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Pour les scénaristes de Ghost in the Shell, le Japon « a pris beaucoup de retard technologique »

Le duo de scénaristes Kenji Kamiyama et Yoshiki Sakurai, connu notamment pour son travail sur la série Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, compte parmi les invités du festival Japan Expo. Nous les avons rencontrés à l'occasion pour parler de leur dernier film, Hirune Hime, qui met les nouvelles technologies à l'honneur.

Sans eux, Ghost in the Shell : Stand Alone Complex et sa suite (2nd Gig) n'auraient jamais vu le jour : Yoshiki Sakurai et Kenji Kamiyama ont contribué à cette adaptation télévisée -- au scénario pour les deux, mais aussi à la réalisation pour le premier -- de l'univers culte , qui s'est depuis offert une incursion à Hollywood.

Le duo vient de collaborer de nouveau sur Hirune Hime, un long-métrage attendu dans les salles françaises le 12 juillet. Ils y racontent le quotidien de Morikawa, une jeune fille perturbée par ses rêves étranges, qui détiennent la clé d'un mystère inattendu...

Kenji Kamiyama, scénariste du film, et Yoshiki Sakurai, producteur, sont revenus pour Numerama sur les coulisses d'Hirune Hime et sur le rapport du Japon aux nouvelles technologies. Ils sont présents en dédicace au festival Japan Expo : vendredi 7 à 10 heures, samedi 8 à 14h45, et en conférence le même jour à 16h15. 

Bienvenue en France ! Est-ce votre première visite ?

Kenji Kamiyama : Pour moi, oui c’est la première fois.
Yoshiki Sakurai : Je suis déjà venu 8 ou 9 fois, mais je ne suis jamais allé à Japan Expo !

Hirune Hime, rêves éveillés sort le 12 juillet 2017 chez nous. Comment est né le projet ?

Kenji Kamiyama : Il y a quatre ans, un producteur de la chaîne de télévision japonaise NTV m’a proposé de réaliser un film original, avec une histoire que je devais écrire moi-même. Pourquoi il me l’a proposé ? Et bien, il ne faut pas oublier le contexte au Japon à l’époque, c’est à dire que Hayao Miyazaki allait prendre sa retraite. Ce producteur cherchait donc un peu de nouveaux longs métrages d’animation.

Yoshiki Sakurai : Je suis arrivé un an plus tard avec cette proposition. À l’époque, il y avait déjà une équipe de producteurs de la chaîne NTV, [...] et j’ai commencé à travailler avec cette équipe, j’ai rejoint l’équipe de préproduction, et on a commencé à plancher sur le développement.

La chaîne qui investissait voulait logiquement connaître l’histoire du film. Donc nous avons passé quelques jours ensemble dans une auberge à Tokyo pour vraiment travailler sur le développement du scénario. À la sortie de ce séjour, c’est Kamiyama qui a eu l’idée de faire un film avec une part de science-fiction et de fantastique mais avec une héroïne, une jeune fille, dans une histoire qui se passe plutôt dans le monde réel.

L’intrigue tourne autour d’un logiciel de conduite autonome, avec une tablette magique et on peut y voir certains personnages avec un casque de réalité virtuelle sur la tête… Comment voyez-vous l’évolution des nouvelles technologies aujourd’hui ?

Kenji Kamiyama : Pendant le XXe siècle, et jusqu’au début des années 2000, le Japon était probablement le pays le plus développé et le plus avancé en terme de high-tech. Je pense que c’est vers 2010 qu’il a commencé à prendre beaucoup de retard par rapport à d’autres pays et c’est dû à l’absence de conscience auprès des jeunes générations. Il y a une vraie rupture entre la génération d’avant, qui a permis au Japon d’être le pays le plus développé, et les jeunes de cette génération.

Pour la génération d’avant, cette avancée fait partie de leurs succès, de leurs exploits. En revanche, pour les jeunes, c’est quelque chose de déjà acquis et qui a été inventé par la génération d’avant. J'aimerais que les jeunes soient un peu conscients de ce retard et j'espère qu'à travers la description de tous les objets technologiques, les jeunes ressentent cette importance et ce retard du Japon aujourd’hui.

Il est assez amusant d’observer le rapport de la jeune Kokone Morikawa à la tablette et aux smartphones, avec cette dimension « magique ». Quel impact ce type de nouvelle technologie va-t-il selon vous avoir sur la jeune génération et son mode de pensée ?

Kenji Kamiyama : Pour ma propre génération, on sait que quand on tourne le robinet, il y a de l’eau qui coule. On ne se demande même pas pourquoi l’eau coule, c’est quelque chose qui est déjà acquis depuis longtemps et qu’on fait de manière quotidienne, sans se poser aucune question. Pour la jeune génération, c’est exactement la même chose avec l’ordinateur, les smartphones, avec toutes les inventions et nouvelles technologies. Pour eux, ce n’est absolument pas mystérieux que les choses marchent avec ces objets là.

Le fait de ne pas se poser la question, ou de ne pas connaÎtre, ou de ne même pas se demander pourquoi ça marche comme ça, c’est évidemment quelque chose qui leur manque. Mais en même temps, l’ancienne génération a souvent des sentiments très négatifs vis à vis de la nouvelle.

Donc finalement, les jeunes ont deux côtés : ils sont très flexibles avec les nouvelles technologies, mais en même temps, ils n’ont aucune recherche pour ça. Je voudrais un peu montrer comment il faut faire et comment on peut créer un nouveau lien avec la technologie.

Que pensez vous de Tesla, l’entreprise d’Elon Musk, et ses envies de développement massives de la conduite autonome ? Dans quelle mesure cela a t-il pu inspirer votre film ?

Kenji Kamiyama : Tesla m’a beaucoup inspiré, bien sûr, pour le scénario, tout comme Elon Musk.

Au vingtième siècle, en ce qui concerne l’automobile au Japon, il y avait déjà toutes les avancées possibles et on travaillait beaucoup sur la voiture automatique, sur la voiture hybride. Mais quelqu’un comme Elon Musk, une personne très novatrice, était totalement absente au Japon.

Dans ce film, je veux dire qu’il faut vraiment des réflexions plus novatrices. Cela peut être non japonais, mais au Japon, j’aimerais que quelqu’un comme ça émerge.

Le film aborde cette idée de progrès technologique et d’évolution, mais se garde d’émettre un jugement sur cet affrontement entre ancien et vieux monde. Est-ce quelque chose que l’on ressent particulièrement au japon, avec ce mélange de tradition et de high tech ?

Kenji Kamiyama : Votre remarque est très intéressante, mais malheureusement, je trouve que dans le Japon d’aujourd’hui, si on a pris du retard ce n’est pas parce que l’on reviendrait davantage à la tradition non plus. Il y a la même tendance chez les jeunes et les personnes âgées aussi, c’est à dire que c’est un comportement typique des gens qui ont réussi quelque chose dans la vie, qui ont rencontré un grand succès : ils se contentent de l’état actuel.

Le Japon a très bien réussi, du coup il veut rester là sans rien changer, immobile. Il n’y a pas l’esprit à l’américaine de « on a réussi ou raté quelque chose, on passe à autre chose », ça c’est inexistant.

Le poids de l’histoire n'est donc pas si important que ça au Japon ?

Kenji Kamiyama : Le poids de l’histoire, c’est quelque chose qu’on ignore presque. Malheureusement. C’est sûr que le Japon est un pays qui a une longue histoire, mais on ne l’étudie pas assez bien.

En France, par exemple, quand on se promène dans la ville, on voit vraiment la présence de l’histoire, notamment du XIXe siècle, alors qu’au Japon, on n'étudie pas l’Histoire, et du coup, quand quelque chose ne vas plus, on n'a plus du tout de repère historique, on ne sait pas jusqu’où il faut retourner.

Pensez-vous que la thématique des robots, très présente historiquement dans les manga et les anime, cède aujourd'hui sa place à d'autres thématiques technologiques ?

Kenji Kamiyama : Autrefois, c’est vrai que le thème des robots était omniprésent dans les mangas et l’animation. Ça reflétait bien le rêve des enfants à l’époque, il y avait beaucoup d’aspiration pour ce qui était gigantesque. Ce rêve d’objets gigantesques a été représenté sous la forme de très grands robots, et peut-être que les créateurs de ces œuvres et les spectateurs ont évolué entre temps, avec le progrès de la technologie. La forme a donc beaucoup changé.

Et à un moment donné, les réseaux sont apparus, et ces robots ont commencé à être connecté donc il n’y avait plus du tout de sens à avoir ces robots gigantesques qui marchent par eux-même. C’était la personne à l’intérieur qui décidait avant, alors que maintenant, les robots sont connectés par les réseaux, donc c’est autre chose.

Ce n’est plus la peine d'avoir des physiques aussi gigantesques. Forcément, la représentation de ces technologies a beaucoup changé, même dans des œuvres de création : les robots sont souvent remplacé par la réalité augmentée.

Seriez vous intéressé à l’idée de réaliser ou produire un film en réalité virtuelle ? Cette technologie est-elle répandue au japon ?

Kenji Kamiyama : En tant que réalisateur, c’est vrai que je ne pense pas du tout créer quelque chose ou travailler sur de la réalité augmentée ou de la réalité virtuelle parce que ce n’est pas du tout le même esprit, les règles ne sont pas du tout les mêmes.

Mais comme phénomène, comme technologie, c’est sûr que les deux m’intéressent et je les observe avec beaucoup d’attention. Je pense surtout que la réalité virtuelle va avoir progresser en Asie, je vois qu’il y a pas mal de commande en la matière de la Chine au Japon. Dans des pays qui ont beaucoup progressé au XXIe siècle, je pense qu'on s’intéresse beaucoup à l'idée de créer de nouvelles choses, donc beaucoup de progrès attend sans doute la VR.

Je pense que c’est une technologie qui convient tout à fait aux Japonais, ils ne sont absolument pas dérangés d’être dans leur propre monde. Ils se concentrent dans leur propre bulle sans forcement partager avec les autres, ils ne ressentent absolument pas de stress d’être un peu isolés. Si les gens s’y intéressent de plus en plus, il y aura de plus en plus de manières de l’utiliser et probablement des accidents problématiques ou des affaires, mais ce sera aussi synonyme de progrès.

Vous avez tout les deux travaillé sur Ghost in the Shell: Stand Alone Complex, qui abordait déjà frontalement le thème des nouvelles technologies et de leur influence sur la société. Quel était l’enjeu, à l’époque, de cette nouvelle adaptation ?

Yoshiki Sakurai : Ma vision de la nouvelle technologie pendant Ghost in The Shell est restée la même, bien que j’ai constaté entre temps que le progrès peut aussi conditionner le comportement des gens. Un exemple : Twitter est un moyen de communication où l’on peut échanger en seulement 140 caractères. Comme, techniquement, on ne peut pas mettre plus de 140 lettres, on essaye de faire des textes dans ce format.

Écrire des romans en 140 lettres est devenu très à la mode, donc même pour cette création, on est conditionné à cause de la technique. Maintenant, au vu des contraintes, ça a été reflété pour la technologies où il y a eu des modifications des règles, etc. Mais quand on invente quelque chose, finalement on devient conditionné par celui-ci.

Comme  Kenji Kamiyama le disait, le Japon a connu malheureusement beaucoup de retard, tous milieux confondus. Par exemple, pour tout ce qui est des produits d’électroménager, il y avait des marques comme Toshiba ou Panasonic qui étaient au top, mais elles ont pris aussi du retard. Pour les appareils photo, c’était Canon, on y passe. Pour les voitures, il y avait Toyota… Ces entreprises fabriquaient des produits de hardware. Mais comme aujourd’hui, ils sont très en retard, le Japon essaye d’aller vers le software. Mais le pays n’est toujours pas à la hauteur.

Hirume Hime reflète bien ce décalage entre le hard qui est en retard et le soft qui n’est pas encore au point. Pour ce film là, on a accentué sur l’aspect automobile, parce que Kamiyama aime beaucoup les voitures et aussi les motos, mais en tout cas, on voit bien l’état actuel des choses. Peut-être qu’à l’époque de Ghost in the Shell, on a montré la même chose mais sous un autre angle. Avec Hirune Hime, on parle de la même chose mais avec encore un nouvelle approche.

Kenji Kamiyama : Il y a 15 ans, c’était presque le début des réseaux. A l’époque de Ghost in the Shell, on était tous excités de savoir comment les réseaux allaient changer notre monde et notre vie, on était presque contents. Aujourd’hui, on ressent tellement plus de stress, de fatigue, à cause de ces réseaux. C’est souvent différent de ce qu’on avait imaginé. Et le contexte du Japon a beaucoup changé aussi. Il y a 15 ans, c’était vraiment le Japon qui produisait les produits derniers cris dans le high tech, aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas.

Sur le plan politique, cela a changé aussi. Grâce au progrès des réseaux, on a vu que le monde allait être globalisé, en revanche, depuis que le mot globalisation a été crée, finalement les pays sont de plus en plus fermés. Aujourd’hui, chaque pays ne regarde que lui-même. Tout cela a beaucoup changé et aujourd’hui, si on faisait une nouvelle série Ghost in the Shell, ce serait fait avec un regard très différent.

Y-a-t-il une différence dans les méthodes de travail et de production entre une licence comme Ghost in the Shell et un projet plus personnel comme Hirune Hime?

Kenji Kamiyama : Quand on réalise l’adaptation d’une œuvre originale, on sait ce que les gens aiment dans cette œuvre. En gardant et accentuant cela, on fait des films d’animation. En revanche, lorsqu'on travaille sur un film original, personne ne connaît cette oeuvre, donc ce qui est difficile, c’est de convaincre toutes les personnes qui travaillent sur le projet et il faut qu’elles soient convaincues.

Yoshiki Sakurai : Pour tout ce qui est créatif, je laissais Kenji Kamiyama gérer tout ça donc je ne suis pas vraiment intervenu. Mais moi, j’ai vraiment l’impression d’avoir imaginé une façon de créer un film. On a décidé de travailler avec le numérique, donc à partir du moment où cette décision a été prise, j’ai essayé de trouver le matériel, l’argent et le personnel qui permettent de faire ce film de cette manière là. C’est ça le rôle de producteur.

Mais avec un projet original, on ne peut vraiment pas savoir à l’avance ce que l’équipe peut dire. Par exemple, quand on travaille pour une adaptation, il suffit de désigner un responsable des designs des personnages puisque de toute façon l’idée de base est dans l’œuvre originale. Là, on a engagé presque sept ou huit designers au début, qui ont commencé à dessiner tout ce qui est mécanique, les corps, les personnages, et ils ne savaient absolument pas ce qu’il fallait faire.

C’est en travaillant que Kenji Kamiyama a décidé : pour les personnages, on choisit tel designer, pour les mechas, telle personne… Ils étaient peut-être mal à l’aise au début, parce qu’ils étaient dans une équipe avec des rivaux, et personne ne savait ce qu’ils devaient dessiner. On a cherché une autre façon de travailler, donc j’ai vraiment l’impression d’avoir conçu la façon de créer le film.