Une erreur dans le texte ?

C'est le bon endroit pour nous l'indiquer !
Attention, ce formulaire ne doit servir qu'à signaler une erreur. N'hésitez pas à utiliser la page de contact pour nous contacter ou nous faire part de vos suggestions. Merci.

Etape 1

Cliquez sur les paragraphes contenant des erreurs !

Vernon Subutex sur Canal+ : l'adaptation sans poésie de l'œuvre de Despentes

Adaptée des livres de Virginie Despentes, la série française Vernon Subutex prend beaucoup appui sur l'œuvre originale, mais peine à retransmettre son souffle révolutionnaire.

Cette critique ne contient pas de spoilers sur la saison 1 de Vernon Subutex.

Romain Duris est un Vernon Subutex touchant. Avec ses yeux écarquillés, son sourire béat, la nonchalance qui lui va bien. Romain Duris est partout, aussi. Et ce qui aurait pu être une série chorale restera finalement une aventure solo ; l'histoire d'un homme qui traverse les tableaux mais peine à s'effacer pour laisser suffisamment de place aux autres.

Un casting de rêve

Il faut le dire absolument : la série Vernon Subutex a plein de qualités. Les scénaristes Benjamin Dupas et Cathy Vernet (aussi à la réalisation) ont réussi la prouesse de construire une intrigue solide et cohérente, alors même que l'œuvre originale invite à l'introspection dans l'éparpillement. On y suit le parcours de Vernon, disquaire expulsé de son domicile, qui sombre lentement dans l'errance jusqu'à devenir sans-abri.

Les aficionados des livres de l'autrice Virginies Despentes se réjouiront de redécouvrir les multiples personnages, à qui prêtent leurs trais une myriade d'acteurs et actrices talentueuses. Laurent Luca est imbattable en crétin flippant. Florence Thomassin est une bourgeoise hédoniste irrésistible. Flora Fishbach parvient à être crédible en apprentie détective (un peu trop) naïve, pourtant desservie sur le papier par un rôle artificiellement surdéveloppé. Où l'on voit aussi, enfin, des acteurs et actrices trans (comme Inès Rau) jouer des personnages trans — une bouffée d'air frais, quatre ans après la décevante décision des équipes de Paris, la série française d'Arte qui n'avait pas trouvé son public.

Céline Sallette est quant à elle une Hyène redoutable et habitée, qui sert de vaisseau parallèle à Vernon et fait avancer l'histoire tout en portant la seule « romance » — au passage, terriblement toxique — de la première saison. La Hyène a hérité de tous les traits que l'on ne supporterait plus chez un personnage masculin : elle est manipulatrice, secrète, irascible, harceleuse, violente. Ce serait post-féministe à souhait si le reste de la série n'était pas classique. Et c'est pourtant le seul rôle qui ne s'excuse pas d'être là. La seule, au fond, à porter en bandoulière la hargne salutaire que Despentes a déversée dans ses trois romans. Comme une rescapée téléportée contre son gré dans un univers trop lisse dont elle ne connaît pas les codes.

Vite, très vite, trop vite

Les autres, les Xavier, Céleste, Emilie, Sylvie, Daniel, Pamela, semblent avoir échappé à cette brutalité, comme s'il n'y avait pas eu assez de place (les épisodes ne durent que maximum 35 minutes) pour montrer qu'ils sont tous détestables, et que ce n'est qu'ensemble qu'ils produisent quelque chose d'apaisé. Alors que Vernon aurait pu être un fantôme discret à travers lequel on distingue la lâcheté de ses pairs, la série de Canal+ reste focalisée sur lui, son sourire et ses t-shirt de rock, quasiment jusqu'à la fin de la première saison. La bienveillance de la production finit ainsi par entacher ce qui aurait pu transpirer la révolte et le dégoût. Plus décevant encore : la réalisatrice a laissé entendre qu'il n'y aurait pas de suite à cette épopée, qui gagne pourtant en puissance et onirisme au fil des trois tomes.

Il était utopique de rêver d'un ovni à la The OAtant la création originale française est encore semée d'embûches, de lents processus de validation et d'aversion au risque. On en ressort avec un sentiment mitigé, d'une saison importante (après Hippocrate, Canal continue de se dégager de son obsession pour les polar bourrus, et ça fait du bien) mais qui va vite, très vite, trop vite. Et finit par rester en surface.

La bande-originale est heureusement de qualité — il faut dire que l'autrice n'avait pas lésiné sur les références, toutefois bien plus rock dans les romans — notamment dans la production des fameux sons alpha, censés transcender la psychée pour élever l'âme. Comme les personnages qui préfèrent ces ondes audio à l'alcool, la drogue et le sexe, on se satisfait de ces moments de grâce pour oublier la surreprésentation de ces vices éculés.

CeVernon Subutex-là ne sera pas une histoire de survivants, mais d'un prophète surestimé sur fond de désillusion sociale. Un autre format pour une autre histoire.

https://www.youtube.com/watch?v=sn4qp7AyVTc

Vernon Subutex, 9x35 minutes, sur Canal+ et MyCanal à partir de lundi 8 avril 2019