SpaceX a franchi une étape décisive avec la capsule Crew Dragon. C’est une mauvaise nouvelle pour Roscosmos et Soyouz.

C’est sans doute l’avancée la plus significative que vient d’accomplir SpaceX depuis son tout premier succès de récupération du premier étage d’un lanceur Falcon 9, en 2014. Début mars, l’entreprise américaine a fait la démonstration de sa capacité à envoyer une capsule (inoccupée) jusqu’à la Station spatiale internationale en prévision des futures missions habitées.

Certes, les opérations de ce vol d’essai ne sont pas encore complètement achevées. Après une semaine arrimé à l’ISS, le vaisseau Crew Dragon doit encore se désorbiter et faire sa rentrée atmosphérique, avant de finir dans l’océan, conformément à la manœuvre qui est prévue. Mais les phases les plus sensibles — à savoir les phases d’approche, d’accroche et d’éloignement de l’ISS — sont passées.

La capsule Crew Dragon en manoeuvre. // Source : NASA

La capsule Crew Dragon en manoeuvre.

Source : NASA

Pour l’aventure spatiale, c’est une excellente nouvelle. S’il reste encore quelques missions de qualification que doit accomplir SpaceX avant que sa capsule soit déclarée bonne pour le service, elle rend plus proche que jamais le moment où il existera une alternative au Soyouz. Il s’agit en effet du seul moyen d’atteindre l’ISS depuis 2011, date à laquelle la navette spatiale américaine a été retirée du service.

Lors de l’incident avec la mission Soyouz MS-10, ce besoin d’une solution de secours s’est révélé criant.

L’exploit remarquable de SpaceX — que l’on pouvait prévoir, car l’entreprise a acquis une expertise en matière de manœuvres à proximité de l’ISS, puisque ses capsules ont procédé à une quinzaine de ravitaillements en six ans — a toutefois d’autres implications, moins visibles aux yeux du grand public, mais qui sont susceptibles de rebattre les cartes de la géopolitique spatiale.

Soyouz complètement à la masse ?

C’est en tout cas ce que suggère un expert russe, Vadim Lucashevich, dont les propos qu’il a prononcés à la chaîne de télévision Moscou 24 ont été repris et traduits par Ars Technica. Selon lui, le succès de SpaceX avec la capsule Crew Dragon révèle en creux la vétusté de Soyouz, qui devrait même à terme être hors jeu pour l’acheminement et le retour des futurs équipages.

En clair, si Thomas Pesquet retourne un jour dans l’espace, ce qui semble être possible dans un avenir assez proche, le Français ne voyagera pas dans un Soyouz mais dans une capsule Crew Dragon. Ce serait alors le premier Français à voyager dans un vaisseau privé américain, dans la mesure où il semble actuellement le mieux placé sur la liste pour retourner dans l’ISS.

« Elon Musk a construit le vaisseau du futur »

« Elon Musk a construit le vaisseau du futur. C’est un vaisseau spatial de sept places. Il est réutilisable. C’est une nouvelle technologie. En conséquence, il bat le Soyouz sur chaque paramètre, sur chaque indicateur technologique. Il n’a plus qu’à prouver son utilité pour les lancements spatiaux habités, et en juillet, il effectuera son premier vol habité », observe Vadim Lucashevich.

« Si l’on compare les vaisseaux sur le plan technologique, notre Soyouz est en principe incapable de rivaliser avec le Crew Dragon de SpaceX . C’est parce que notre Soyouz a été construit idéologiquement dans les années 1960 […] Même s’il a subi beaucoup de modifications, il vole encore aujourd’hui. Il est fiable et ses bugs ont tous été résolus. Mais il est devenu un vaisseau peu fiable par essence », ajoute-t-il.

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Détail des propulseurs Soyouz.

Source : elisabetta_monaco

Vadim Lucashevich fait même observer que la variante chinoise de Soyouz, que Pékin a conçu pour son propre programme spatial, a été entièrement repensée et rebâtie, pour le rendre plus performant et profiter des progrès accomplis en quarante ans. Le vaisseau chinois est aujourd’hui plus gros que le Soyouz, notamment le module de rentrée orbitale, qui est décrit « plus fiable et moins encombré ».

Pour le spécialiste des questions spatiales, plus aucun astronaute étranger ne volera dans un Soyouz. « Le transport des astronautes étrangers sur Soyouz vers l’ISS est terminé. Chaque année, la Russie a reçu environ 400 millions de dollars pour cela, et maintenant cela va prendre fin. De ce fait, nous serons forcés, très probablement, de transporter des touristes, mais Elon Musk sera en mesure d’offrir des prix plus bas aux touristes aussi bien, et il a un vaisseau avec sept sièges », ajoute-t-il.

Des touristes pour de l’argent ?

Est-ce donc pour cela que l’agence spatiale russe Roscosmos a décidé fin février, contre toute attente, de se remettre à transporter des touristes à bord de l’ISS, après dix ans de pause ? Vadim Lucashevich fait en tout cas remarquer qu’il est très intéressant, sur le plan financier, de transporter des étrangers, car les tickets d’entrée sur une année permettent de couvrir les coûts liés au programme Soyouz.

« Nous recevions gratuitement 400 millions de dollars par année, soit environ 90 millions de dollars par siège pour chaque astronaute étranger », assure-t-il. « C’est plus que le coût total de la fusée, du vaisseau et des opérations de lancement réunis. Cela signifie que tant que nous avions au moins un astronaute étranger à bord, nous lancions gratuitement. Pour nous, ce n’était pas seulement un cadeau, c’était addictif. Cela nous a permis de ne rien faire et de continuer à gagner de l’argent. Et maintenant, cette addiction va cesser, et nous serons forcés de faire quelque chose », ajoute-t-il.

Cette réalité, invisible, expliquerait donc pourquoi Roscosmos a montré si peu d’allant à féliciter SpaceX pour sa performance.

Comme le pointe Ars Technica, l’agence spatiale russe n’a pas mentionné une seule fois le nom de l’entreprise américaine dans ses félicitations, mais a préféré citer son égale, la NASA. Elle a aussi envoyé des tweets, notamment en russes, laissant planer des doutes sur la fiabilité des opérations conduites par SpaceX, ou pour mettre en avant l’emploi par les astronautes d’équipements russes pour inspecter la capsule Crew Dragon.

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