Alors que les services de renseignement demandent à avoir accès à toujours plus d'informations, l'administration dispose déjà, dans une ampleur insoupçonnée, du pouvoir de se faire communiquer des documents de toutes sortes, sans contrôle judiciaire, notamment auprès des opérateurs télécoms et des hébergeurs. Numerama fait le point.

Le gouvernement a finalement renoncé à donner à Pôle Emploi le pouvoir de fouiller les relevés bancaires ou téléphoniques, en vertu d'un "droit de communication" qui s'imposerait aux intermédiaires privés, lesquels n'auraient pas eu le droit ni d'opposer le secret professionnel pour protéger la vie privée de leurs clients, ni de facturer le moindre centime à l'administration pour la fourniture des données. Mais ce droit de communication existe déjà au bénéfice de plusieurs administrations. Faisons le point sur chaque administration bénéficiant de ce droit, et ce qu'il couvre.

LE FISC

C'est bien sûr l'administration qui dispose du droit de communication le plus large, "pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts". Prévu aux articles L81 et suivants du livre des procédures fiscales, le droit de communication permet au fisc de demander des "documents et renseignements" à toutes les personnes suivantes listées au livre des procédures fiscales (selon des conditions et des limites propres à chacune, mais généralement très vastes) :

  • Personnes versant des honoraires ou des droits d'auteur ;
  • Employeurs et débirentiers (personne qui doivent une rente) ;
  • Ministère public ;
  • L'Agence nationale de contrôle du logement social ;
  • L'Agence nationale de l'habitat ;
  • Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;
  • Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) ;
  • Etablissements de jeux ;
  • Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
  • Autorité des marchés financiers ;
  • Personnes ayant la qualité de commerçant ;
  • Personnes versant des revenus de capitaux mobiliers ;
  • Artisans ;
  • Agriculteurs et organismes d'agriculture ;
  • Membres de certaines professions non commerciales ;
  • Institutions et organismes versant des rémunérations ou répartissant des fonds ;
  • Personnes effectuant des opérations d'assurance ;
  • Entrepreneurs de transport ;
  • Redevables du droit d'accroissement ;
  • Dépositaires de documents publics ;
  • Sociétés civiles ;
  • Assujettis et façonniers astreints à la tenue d'un registre des biens. ;
  • Caisses de mutualité sociale agricole ;
  • Établissements de crédit, établissements de monnaie électronique, établissements de paiement, organismes et services bancaires ;
  • Intermédiaires pour des instruments financiers à terme ;
  • Organisme gestionnaire d'un plan d'épargne en actions ;
  • Organismes fiduciaires ;
  • Etablissements diffuseurs ou distributeurs de services payants de programmes de télévision ;
  • Opérateurs de communications électroniques ;
  • Fabricants et marchands de métaux précieux ;
  • Agences immobilières ;
  • Concepteurs et éditeurs de logiciels de comptabilité ou de caisse.

La loi prévoit par ailleurs une série de documents que certaines administrations et organismes privés doivent communiquer spontanément à l'administration fiscale.

Enfin, notons que la loi dispose que "les livres, registres, documents ou pièces sur lesquels peuvent s'exercer les droits de communication, d'enquête et de contrôle de l'administration doivent être conservés pendant un délai de six ans à compter de la date de la dernière opération mentionnée sur les livres ou registres ou de la date à laquelle les documents ou pièces ont été établis" — ce qui pour les opérateurs télécoms contredit l'article L34-1 du code des postes et communications électroniques, qui prévoit une durée de conservation d'un an de certaines des données communicables à l'administration.

Il n'est pas prévu que l'administré soit informé du fait que ses informations personnelles ont été consultées par le fisc.

URSSAF et autres organismes de sécurité sociale

Créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 et modifié à deux reprises depuis, l'article L114-19 du code de la sécurité sociale permet aux agents des organismes de sécurité sociale de se faire communiquer les "documents et informations nécessaires" pour lutter contre les fraudes. Il peut s'exercer auprès d'une majorité des personnes listées au livre des procédures fiscales, déjà listées plus haut.

Les individus dont des données personnelles sont ainsi communiquées à l'administration n'en savent rien, sauf si elles sont sanctionnées suites aux informations découvertes. L'article L114-21 du code de la sécurité sociale dispose que "l'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision". Une copie des documents peut être demandée.

A noter que concernant les opérateurs télécoms, la communication des données conservées par les FAI et opérateurs mobiles ne peut en principe s'exercer qu'à destination du fisc. Ils sont pourtant bien visés par la disposition relative à l'URSSAF et autres organismes de sécurité sociale, ce qui introduit une certaine ambiguïté.

Depuis 2010, les personnes qui refusent de délivrer les documents demandés encourent une amende de 7500 euros par refus.

LES DOUANES

Par l'article 65 du code des douanes, les contrôleurs des douanes peuvent "exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, quel qu'en soit le support" dans les gares de chemin de fer, compagnies maritimes, compagnies aériennes, transporteurs routiers, agences de transport de colis, concessionnaires d'entrepôts, chez les destinataires ou expéditeurs des marchandises déclarées, les opérateurs télécoms, et "en général, chez toutes les personnes physiques ou morales directement ou indirectement intéressées à des opérations régulières ou irrégulières relevant de la compétence du service des douanes".

"Au cours des contrôles et des enquêtes opérés chez les personnes ou sociétés visées (…) les agents des douanes désignés par ce même paragraphe peuvent procéder à la saisie des documents de toute nature (comptabilité, factures, copies de lettres, carnets de chèques, traites, comptes de banque, etc.) propres à faciliter l'accomplissement de leur mission", précise la loi.

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

En vertu de l'article L450-3 du code de commerce, les agents de l'Autorité de la concurrence missionnés d'une enquête peuvent se faire communiquer "des livres, factures et tous autres documents professionnels et en obtenir ou prendre copie par tous moyens et sur tous supports". La procédure est toutefois encadrée par l'autorité judiciaire, via l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention.

DGCCRF

L'article L215-3 du code de la consommation prévoit que les agents de la répression des fraudes peuvent "exiger la communication et obtenir ou prendre copie par tout moyen et sur tout support ou procéder à la saisie des documents de toute nature, entre quelques mains qu'ils se trouvent, propres à faciliter l'accomplissement de leur mission et la mise à leur disposition des moyens indispensables pour effectuer leurs vérifications".

La loi précise que "pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique, ils ont accès aux logiciels et aux données stockées ainsi qu'à la restitution en clair des informations propres à faciliter l'accomplissement de leurs missions".

AMF

Dans le cadre de leurs enquêtes et contrôles, les agents de l'Autorité des marchés financiers peuvent "se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support", y compris les "données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications".

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