Chaque week-end, c’est la compilation de l’actualité de la propriété intellectuelle et de ses dérives, concoctée par Lionel Maurel et Thomas Fourmeux, spécialistes de la question du copyright.

Cette semaine, le Copyright Madness revient sur un très sale coup porté aux licences Creative Commons en France, Zorro rendu au domaine public après 20 ans de procès ou la Chine qui étend la durée des brevets sur les médicaments.  Bonne lecture et à la semaine prochaine !

Copyright Madness

Plein aux as. La Cour des comptes vient de rendre un rapport sur les sociétés de gestion de droits d’auteur relatif à leur santé financière. Rassurez-vous, elles se portent très bien ! La quasi-totalité de ces sociétés a bénéficié d’une augmentation des droits perçus représentant 2,4 milliards d’euros pour l’année 2016, à tel point que la France se classe au 2ème rang mondial en termes de collecte de droits. Au-delà de cette montagne de cash destinée à être répartie, la commission de la Cour des comptes pointe tout de même un manque de transparence sur la répartition des droits collectés. Certaines de ces sociétés conserveraient même parfois des droits de façon injustifiés qui devraient être redistribués aux ayants droit. Et après on entend les responsables de ces organismes crier haut et fort qu’il faut défendre les créateurs…

Cour des comptes

CC Cour des comptes

Licence IV. La Cour d’appel de Paris a rendu cette semaine une décision qui porte un coup très dur aux licences libres et en particulier aux Creative Commons, qui sont les plus utilisées dans le monde. Le tribunal a en effet estimé que les musiques sous Creative Commons sont bien soumises à une perception de droits lorsqu’elles passent dans des lieux publics comme des magasins ou des bars. Cela signifie que même si leurs créateurs souhaitent que leur réutilisation puisse se faire gratuitement, les sociétés de gestion pourront quand même se faire de l’argent dessus ! Sachant qu’elles collecteront ces sommes sans nécessairement les reverser à ces créateurs de musiques libres, puisqu’en général ils ne sont pas membres de ces sociétés. Autant dire que le concept même de licence libre n’a plus guère de sens en France !

CC Imran Abdul Jabar

CC Imran Abdul Jabar

Cour de récré. Les clashs entre vidéastes sur YouTube peuvent parfois tourner à des chamailleries assez ridicules, mais cela peut devenir plus grave quand le copyright s’en mêle. Le célèbre YouTubeur PewDiePie s’en est récemment pris à Alinity dans une de ses vidéos en la traitant de « thot » (traînée, en anglais). Elle a (légitimement) décidé de ne pas se laisser faire, mais en employant un moyen très discutable : signaler une atteinte au droit d’auteur pour infliger un strike à la chaîne de PewDiePie. D’autres vidéastes ont alors dénoncé ce procédé dans des vidéos, mais ils ont aussi reçu une volée de strikes pour infraction au copyright provenant de la même source. Ce que montre aussi cette histoire, c’est que YouTube agit infiniment plus vite contre les (prétendues) violations de droit d’auteur que contre des propos sexistes avérés…

YouTube smartphone

CC Malinowski

Trademark Madness

Transport. La MTA est la société qui gère les transports en commun de New York et elle est très attachée au droit des marques.  Elle a annoncé qu’elle allait étudier avec attention le cas de Cynthia Nixon, une des protagonistes de la série Sex and the City. L’actrice a décidé de lancer une campagne contre le gouverneur de New York pour dénoncer la gestion calamiteuse des transports publics. Elle a commercialisé des t-shirts avec le slogan « What the F ?! », la lettre solitaire étant présentée de la même façon que le logo d’une des lignes du métro de la Grosse Pomme. Évidemment, la MTA a protégé ses logos en recourant au droit des marques et entend bien récupérer un peu d’argent pour cette utilisation frauduleuse de son logo.  Avec la MTA, tu risques de te  faire pincer les doigts très fort.

Métro new york

CC jpellgen

D’un Z qui veut dire Zéro. « Zorro, renard rusé qui fait sa loi », disait le générique de la série de Disney. Mais certains sont encore plus malins que le justicier masqué… Depuis plus de 20 ans, la société Zorro Productions Inc. (ZPI) prétend être titulaire du copyright et de la marque sur Zorro. Elle les tiendrait de l’auteur original Johnston McCulley qui commença à écrire les aventures de ce personnage en 1919. La ZPI se bat notamment en justice pour faire interdire la comédie musicale Z- The Musical of Zorro qu’un metteur en scène voulait monter. Or après d’innombrables péripéties judiciaires, un tribunal américain a jugé cette semaine que ce copyright et cette marque étaient imaginaires et que Zorro appartient enfin au domaine public. Le metteur en scène va même pouvoir se retourner contre la ZPI, car entre temps, cette société avait lancé sa propre comédie musicale qui… plagiait la sienne !

Zorro

CC Nicholas Gemini

En Marsh.  Une petite entreprise spécialisée dans les assurances a remporté une victoire contre un géant du courtage qui pensait pouvoir faire la pluie et le beau temps en raison de sa taille. Marsh est une grande entreprise dans le secteur de l’assurance qui a voulu écarter un petit concurrent qui s’appelle Marshmallow. De façon assez classique, Marsh a joué la carte de la contrefaçon en évoquant la similarité et la ressemblance des deux noms. Cela risquerait d’après elle de provoquer une confusion dans l’esprit des consommateurs. Fort heureusement, le bureau de la propriété intellectuelle a pris soin de préciser que même pour n’importe quel quidam, les deux mots Marsh et Marshmallow renvoyaient à deux concepts différents (un marécage n’est pas une friandise) ! Après ça, les dirigeants de Marsh ont atténué leur peine en mangeant quelques confiseries à la guimauve.

Marshmallow

CC John Morgan

Patent Madness

Prolongations. La Chine joue les prolongations avec sa politique nationale relative aux brevets pharmaceutiques. Jusqu’à présent, les brevets avaient une durée de 20 ans mais il y a de grands risques pour que ce délai passe à 25 ans. Elle s’alignerait alors sur d’autres pays comme le Canada, du fait d’accords commerciaux interétatiques. Au nom de la rivalité avec les États-Unis, les conséquences sur cette extension sont lourdes sur la capacité à produire des traitements, notamment contre des maladies comme le cancer. Autrement dit, la voie des génériques est totalement bloquée pendant 5 années de plus. Cette barrière temporelle va empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché de la santé, et servir un peu plus des laboratoires en situation de monopole.

Autisme. Les brevets et les gènes ne font généralement pas bon ménage, mais c’est encore pire lorsque des maladies graves sont en cause. Le laboratoire américain LabCorp détient un brevet sur un test permettant de détecter les variantes d’un gène associé à l’autisme. Or sur la base de ce brevet, il menace non seulement les autres firmes qui voudraient copier son test, mais aussi les chercheurs qui souhaiteraient séquencer ce gène pour en apprendre plus sur la maladie, en leur demandant de payer une licence. Le pire, c’est qu’il est quasiment certain que ce brevet n’a aucune valeur, car la Cour suprême des États-Unis a interdit en 2013 que l’on puisse déposer des brevets sur des gènes humains. Mais il va sans doute falloir saisir la justice pour faire tomber le brevet de LabCorp. Il faudrait faire aussi des recherches pour trouver le gène responsable de la cupidité…

ADN

CC University of Michigan

Le Copyright Madness vous est offert par :

Lionel Maurel

Thomas Fourmeux

Merci à tous ceux qui nous aident à réaliser cette chronique, publiée sous licence Creative Commons Zéro, notamment en nous signalant des cas de dérives sur Twitter avec le hashtag #CopyrightMadness !


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