Le premier véritable indice de l'existence de la matière noire vient-il d'être observé ?
Si le Modèle standard de la physique est basé sur le postulat que la matière noire structure l'Univers, les scientifiques n'en ont jamais détecté la preuve formelle par l'observation.
Puisque l'on ne connaît pas précisément la nature de la matière noire, il existe plusieurs particules théoriques « candidates ». Si le XENON1T a été construit pour détecter l'une des candidates les plus probables (les WIMP -- particules massives à faible interaction), le laboratoire est sensible à d'autres particules potentielles. Il s'agit d'un bac rempli avec trois tonnes d'un gaz appelé xénon, dans un état pur et liquéfié, à –95 degrés Celsius. Le cylindre est entouré de capteurs : en cas d'interaction entre le gaz xénon et des particules, les atomes du gaz sont « excités », et cet événement provoque une scintillation (un flash de lumière) et une ionisation (une libération d'électrons).
Le XENON1T est conçu pour interagir le moins possible avec les particules connues et le « bruit de fond » qui persiste est prédit puis éliminé des calculs. L'idée est donc de détecter des sursauts, des événements / interactions « en excès » qui s'opèrent au sein du détecteur. Un excès massif serait un signal important vers l'observation de la matière noire. Et c'est là où les choses sont récemment devenues très intéressantes : à un moment où 232 événements étaient prédits, ce sont finalement 285 événements qui ont été détectés. Soit un excès de 53 événements. Ce chiffre n'a rien d'anodin, il est suffisamment élevé pour relever d'un mystère apte à apporter des clés déterminantes. Quelles sont les explications ?
Erreur, axions et neutrinos : trois explications possibles
Dans leur papier de recherche, les scientifiques qui pilotent le XENON1T avancent trois explications différentes. Évidemment, comme pour toute étude scientifique sur un sujet aussi délicat que celui-ci, l'erreur doit faire partie des justifications possibles : la première explication relève donc tout simplement d'une possible erreur de calcul dans la prédiction du fameux bruit de fond de particules connues. En l'occurrence, cela pourrait provenir d'hypothétiques quantités infimes de tritium (isotope radioactif de l'hydrogène) présentes dans le détecteur. L'excès observé pourrait correspondre à l'effet produit par une telle présence. Mais rien ne confirme ou n'infirme actuellement cette présence.
Les deux autres hypothèses ont quant à elle le potentiel pour faire office de petites révolutions dans la physique. L'une de ces alternatives est la confirmation de l'existence des hypothétiques particules que sont les axions. D'après les règles théoriques liées aux axions, l'excès observé correspond assez exactement à la quantité d'axions potentiellement produite par le Soleil. La découverte d'une nouvelle particule serait en soi une avancée fondamentale pour notre compréhension de l'Univers, mais, qui plus est, les axions font partie des possibles constituants de la matière noire : « les axions produites dans l'Univers primitif pourraient être la source de la matière noire », rappellent les scientifiques du XENON1T.
La troisième explication est toute aussi exaltante que celle des axions : de nouvelles propriétés, jusqu'alors inconnues, des neutrinos. Ces particules-ci nous traversent sans cesse, par milliards, mais elles sont pour autant définies comme des « particules fantômes » car elles interagissent peu avec la matière. Si cet excès détecté dans le XENON1T correspond aux neutrinos, alors ce serait une « une piste importante vers une autre physique pour réussir à l'expliquer ». Car cela voudrait dire que le moment magnétique des neutrinos (leur intensité magnétique, en résumé) est supérieur à celui admis dans le modèle habituel des particules élémentaires.
La réponse finale dans quelques années seulement ?
Nous voilà donc face à un événement exceptionnel de physique, un « excès » d'interactions, qui peut se justifier par trois causes, dont l'une relève d'une simple erreur et les deux autres d'une révolution dans notre compréhension de l'Univers. Quelle explication est la plus probable ? Pour les scientifiques du XENON1T, « l'excès observé est le plus cohérent avec un signal d'axion solaire ». C'est ici une question statistique. On calcule en sigmas le taux de probabilité que ce soit un pur hasard sans signification particulière. En l’occurrence, la probabilité que ce soient des axions solaires est de 3,5 sigmas, quand celle que ce soit une erreur due à du tritium ou bien des neutrinos est de 3,2 sigmas. L'écart est faible, toutes les explications restent donc viables.
On ne peut donc pas en conclure que les axions sont confirmés, ni que l'on vient d'enregistrer le premier indice observé concrétisant la matière noire. Il faudrait un niveau de probabilité de 5 sigmas pour associer ces résultats à une preuve. Pour s'approcher d'une telle certitude, les scientifiques misent sur une nouvelle version du détecteur : le XENONnT. Son volume en xénon sera plus grand, sa sensibilité également, comme sa capacité à gommer le bruit de fond. D'ici quelques années, il sera donc possible de savoir laquelle des trois explications est la bonne.