Experte des droits de l'homme, la ministre du numérique Axelle Lemaire fait savoir par des députés qu'elle aurait songé "tous les jours à la démission" en voyant se dérouler l'adoption du projet de loi renseignement qui installe une surveillance sans précédent des citoyens français. Mais l'important, c'est qu'elle ne l'a pas fait.

Du courage d'assumer ses idées en politique. Comme la ministre de la justice Christiane Taubira qui a préféré laisser faire ce qu'elle détestait, la ministre du numérique Axelle Lemaire n'est pas du tout à l'aise avec le projet de loi Renseignement, qu'elle a pourtant soutenu publiquement lors des rares interviews et interpellations où elle a été amenée à se prononcer. "J'ai fait la bonne élève mais je me suis posé la question de ma démission tous les jours", aurait-elle ainsi confié à des députés, selon les mots rapportés par Mediapart.

Axelle Lemaire avait d'autant plus de raisons de combattre le texte et de faire connaître ses idées qu'elle a été la secrétaire nationale aux Droits de l'homme du Parti Socialiste, comme nous l'avions rappelé lors de sa nomination, avec excès d'optimisme. En tant que députée, "Axelle Lemaire a fait de l'une de ses spécialités parlementaires la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques", avions-nous fait remarquer. "Lors du débat le 30 janvier [2014] sur la protection de la vie privée à l'heure de la surveillance numérique, commerciale et institutionnelle, dans lequel Fleur Pellerin avait esquissé les grandes lignes de la loi sur l'Habeas Corpus numérique, Axelle Lemaire avait mis en garde et n'avait pas hésité à attaquer y compris les positions du Gouvernement sur des sujets sensibles comme la loi de programmation militaire (LPM), la loi sur la prostitution qui devait élargir le filtrage, ou la loi sur la géolocalisation policière".

En tant qu'experte des droits de l'homme, Axelle Lemaire ne peut que savoir que le projet de loi sur le renseignement est profondément contraire au droit international et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Elle aurait pu le dire haut et fort. Mais elle a préféré sauvegarder son plan de carrière, et expliquera certainement devant les micros et les caméras qu'il s'agissait de ne pas compromettre ses importantes fonctions visant à porter la French Tech ou le futur projet de loi sur le numérique, sur lequel elle travaille depuis de nombreux mois. On a les priorités qu'on peut. Et son propre sens de l'honneur.

"L'ÉTAT DE DROIT N'EST PAS ADAPTÉ"

Dans son article, Mediapart dépeint un gouvernement et un parlement aux ordres du premier ministre et du ministre de l'intérieur, incapable de saisir les enjeux du texte. Ou au contraire, très cyniquement conscients. "Nous sommes en état de guerre. Et dans cette guerre, l’État de droit tel qu’on le rêve n’est pas adapté", confie ainsi la ministre de la fonction publique Marylise Lebranchu, pourtant excellente juriste, qui feint d'oublier que l'Etat de droit est un principe fondamental sacré de tous les pays membres du Conseil de l'Europe, et — en principe — des Nations Unies. Ne pas avoir "l'État de droit tel qu'on le rêve", c'est s'éloigner plus encore de la démocratie pour se diriger vers une dictature, ou à tout le moins, un régime autoritaire.

Mais peu importe, à titre personnel, les positions d'Axelle Lemaire ou de Marylise Lebranchu. La seule question cruciale est celle de la raison de leur arrivée au gouvernement, et de leur maintien. Qu'est-ce qui ne va pas dans nos institutions prétendument démocratiques pour qu'une ministre puisse ne pas démissionner contre un texte qu'elle sait intolérable sur le plan des droits fondamentaux de l'homme, ou qu'une autre juge normal d'abandonner ce qui est au fondement de la démocratie ? Comment en sommes-nous arrivés, deux siècles après avoir coupé la tête de la royauté, à n'être que les observateurs abasourdis de ce théâtre politique dont la pièce s'écrit sans les concitoyens ? Derrière le projet de loi sur le renseignement, c'est toute la question de la définition de la démocratie et de sa traduction dans les institutions qui se pose.

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