Tous les pays n’ont pas la même approche en matière de lutte contre le piratage. Si certains gouvernements se sont dotés ces dernières années d’une nouvelle législation spécialement conçue pour faire la chasse aux internautes suspectés d’enfreindre le droit d’auteur, d’autres nations ont eu une politique beaucoup moins volontariste sur ce dossier. C’est le cas de l’Espagne, qui est considéré encore aujourd’hui comme l’un des États les moins hostiles au téléchargement illégal, malgré la participation du pays aux discussions de l’ACTA au titre de pays membre de l’Union européenne.
Mais si cette position fait le bonheur des internautes ibériques, ce « laxisme » n’est pas au goût de tout le monde. Depuis quelques années maintenant, l’Espagne est une cible de choix pour les ayants droit américains, qui se plaignent régulièrement aux différents locataires de la Maison Blanche. Il y a deux ans, la MPAA avait par exemple demandé à Barack Obama, alors en course pour l’élection présidentielle, de réfléchir à des mesures strictes pour faire plier l’Espagne.
Il faut dire que les signaux envoyés n’ont jamais vraiment ravi les industries culturelles américaines. En 2006, un magistrat espagnol légalisait le partage sur les réseaux P2P, suivi deux ans plus tard par la légalisation des sites de liens P2P. D’autres acteurs espagnols, comme les opérateurs de télécommunication ou quelques personnalités politiques ont freiné des quatre fers pour éviter la mise en place d’une riposte graduée dans la péninsule ibérique. Sans parler du projet gouvernemental de faire de l’accès à Internet en haut-débit un droit.
Depuis quelques mois, différentes forces se sont mises en mouvement pour contraindre le gouvernement espagnol de réviser sa législation en matière de lutte contre le téléchargement illégal. Début mars, nous avions évoqué les menaces de plusieurs ayants droit locaux annonçant l’éventualité d’une action judiciaire contre le gouvernement si rien était fait pour résoudre cet état de fait.
Début décembre, le site espagnol Escolar.net rapportait les pressions exercées par l’ambassade américaine sur les deux principales forces politiques du pays, les enjoignant de maintenir les réformes prévues par le ministère de la culture contre le piratage sur Internet. Cet interventionnisme dans les affaires souveraines d’un Etat n’était pas sans rappeler les fortes pressions subies en 2006 par la Suède, lorsque la Maison Blanche menaçait le gouvernement de sanctions commerciales si celui-ci ne se démenait pas pour mettre fin au plus vite aux activités de The Pirate Bay.
Cette fois, l’attaque vient d’Hollywood, et plus précisément de Sony Pictures. Dans des propos rapportés par le Los Angeles Times, le président de Sony Pictures, l’inénarrable Michael Lynton, a glissé une petite phrase en guise d’avertissement : « l’Espagne est sur le point de ne plus être un marché viable pour nous ». Selon la presse américaine, les recettes de la location de DVD ont plongé de 30 % en cinq ans, tandis que le nombre de vidéo-clubs ont baissé de 12 000 en 2003 à 3 000 ces derniers mois.
C’est à se demander par quel miracle Michael Lynton est parvenu à obtenir son poste de directeur exécutif de Sony Pictures. Comme le souligne Mike Masnick, sa seule réponse face à une nouvelle contrainte de marché (l’avènement du numérique et la hausse du piratage) est de préférer quitter complètement le marché espagnol plutôt que de chercher à adapter son modèle économique. Curieusement, nous sommes à peu près sûrs que l’arrêt du business de DVD en Espagne ne va pas contribuer à faire reculer le piratage. Il risque surtout de se produire l’effet inverse.
À moins que Michael Lynton pense que sa tactique aura une influence sur le gouvernement espagnol ? Peut-être compte-t-il sur une frustration des consommateurs légitimes qui ne peuvent plus consommer des DVD hollywodiens ? Peut-être. Mais jusqu’à présent, les tentatives mises en place par Michael Lynton et Sony Pictures n’ont pas forcément eu le meilleur impact, surtout que le succès des films hollywoodiens ne se dément pas au box-office.
Et pourtant, le studio a parfois préféré se mettre elle-même des bâtons dans les roues, au lieu de réfléchir à un nouveau modèle économique. Comme nous l’écrivions alors, Sony a refusé de soutenir son film aux Oscars, par peur du piratage. Or, le film était déjà sur les réseaux lorsque l’entreprise a pris cette décision. Un choix d’autant plus dommageable que Sony Pictures a supprimé par la même occasion ses chances de voir son long-métrage être récompensé.
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