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Comment des scientifiques ont séquencé le plus ancien ADN au monde

Les scientifiques David Díez-del-Molino et Love Dalén racontent dans The Conversation comment ils ont séquencé de l'ADN de mammouths vieux de plus d’un million d’années. Leurs travaux changent profondément la manière dont on appréhende l'évolution de cette espèce.

Pour la plupart d’entre nous, les mammouths sont ces pachydermes laineux emblématiques de la dernière période glaciaire, qui a pris fin il y a environ 12 000 ans. En réalité, l’espèce est apparue en Afrique voici près de 5 millions d’années, avant de se répandre et de se diversifier en Eurasie et en Amérique du Nord.

On pensait jusqu’ici que le mammouth des steppes, qui peuplait la Sibérie il y a environ un million d’années, était l’ancêtre d’espèces apparues plus tard, comme les mammouths laineux et colombiens. Est-ce vraiment le cas ?

Dans une nouvelle étude, nous démontrons qu’il est possible de récupérer l’ADN de mammouths vieux de 1,2 million d’années à partir de restes trouvés dans des dépôts de pergélisolEn séquençant cet ADN, nous avons, entre autres découvertes, identifié une lignée de mammouths inconnue, et établi l’origine hybride d’une des espèces de ces mammifères.

Un véritable puzzle à reconstituer

En 2017, nous avons reçu des échantillons de dents de mammouth extrêmement anciennes que le pergélisol sibérien avait permis de conserver au fil des millénaires. Quelques jours plus tard, notre collègue Patrícia Pečnerová filait au laboratoire afin de tenter d’extraire l’ADN de certains des plus anciens échantillons de mammouths jamais découverts. Elle y est parvenue.

Au bout de quelques semaines, nous disposions de millions de séquences d’ADN ressemblant incontestablement au génome de l’éléphant d’Afrique, sur lequel nous nous appuyons pour reconstituer le puzzle que représente chaque génome de mammouth séquencé. Patrícia Pečnerová a établi un certain nombre d’arbres phylogénétiques sommaires – sortes d’arbres généalogiques permettant de retracer l’évolution de l’espèce – et nous les a présentés. Pour un peu, nous nous serions écrié : « Eurêka ! »

Il nous a fallu un certain temps pour nous assurer que ces séquences correspondaient bien à de l’ADN de mammouth très ancien. L’ADN fossile se caractérise en effet par un ensemble de dommages chimiques. Si cela peut être problématique pour certaines analyses génétiques, c’est aussi ce qui permet de distinguer le véritable ADN ancien des contaminants plus récents, qui ne présentent pas ce type de dommages. Or on les observait bien dans les séquences obtenues à partir de nos échantillons.

Ces séquences présentaient par ailleurs une autre caractéristique de l’ADN très ancien, puisqu’elles étaient très fragmentées. Contrairement à celles, plus longues, que l’on peut observer dans les restes de mammouths issus du pergélisol plus récents et mieux préservés, toutes celles que nous avons analysées étaient de taille réduite.

Ce constat n’allait pas non plus sans poser problème, car il s’avère d’autant plus difficile de déterminer le positionnement exact des séquences courtes au sein du génome. Elles sont aussi susceptibles d’être confondues avec des contaminants. Pour éviter cet écueil, nous avons dû, bien qu’à regret, éliminer toutes les séquences d’une longueur inférieure à un certain seuil.

Adycha et Krestovka, ancêtres des mammouths

Nous nous sommes employés à confronter nos échantillons à toutes les espèces de mammouths répertoriées, ce qui nous a permis d’établir clairement que ce spécimen vieux de 1,1 million d’années, que nous avons baptisé Adycha, était un ancêtre des mammouths laineux. Il s’est en revanche avéré beaucoup plus difficile de déterminer la lignée de celui qui remonte à 1,2 million d’années, que nous avons baptisé Krestovka. Ce dernier semblait en effet étroitement apparenté au mammouth colombien mais aussi, à certains égards, au mammouth laineux.

De nombreuses analyses génétiques, d’interminables débats et d’incalculables schémas ont été nécessaires pour en découvrir la raison : le mammouth colombien est une espèce hybride qui ne descend pas d’une mais de deux lignées.

Nous avons déduit de nos travaux qu’environ la moitié des ancêtres du mammouth colombien descendent de la lignée de Krestovka, tandis que l’autre moitié est issue des mammouths laineux.

Voilà qui pourrait enfin permettre d’élucider un mystère de longue date, et expliquer pourquoi tous les mammouths colombiens séquencés à ce jour présentent des génomes mitochondriaux – une particularité génétique exclusivement héritée de l’ascendant femelle – étroitement liés à ceux des mammouths laineux. Désormais, nous estimons que les mitochondries observées chez ces mammouths colombiens sont probablement issues de leur reproduction avec des mammouths laineux femelles.

Une découverte majeure dans l’étude de l’évolution des espèces

Si l’on demandait au grand public ce qui caractérise le mammouth laineux, la plupart des personnes interrogées évoqueraient son épaisse toison. En réalité, cette espèce présente bon nombre d’autres particularités qui lui permettaient de s’acclimater aux environnements arctiques, comme d’importantes réserves de graisse, une tolérance au froid très élevée, des rythmes circadiens adaptés, etc. Nous nous sommes attachés à déterminer quels traits adaptatifs de ce type existaient déjà il y a plus d’un million d’années. Étonnamment, nous nous sommes aperçus que le génome d’Adycha témoignait de la présence de la plupart d’entre eux.

Nous sommes convaincus qu’il s’agit d’une découverte majeure dans l’étude de l’évolution des espèces. L’une des questions qui se pose en biologie évolutionniste est de savoir si le rythme d’adaptation s’accélère au cours d’un phénomène de spéciation – c’est-à-dire lorsque les espèces se distinguent les unes des autres –, ou s’il s’agit d’un processus plus progressif.

Les données que nous avons recueillies confirment cette dernière hypothèse, selon laquelle il n’existe aucune preuve d’une sélection naturelle accélérée à l’origine de l’apparition du mammouth laineux. Par ailleurs, la plupart des traits adaptatifs caractéristiques de cette espèce étaient déjà présents chez celles qui l’ont précédée et peuplaient la steppe sibérienne il y a plus d’un million d’années.

Jusqu’où sera-t-il possible d’aller ?

À ce jour, le plus ancien ADN séquencé provenait d’un spécimen de cheval datant d’entre 560 000 et 780 000 ans, découvert dans des dépôts de pergélisol de Thistle Creek, dans le Yukon, au Canada.

Nos échantillons de mammouths, vieux de plus d’un million d’années, partagent une caractéristique essentielle avec le cheval de Thistle Creek, puisqu’ils ont aussi été conservés à des températures négatives dans des dépôts de pergélisol. La dégradation des molécules d’ADN présentes dans ces restes – congelées dès la mort de l’animal, ou peu de temps après – a été ralentie pendant des centaines de milliers d’années, jusqu’à ce que nous les récupérions pour les analyser.

Nous sommes d’avis que les échantillons conservés dans le pergélisol recèlent des traces d’ADN encore plus ancien. Cependant, sachant que les dépôts de pergélisol les plus vieux datent du début du Pléistocène – soit d’il y a environ 2,6 millions d’années –, il se pourrait malheureusement que le champ des possibles soit limité.

Traduit de l’anglais par Damien Allo pour Fast ForWord.The Conversation

David Díez-del-Molino, Postdoctoral Researcher, Centre for Palaeogenetics, Stockholm University et Love Dalén, Professor in Evolutionary Genetics, Centre for Palaeogenetics, Stockholm University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation