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Non, votre système immunitaire n'a pas été affaibli par le confinement

La théorie de la « dette immunitaire » expliquerait l'ampleur des épidémies de la fin 2022 (bronchiolite) par les mesures anti-covid, qui auraient affaibli notre système immunitaire. C'est peu plausible, résument 4 experts dans The Conversation. 

À l’automne 2022, une épidémie de bronchiolite précoce et d’une ampleur inhabituelle a touché la France et d’autres pays de l’hémisphère nord, comme le Canada ou les États-Unis. Diverses explications ont été proposées pour rendre compte de ce phénomène exceptionnel.

Une théorie a été avancée en particulier : celle de la « dette immunitaire ». Dans sa version initiale, elle a été présentée par ses auteurs comme la conséquence d’un « défaut de stimulation » du système immunitaire, en l’absence d’agents pathogènes. Trop protégé et « inactif », notre système immunitaire « s’affaiblirait », à la manière d’un muscle non sollicité. Dans le cas présent, un tel état serait la conséquence des mesures sanitaires (masques, distanciation, confinement, etc.) mises en œuvre en 2020 et 2021.

Mais cette théorie, séduisante par sa simplicité, achoppe sur plusieurs incohérences. Explications.

Qu'est-ce que la théorie de la « dette immunitaire » ?

Elle a été proposée pour la première fois au printemps 2021 par des pédiatres français dans un article publié dans la revue Infectious Diseases NowPrécisons qu’il s’agissait d’un article d’opinion, et non d’une publication proposant un modèle épidémiologique solide ou des données expérimentales relevant de la microbiologie et de l’immunologie.

Dans son principe, elle s’inspire de l’hypothèse hygiéniste, formulée initialement à la fin des années 1980 par l’épidémiologiste David P. StrachanSelon ce chercheur, dont l’hypothèse ne fait toujours pas consensus dans le milieu scientifique, la propension à développer des allergies (atopie) serait liée à la diminution d’infections virales (notamment respiratoires) dans l’enfance, en raison du renforcement des normes sociales d’hygiène.

Or, pendant la pandémie de Covid-19, les mesures sanitaires non pharmaceutiques prises par les autorités pour limiter la circulation du coronavirus SARS-CoV-2 ont aussi impacté d’autres maladies. Ainsi, les cas d’infections par le virus influenza (grippe), le virus respiratoire syncytial (VRS, significativement impliqué dans les bronchiolites et pneumonies du nourrisson) ou d’autres pathogènes respiratoires ont beaucoup diminué, ou ont été modifiés dans leur temporalité, comparativement aux années prépandémiques.

Établissant un parallèle avec l’hypothèse hygiéniste de Strachan, les promoteurs de la théorie de la dette immunitaire affirment que, dans une telle situation, le système immunitaire serait « comptable » d’une « dette » à l’égard des agents infectieux. Le retard pris dans le calendrier vaccinal, associé à une moindre exposition aux virus et bactéries, se serait traduit, une fois les mesures sanitaires levées, par d’importantes vagues épidémiques.

Selon les tenants de cette hypothèse, ce mécanisme expliquerait non seulement la recrudescence des bronchiolites, mais également d’autres infections, comme celles à streptocoque, dont une multiplication de cas graves (formes invasives) a été rapportée.

La théorie de la dette immunitaire a largement circulé, reprise par les médias et par des personnalités politiquesPourtant, plusieurs arguments mettent à l’épreuve sa solidité.

Lacune immunitaire vs dette immunitaire

Comme le montre le titre de leur article, les promoteurs de la notion de dette immunitaire tendent à superposer celle-ci avec le phénomène - bien documenté - de lacune immunitaire (« immunity gap » en anglais). Ils les assimilent même complètement pour soutenir que la théorie de la dette immunitaire est confirmée.

Le concept populationnel et statistique de lacune immunitaire a été décrit dès les années 1960 : si, au sein d’une population, une proportion d’individus immunitairement « naïfs » vis-à-vis d’un pathogène (autrement dit, qui n’y ont jamais été exposés) se retrouve en contact avec lui, alors le risque est de voir émerger une épidémie avec explosion des cas.

Il faut souligner que, dans ce modèle, l’augmentation des cas ne résulte pas d’un changement de la virulence du pathogène, ni d’un système immunitaire « affaibli » : la propagation du microbe est simplement facilitée, car il n’existe pas de mémoire immunitaire spécifique préexistante le concernant, puisque les individus naïfs ne l’ont jamais croisé.

Une telle situation peut aussi se produire dans le cas d’une persistance limitée de la mémoire immunitaire spécifique (qui résulte du système immunitaire adaptatif, basé sur les anticorps). Elle peut aussi être le fait d’une couverture vaccinale insuffisante, un problème également pointé par les auteurs de la théorie de la dette immunitaire.

Il faut cependant bien comprendre que la théorie de la dette immunitaire se distingue de la lacune immunitaire, et ce pour deux raisons. D’une part, elle postule un affaiblissement non seulement du système immunitaire adaptatif, mais également du système immunitaire inné. D’autre part, cette théorie postule que la dette qui résulterait de cet affaiblissement se situerait à l’échelle de l’individu, et non à l’échelle de la population.

Personne n’a vécu dans un environnement aseptique depuis février 2020

L’idée sous-jacente à la théorie de la dette immunitaire, qui est celle d’une discontinuité de l’activité du système immunitaire, fait écho à une représentation de ce dernier qui n’est plus d’actualité.

La conception d’un système immunitaire qui devrait être « formé » et « renforcé » trouve en effet son origine dans le premier quart du 20e siècle. À cette époque, l’immunologie était réduite à l’opposition anticorps/antigènes (terme désignant un élément reconnu comme étranger par l’organisme), les premiers n’étant supposés actifs qu’à l’occasion de la rencontre des seconds.

Or, on sait aujourd’hui que les systèmes immunitaires inné et adaptatif sont déjà fonctionnels in utero, sans qu’ils aient préalablement rencontré de pathogènes. Certes, les nouveau-nés développent leur répertoire immunologique après la naissance, mais ils ne sont pas dépourvus de toute défense immunitaire lorsqu’ils viennent au monde.

Rappelons aussi que le système immunitaire inné reconnaît non seulement les organismes étrangers, mais aussi l’immense diversité des micro-organismes qui vivent en nous (notre microbiote) ou sont ingérés avec notre alimentation, qui le stimulent eux aussi. Il est donc capable d’un premier niveau (faiblement) spécifique de réponse immunitaire.

En outre, quand bien même une « dette immunitaire » existerait, personne n’a vécu depuis février 2020 dans un environnement aseptique. Les micro-organismes, pathogènes ou non, sont partout : dans notre environnement, dans l’air, dans les objets que nous manipulons, les personnes qui nous entourent, nos aliments, nos boissons… L’isolement complet n’existe pas, ni l’absence de stimulation, ainsi que le montrent les centaines de millions d’individus infectés par le SARS-CoV-2 depuis 3 ans, dont 28 millions rien qu’en France en 2022, incluant des réinfections.

Autrement dit, notre système immunitaire (adaptatif comme inné) ne connaît pas de « pause » : il fonctionne en permanence, y compris en l’absence de pathogènes, qu’il n’a donc pas « besoin » de rencontrer pour demeurer actif.

Soulignons par ailleurs que, même en temps normal, l’immunité conférée par certains virus après une infection ne dure pas suffisamment longtemps pour éviter la réinfection après quelques mois. C’est bien entendu le cas du SARS-CoV-2, mais aussi du VRS. Fin 2022, la protection procurée par les infections des années précédentes aurait de toute façon déjà décliné.

Le système immunitaire n'a pas été affaibli par les mesures sanitaires. // Source : Canva

Un autre argument vient fragiliser la théorie de la dette immunitaire : plusieurs pays qui avaient adopté des mesures sanitaires moins contraignantes ont aussi été touchés par des épidémies de bronchiolites atypiques.

Si une dette immunitaire existait, les pays dans lesquels les mesures de protection n’ont pas été généralisées ne devraient pas en faire les frais.

Or, la recrudescence de cas de bronchiolites liés à une infection virale a également été enregistrée dans les pays n’ayant pas appliqué de politique de santé publique forte en faveur du port du masque chez les enfants. C’est par exemple le cas du Royaume-Uni, de la Suède, ou de certains états américains).

Par ailleurs, des vagues épidémiques importantes de bronchiolite avaient déjà eu lieu en 2021, durant l’été puis l’automne, non seulement en France, mais aussi au Royaume-Uni et dans d’autres pays.

Pourquoi une telle situation ? Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, sans qu’il soit besoin de recourir à la théorie de la dette immunitaire.

D’autres virus impliqués

Si l’on a beaucoup parlé du VRS et de son implication dans la bronchiolite, il ne faut pas oublier que cette maladie peut être causée par divers autres virus (SARS-CoV-2 et autres coronavirus, metapneumovirus, adénovirus, etc.).

Dans le cas présent, il pourrait être intéressant de vérifier, par des tests de dépistage, quels virus ont été à l’origine de ces vagues épidémiques, et de déterminer si des co-infections se sont produites.

C’est d’autant plus important que la question des interactions entre virus constitue une autre piste qui pourrait expliquer au moins en partie la situation de ces derniers mois. Il est en effet possible d’envisager pour expliquer ce phénomène une augmentation de la sévérité clinique lors de co-infections associées au SARS-CoV-2.

On connaît encore mal la façon dont les virus interfèrent les uns avec les autres, mais ce type de piste n’est pas à écarter, tout comme celle de l’impact du SARS-CoV-2 sur notre immunité, qui est aussi à explorer.

La piste d'un système immunitaire épuisé

La recrudescence de formes éventuellement plus fréquemment sévères d’infections virales respiratoires ou bactériennes, voire fongiques, sont à l’étude. Ces recherches s’intéressent notamment à la perturbation du système immunitaire résultant d’une infection par le SARS-CoV-2, qui pourrait affecter le fonctionnement des lymphocytes B impliqués dans la mémoire immunitaire notamment.

Les découvertes des quinze dernières années en immunologie/immuno-oncologie ont aussi montré qu’une inflammation chronique ou des infections répétées épuisent le système immunitaire et induisent un risque autoimmun.

Il ne s’agit pour l’instant que de pistes qui doivent être approfondies, mais qui paraissent solides, car reposant sur des mécanismes biochimiques immunitaires documentés survenant après une infection virale. Par ailleurs, elles sont compatibles avec la survenue, durant l’année 2021, d’autres épidémies que celles de Covid-19 (épidémies de bronchiolite notamment, comme mentionnée précédemment).

Certes, un « rattrapage » lié à une moindre exposition des jeunes enfants durant la pandémie ou à un retard vaccinal (soulignons toutefois qu’il n’existe pas à ce jour de vaccin contre le VRS ni contre le streptocoque A), sur le modèle de la lacune immunitaire, pourrait avoir été une composante des vagues d’épidémies inhabituelles observées récemment. Cependant, la théorie de la dette immunitaire, qui apparaît très spéculative, n’est pas confirmée, et ne peut donc pas être mobilisée comme si elle était validée scientifiquement pour expliquer cette situation.

Non seulement les mesures barrière n’ont pas affaibli notre système immunitaire, mais elles ont permis de limiter la circulation d’un virus émergent dont les conséquences à long terme sur la santé humaine restent largement méconnues. Il convient désormais de poursuivre les recherches cliniques, physiopathologiques et épidémiologiques pour mieux les appréhender.

Ont également participé à la rédaction de cet article : Éric Billy, chercheur en immuno-oncologie (salarié du NIBR à Bâle, il s’exprime en son nom propre), Franck Clarot, médecin légiste et radiologue, Jérôme Guison, médecin interniste, Alexander Samuel, docteur en biologie moléculaire.

David Simard, Docteur en philosophie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Frédéric Fischer, Maître de conférences en biochimie et biologie moléculaire, Université de Strasbourg; Lonni Besançon, Phd en Human Computer Interaction, Linköping University et Michaël Rochoy, Docteur en médecine générale, chercheur associé, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.