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Une action anti-5G tourne mal, car elle ne s'adresse pas à la bonne juridiction

La cour d'appel de Paris a rejeté une action en justice d'un collectif contre la 5G. Celui-ci n'a pas visé la bonne juridiction.

C'est une lourde déconvenue judiciaire, mais aussi une mauvaise nouvelle pour les initiatives anti-5GDans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, la cour d'appel de Paris a mis un coup d'arrêt à un recours collectif qui s'efforçait d'imposer, via les tribunaux, une expertise au sujet de l'arrivée de la nouvelle génération de la téléphonie mobile, qui est en cours de déploiement depuis fin 2020 en France via Orange, SFR, Free Mobile et Bouygues Telecom.

Dans cette affaire, signalée sur Twitter par Alexandre Archambault, un avocat expert dans les réseaux, ce sont 500 individus regroupés autour d'avocats spécialisés dans ce type d'action collective (outre la 5G, les dossiers portés concernent le compteur connecté Linky, le médicament Levothyrox, le dieselgate, l'insecticide à base de chlordécone, des traitements associés au coronavirus et les vaccins contre le Covid-19) qui ont été déboutés.

recours collectif 5G
Une page encourageant à un recours collectif contre la 5G. // Source : Capture d'écran

La cour d'appel de Paris, dans son verdict, a intégralement validé le jugement qui a été précédemment rendu par le tribunal judiciaire de Paris, le 16 mars 2021. Celui-ci s'était notamment déclaré incompétent sur ce dossier, un peu moins d'un an après le début des hostilités -- la saisine du tribunal a eu lieu le 26 mai 2020, quelques mois avant le début du déploiement effectif de la 5G : les premiers réseaux ont en effet été allumés à partir de novembre et décembre 2020.

Des craintes sur la santé, l'environnement et les données personnelles

Au fondement de cette class action se trouvait la conviction que l'arrivée de l'ultra haut débit mobile en France s'opère sans cadre clair et protecteur « pour empêcher les atteintes à la santé humaine et à l’environnement et pour garantir la sécurisation des données personnelles ». Ces reproches ont fleuri en 2020, avant l'arrivée de la 5G, qui ont fini par donner lieu à des moratoires dans certaines villes (comme Lille), à des tribunes et des actions au Parlement.

Depuis, le temps a passé, certaines inquiétudes ont été dissipées (y compris sur les insectes et les animaux, que des rumeurs disaient exposés à la 5G) et des rapports et des études complémentaires ont été produits, en particulier sur l'exposition aux ondes. Il ressort que les smartphones 5G n’en émettent pas plus que les smartphones 4G, que leur intensité reste globalement très faible et qu'aucun risque nouveau n'a été observé pour la 5G.

5G santé
Les craintes sanitaires sur la 5G ne reposent aujourd'hui sur aucun consensus scientifique définitif. // Source : Melvyn Dadure pour Numerama

Mais l'action en justice, elle, a continué. En appel, la demande pour vérifier si toutes les précautions ont été prises est arrivée entre les mains des magistrats, mais celle-ci n'a pas connu un meilleur sort. Le recours a été rejeté et la façon dont il l'a été sonne comme un rappel de la répartition des prérogatives entre ce qui relève de l'ordre judiciaire -- auquel appartient la cour d'appel de Paris -- et ce qui révèle des missions d'ordre administratif.

Comme le note Me Archambault, l'arrêt constate que « les questions relatives à la protection de la vie privée des utilisateurs et des abonnés relèvent de la police spéciale des communications électroniques instituée par le Code des postes et des communications électroniques et confiée à l’État par le législateur ». En somme, ces sujets sont régis par des dispositions particulières et, en l'espèce, relèvent de la compétence exclusive du juge administratif.

Une compétence exclusive du juge... administratif

Cette réalité découle d'une série de décisions rendues par le Tribunal des Conflits, une instance spéciale composée à parité par des membres de la Cour de cassation (la plus haute instance de l'ordre judiciaire) et le Conseil d’État (son homologue du côté administratif). Il s'agit essentiellement de résoudre les conflits de compétence entre les juridictions judiciaires et administratives pour éviter des risques de verdicts hétérogènes.

Ces décisions sont anciennes : Eurojuris écrivait ainsi en 2012 que six arrêts de ce tribunal spécial sont venus « donner un coup d’arrêt à la compétence du juge judiciaire ». Ce qui relève notamment de la santé publique est depuis lors une compétence exclusive du juge administratif. En clair, « le juge judiciaire ne saurait se substituer à l'appréciation de l’administration », celle-ci ayant un pouvoir de police spéciale sur les antennes-relais.

Le juge judiciaire reste certes compétent dans certaines circonstances, comme les troubles anormaux de voisinage, mais qui ne sont pas ici en rapport avec l'action collective. Pour le dire autrement, cela fait presque une décennie que la répartition des prérogatives a été tranchée et il était sans doute illusoire d'espérer autre chose que des tribunaux judiciaires se déclarant incompétents, parce que ce ne sont pas les bonnes juridictions.

Conseil d'Etat
Le Conseil d’État, sommet de l'ordre administratif. // Source : Naval S

L'arrêt de la cour d'appel fait observer par ailleurs que les questions soulevées dans le recours ont « ores et déjà fait l'objet d'un examen par l'autorité administrative compétente lors du choix des opérateurs ». En l'occurrence, c'est l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), qui s'est chargée de ce contrôle. La procédure a suivi son cours et les dossiers des opérateurs ont été validés.

Des actions devant le Conseil d’État avaient déjà été déboutées en novembre 2020, peu avant le début du déploiement effectif de la 5G -- elles se situaient alors sur le terrain du droit administratif. Ce rejet, bien qu'il s'agissait d'un référé (c'est-à-dire un verdict rendu en urgence, sans examen au fond), laissait déjà entendre que sur le terrain administratif, l'action anti-5G risquait de ne mener à rien faute de preuve scientifique assez étayée pour justifier un arrêt immédiat.

La décision de la cour d'appel de Paris entend aussi éviter une situation anormale où l'on verrait des décisions administratives être mises en échec par des décisions de l'ordre judiciaire. Ce scénario risquerait surtout de faire prospérer des stratégies litigieuses consistant à passer d'une juridiction à l'autre, parce que telle ou telle n'a pas rendu le jugement escompté. C'est ce que conclut la cour d'appel de Paris, en pointant une ingérence qui serait nuisible :

« L'expertise sollicitée [à travers l'ordre judiciaire] serait, par ailleurs, susceptible de priver d'effet les autorisations que cette même autorité administrative a délivrées, et constitueraient, dès lors, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques », lit-on. Si cette décision n'éteindra sans doute pas toutes les actions autour de la 5G, peut-être aura-t-elle pour effet d'au moins les diriger à l'avenir vers la bonne juridiction. Peut-être.

(mise à jour le 20 janvier avec l'ajout d'un lien vers Doctrine pour consulter l'arrêt)