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Peut-on cartographier internet ?

Depuis longtemps, artistes et experts essaient de tracer une carte « crédible » d'Internet. Mais pourquoi est-ce si compliqué ?

C’est peut-être parti d’une histoire sur les câbles sous-marins d’internet, ou bien d’un tour à l’exposition Persona Non Data, à la Gaîté Lyrique, où une immense carte essayait de représenter graphiquement la multitude de chemins que pouvaient emprunter les données publicitaires sur Facebook. C’était peut-être, simplement, après avoir passé quelques heures à errer sur Google Maps pour y préparer des vacances.

Toujours est-il que la question est apparue : si l’on peut se promener en ligne, alors internet est un espace. Mais est-il possible d’en fournir une représentation graphique complète, bref, d’en tracer une ou des cartes ?

Comme souvent, Google a été le premier outil pour trouver une réponse.

En français, on y trouve principalement des cartes d’internet vues de l’extérieur, de la qualité de la couverture internet par pays par exemple. En anglais, on obtient quelques visualisations du poids de sites en nombre de connexions -- mais dans le cas du nuage de points de The Internet Map, par exemple, aucune « route » ne lie ces différents lieux dits « virtuels ».

Internet, technologie spatiale par excellence

Pourquoi vouloir cartographier internet ? Pour mieux s’y repérer. Mais aussi, comme nous l’explique le géographe et chercheur à l’université de Lausanne Boris Beaude, parce que cela « permet de mieux saisir l’architecture [d’internet et de ses sous-espaces, comme les sites web], les acteurs qui les produisent, la réalité de ce qu’il s’y passe et les enjeux de pouvoir sous-jacents. » L’idée, d’ailleurs, n’a rien de foncièrement neuf.

Lui-même s’est penché sur le sujet à la fin des années 90, alors qu’il constatait que « la suite des protocoles TCP/IP, ou même la seule commutation de paquets, repose sur des considérations essentiellement spatiales : comment rendre la communication la plus efficiente possible sur des réseaux hétérogènes et vulnérables. » Il fera de la spatialité d’internet l’un des thèmes de son doctorat.

En dehors des chercheurs, des artistes se sont aussi penchés sur la question. Chris Harrison, un designer américain a représenté les trajets que réalisent les données à travers le monde. Il explique son geste assez simplement à Numerama : « Les humains ont toujours eu tendance à représenter graphiquement les espaces dans lesquels ils évoluent. Or Internet, on s’y promène, ça bouge, il y a des millions, des trillions d’outils connectés entre eux.»

Apprenant que l’équipe de chercheurs du DIME Project essaye de dresser une sorte d’annuaire des réseaux pour voir comment internet évolue, Chris Harrison a récupéré leur base de données et s’en est servi pour construire différentes visualisations de l’internet de l’époque, en 2007. Le chercheur note d’ailleurs : « Si je reprenais l’exercice aujourd’hui, l’Amérique latine et les pays africains seraient beaucoup plus visibles. »

Temps et matérialisme, freins d’une géographie d’internet

Cette notion du temps qui fait sans cesse bouger l’espace au sein duquel nous évoluons en ligne a compliqué le travail de Louise Drulhe alors qu’elle cherchait à représenter internet pour son diplôme de l’Ecole des Arts-Déco (elle a continué depuis dans une démarche artistique de plus long terme). « C’est terrible, de vouloir représenter le cyberespace, parce que la rapidité à laquelle il change n’a rien à voir avec le géographique, explique l’artiste à Numerama. Lorsque j’ai commencé à travailler sur mes premières cartes, en 2013, on parlait à peine de l’internet chinois par exemple. »

Aujourd’hui, difficile d’oublier le poids d’un WeChat lorsqu’on évoque réseaux sociaux ou transactions réalisées en ligne. L’autre difficulté, qu’elle travaille précisément à combler, c’est le très faible nombre de représentations de l’espace en ligne. « En 2013, je travaillais sur un mémoire sur l’espace d’internet, mais j’ai vite réalisé le manque d’information sur l’espace en ligne au sens où je l’entendais. On trouvait quelques cartographies anciennes, des années 90. Mais cela n’avait rien à voir avec le cyberspace actuel. » La jeune femme abandonne son mémoire et, à partir de l’année suivante, se met à tenter de dresser les cartes qui lui manquaient.

Pour Boris Beaude, ce qui explique le manque de représentations, ce sont les « imaginaires puissants, qui laissent penser que tout le vocabulaire spatial associé à Internet serait métaphorique. » Selon le sociologue, cela pourrait être dû à une confusion entre l’espace et le territoire.

Il attribue ce mélange à « une conception matérialiste de l’espace », au sens où ce territoire et « la matérialité du sol sur lequel reposent nos pieds » seraient trop souvent confondus avec l’idée de spatialité. Pourtant, si on prend l’exemple du système solaire, on évoque bien un système qui impose de penser ensemble les planètes et les relations qu’elles entretiennent, même si elles sont essentiellement séparées par du vide. » Plus ou moins comme on pourrait évoquer la galaxie des sites internet et leurs relations les uns entre les autres.

La cartographie d’internet comme enjeu de pouvoir

Sauf qu’on n’utilise pas les années-lumières pour évoquer les distances que parcourent les données. Quelles mesures, alors, pour un espace en ligne ? Pour Boris Beaude, « la distance se pense en termes d’écarts, de contact ou d’interaction. Cela permet de penser la relation et la façon dont des êtres (et de plus en plus d’objets) sont reliés et interagissent. » Et de montrer les architectures qui facilitent ces contacts.

Louise Drulhe, elle, a opté pour une multiplicité d’hypothèses qui donnent à voir un aspect différent d’internet. Certaines rappellent l’espace connu, le globe terrestre, mais beaucoup d’autres s’en éloignent. Toutes « permettent de donner des formes, des mises à distance » selon l’artiste. Et répondent au même besoin : « Se représenter internet aide à comprendre les enjeux (géo)politiques qui le traversent. »

La dernière hypothèse de la jeune femme ? Celle d’une architecture d’internet qui serait propre à chacun. Peut-être est-il impossible de cartographier internet pour la simple et bonne raison qu’aucune route n’y est empruntée deux fois exactement de la même manière.

À cela, Boris Beaude répond en opposant navigation personnelle et pouvoir des plus grands réseaux mondiaux : « Google et Facebook sont les deux acteurs qui disposent de la plus grande visibilité sur les spatialité numériques contemporaines. » Paradoxalement, donc, « s’il est difficile de cartographier Internet tant les relations qui en constituent l’espace sont démesurées et réticulaires, il n’a jamais été aussi simple pour ceux qui en ont la maîtrise de cartographier la spatialité des individus» Et d’en conclure que, pour quiconque souhaite réguler internet, il faudra réaliser que cette régulation est d’ordre spatiale. « Il faudra bien que les politiques se demandent ce qu’ils cherchent à contrôler : les choses [en l’occurrence, les données, ndlr] ou le mouvement des choses et l’architecture qui rend ce mouvement possible». Un espace transfrontalier et démesuré par excellence.