front Line Management (Christina Aguilera, Van Halen, Aerosmith…). Elle a également formé avec Violator Management une société de management, Brand Asset Group, qui se charge de placer ses rappeurs (50 Cent, Diddy, Busta Rhymes…) dans des films, des jeux vidéo, des publicités ou des séries TV, en vendant leur image développée par la maison de disques.
La frontière entre maisons de disques et managers, éternels rivaux, s’aménuise donc à grande vitesse, sans doute au bénéfice des premiers. Moins l’industrie du disque se sentira dépendante du support matériel de ses enregistrements, plus elle réussira avec succès à développer des marchés alternatifs qui répondent mieux aux attentes de la génération MP3.
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