Une députée du Parti pirate accuse la Commission européenne d’avoir dissimulé une étude à 360 000 euros sur le piratage parce que ses conclusions n’allaient pas dans le sens de son intérêt politique.

Pour guider certaines politiques communautaires ou prendre la température sur certains sujets, la Commission européenne a pour habitude de commander des études sur des sujets variés : les usages numériques, la TVA… Mais elle aurait aussi tendance à taire les conclusions qui ne vont pas dans le sens de sa politique, à en croire Julia Reda, l’unique députée européenne du Parti pirate.

Elle accuse en effet la Commission européenne d’avoir gardé sous silence une étude commandée en 2014 à la société néerlandaise de conseil Ecorys. Financée à hauteur de 360 000 euros, celle-ci devait répondre à une question cruciale pour la réforme du droit d’auteur envisagée par la Commission européenne : « La violation du copyright a-t-elle un impact négatif sur les ventes légales ? »

Dans son rapport de 300 pages, rendu en mai 2015, Ecorys arrivait à une conclusion claire : l’impact négatif du piratage d’œuvres en ligne sur les ventes légales ne peut pas être établi dans les 6 pays étudiés (Royaume-Uni, France, Pologne, Espagne, Suède) : « De manière  générale, les résultats ne montrent pas de preuves statistiques solides qui prouveraient que ces violations de copyright en ligne entraînent une [diminution] des ventes. Cela ne signifie pas que le piratage n’entraîne aucune conséquence mais simplement que l’analyse statistique ne prouve pas avec suffisamment de fiabilité qu’il est suivi d’effets. »

L’étude note toutefois une exception, au sujet des blockbusters de cinéma : « Les résultats montrent une diminution de 40 %, ce qui signifie que pour 10 [blockbusters] récents visionnés illégalement, 4 films de moins sont achetés légalement. » Plusieurs études sont déjà parvenues aux mêmes conclusions, et ce dès 2013.

commission européenne

CC Sébastien Bertrand

Des conclusions restées secrètes pendant 2 ans

Sur son site, Julia Reda, qui a réussi à récupérer le rapport grâce à une demande légale de documents permise par l’Union européenne et l’a publié dans la foulée, feint de s’interroger : « Pourquoi la Commission, après avoir dépensé une somme importante sur cette étude, a-t-elle décidé de ne pas la publier pendant près de 2 ans ? »

Elle avance sa propre explication auprès de The Next Web : « Au départ, j’étais prête à accorder le bénéfice du doute à la Commission, en supposant que l’étude avait simplement été oubliée pendant la restructuration du département dédié en 2014. Toutefois, désormais, tous les éléments connus suggèrent que la Commission a volontairement choisi d’ignorer l’étude, à l’exception de la partie qui correspondait à son intérêt. »

La députée européenne du Parti pirate cite ainsi en exemple une étude universitaire publiée en 2016 dans laquelle deux responsables de la Commission européenne évoquaient ce lien établi entre diminution des ventes de blockbusters et téléchargement illégal — sans évoquer leur constat dans les autres domaines.

parlement-europeen

CC Diamond Geezer

« Ces données sont précieuses »

« Cela démontre que l’étude n’a pas été oubliée par la Commission » affirme Julia Reda, qui poursuit : « Par deux fois, elle n’a pas non plus tenu la date limite de réponse à ma requête d’information. On ne peut pas s’empêcher de soupçonner que la Commission a volontairement retenu la publication d’une étude financée par des fonds publics parce que les éléments découverts étaient contraires à ses intérêts politiques. »

L’Union européenne planche en effet sur une réforme ambitieuse du droit d’auteur, qui s’appuie notamment sur ce lien supposé entre piratage et baisse des ventes légales pour soutenir certaines propositions décriées. Les auteurs de l’étude n’ont pas souhaité répondre aux sollicitations de The Next Web.

Julia Reda conclut : « J’invite la Commission à ajouter au débat sur le droit d’auteur des éléments plus fiables et au bon moment. De telles données sont précieuses […] et devraient être à la disposition de tous quand elles sont financées par l’Union européenne, au lieu de prendre la poussière sur une étagère jusqu’à ce que quelqu’un la demande avec insistance. »

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