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Master of None, saison 2 : escale dans l'Italie de Battisti et Antonioni sous la plume d'Ansari

À bien des égards, la nouvelle saison de Master of None, une comédie un brin intello d'Aziz Ansari pour Netflix, ressemble à une expérimentation. Déclaration d'amour au néoréalisme italien et à l'allégresse latine, cette saison 2 excelle dans l'auto-fiction quitte à perdre son spectateur inattentif. 

Vendredi dernier sortait la saison 2 de Master of None. L'occasion d'une critique mais également d'un retour sur le parcours de son créateur charismatique, Aziz Ansari.

https://www.youtube.com/watch?v=tGE-Mw-Yjsk

Pasta lover

À 34 ans, Aziz Ansari continue de se décrire, à la manière d'un blogger, par son amour pour les pâtes. Cela pourrait paraître puéril et un brin décalé pour un humoriste remarqué grâce à sa vivacité intellectuelle et son érudition. Mais Ansari semble aimer ce double tableau, auteur sur le fond, clown dans la forme.

Des années après son succès dans Parks and Recreation, le comédien ne craint plus grand chose. Il a ses fans, toujours au rendez-vous de ses stand-up, et son influence sur le petit écran affirmé par la première saison de Master of None. Une série vaguement autobiographique commencée en 2015 sur Netflix avec la collaboration d'Allan Yang, plume de Parks and Recreation.

Acclamée par la critique, la série distille avec élégance une analyse moderne et riche de l'âge adulte dans un premier temps. Avec des moments de très haut vol durant la saison une, où Ansari n'hésite à pas à jouer à l'auteur avec sa comédie pour lui donner des dialogues d'une grande qualité et des twists plus intellos que rigolos. On peut citer, pour ceux qui ne l'auraient vue, des confrontations père-fils d'une vraisemblance criante sur fond de conflit culturel entre première et seconde génération d'immigré et évidemment un final mémorable qui reste indépassable pour une comédie moderne.

Autobiographie modeste, réflexive et critique, Master of None assumait une modernité frontale sur son rapport au monde -- religion, filiation, carrière et sentiments -- et un romantisme, très latin, dans l'écriture qui sonnait parfois roman, parfois démonstration avec des faux airs de cinéma indé. Mais assurée par un long et cohérent souffle dans sa construction, la première saison de l'auto-fiction d'Ansari prodiguait un divertissement solide et convaincant.

C'est nettement moins le cas pour cette deuxième saison.

Une saison deux ambitieuse et impressionniste

Disons-le d'emblée : il y aura des déroutés durant cette saison deux. Car Ansari change à la fois de sujet et d'écriture. Jamais une série comique Netflix n'a été aussi déconstruite, impressionniste et protéiforme quitte, c'est vrai, à perdre le consommateur qui jette un regard amusé sur son téléviseur. Le spectateur plus attentif, qui ne se presse pas sur le contrat de lecture du show mais attend de voir Ansari déployer son charme, sera certainement bien plus amoureux.

Notons-le : aucun épisode de cette saison deux n'est calibré comme le précédent. Chacun semble développer son expression propre, ses références et son écriture, en ne partageant avec les autres épisodes que quelques arcs narratifs communs. Le résultat ressemble à une brouillonnante mais passionnante séries d'escapades créatives qui recouvrent, avec plus ou moins de réussite, des réalités contradictoires.

L'incipit italien de la saison commence par exemple en citant Ladri di Biciclette de Vittoria de Sica (1948). En reprenant des codes propres au maître italien, Ansari cite et joue de la cruauté poétique italienne sur un fond noir et blanc moyennement réussi.

Les humains sont des déceptions, les vicissitudes un mode de vie, l'amour une drôle d'illusion fuyante et les gosses, le seul espoir d'un monde échappant à l'ignominie de la guerre et de la réalité. Construit dans l'urgence et la détresse de la seconde guerre, le cinéma néoréaliste italien cité à travers de Sica et Antonioni par Ansari permet au comédien une entrée en matière plus douée, plus enlevée et dont les ressorts comiques sont désormais bien plus assurés par la réalité que par le quiproquo.

Une maturité toute latine

On s'éloigne de l'humour américain à la vitesse des va et viens de l'acteur dans son fourmillant corpus européen. On rit désormais un peu jaune, levant les mains au ciel en étouffant un va bene... Et l'Italie, si elle représente assurément le levier nécessaire à Dev pour résoudre la tension de la saison une, incarne pour l'auteur quelque chose de plus vaste : une porte qu'il ouvre à son spectateur pour établir la nouvelle tension du show dans une filiation directe d'une certaine allégresse existentielle qui hante l'esprit trans-alpin.

Rapidement, on comprend que Dev est passé à une nouvelle étape de son initiation à la vie. Alors que la première saison jouait sur les vertiges du possible et les aléas de l'identité comme du devenir soi, la deuxième s'allège du doute existentiel grâce à un réflexe bien latin, en guettant l'amour et la beauté. La filiation italienne, encore.

L'Avventura  (1960) d'Antonioni, cité à de multiples reprises, vient étoffer le topos du triangle amoureux qu'Ansari a visiblement trouvé dans le long-métrage. Ici, nulle disparition d'un protagoniste du triangle, mais un duo rongé par un ennui et un désir contredisant leurs propres ambitions.

Antonioni disait du premier volume de sa trilogie réaliste, dans un texte destiné à exprimer à la presse les enjeux de son film alors qu'il avait été hué au Festival de Cannes : « Mon film n'est ni une dénonciation, ni un prêche : c'est un récit en images où j'espère qu'il est possible de saisir non pas la naissance d'un sentiment fautif, mais la façon dont aujourd'hui on se trompe dans l'ordre des sentiments. »

Ce réalisme cruel et pétrifié du sentiment est la matière première de l'écriture de ce nouveau Master of None qui fait bien quelques erreurs mais jamais Ansari n'entame la moitié d'une réponse à une aporie posée. Il préfère installer décor, sentiments et regards dans des constructions simples, sincères et immédiatement familières : une comédie à l'italienne qui rappelle l'humour d'un Benigni et bien sûr de Moretti dont le Caro Diaro semble avoir un descendant italo-indien.

L'épisode I Love New York, malgré sa localisation recèle également de citations et semble incarner ce qui a moyen terme pourrait devenir la signature Ansari. Esthète, dirigé avec facilité mais efficacité, l'épisode est un vrai petit exploit de télévision qui flatte l'œil et le cœur tout en s'ouvrant à une écriture disruptive. Plus classique mais pas moins conceptuel Thanksgiving est très fin et établit le repas de famille comme un topos de premier ordre -- à l'italienne, vous l'aviez deviné.

Remarquons néanmoins que l'apparition de Chef Jeff et les parodies de Food TV auraient mérité une plus grande intelligence compte tenu de la place que prend l'arc narratif autour des combats de cupcackes dans le show. Flirtant avec un absurde qui rappelle Bojack et sa critique d'Hollywood, Ansari peine un peu de ce côté-là et on le préfère expérimentateur et observateur des cruautés de la vie dans son plus simple appareil.

With lights and music on, our love is made in the Dolce Vita

Enfin, nous sommes obligés de terminer cette critique par un paragraphe dithyrambique sur la bande-originale de la saison. Si la première s'assurait une crédibilité indé et pointue grâce à Father John Misty ou Aphex Twin tout en surfant sur le kitsch radical d'Africa du groupe californien Toto, la seconde s'aventure encore plus habilement sur le terrain musical.

L'harmonie qui règne entre le show et ses musiques est telle qu'on risque de spoiler en divulguant la playlist d'Ansari. Car ici la chanson a un rôle puissant, elle vient apporter une narration supplémentaire, une idée capable de résumer un épisode avec beaucoup de précision. On trouvera, pêle-mèle, Kraftwerk, 2pac, Dolce Vita de Ryan Paris, Mina ou encore Pino d'Angio (et son funk italien érotisant comme jamais). Mais également un clip de d'Angelo dans Thanksgiving pour évoquer le désir et même une instrumentale de Bowie (A New Career in a Town) qui souligne le changement de carrière de Dev. En somme, la musique raconte.

https://www.youtube.com/watch?v=weMrzt6W8V8

L'incursion dans la chanson italienne d'Ansari est merveilleuse. Le neuvième épisode par exemple s'appelle Amarsi un po', ce qui laissera certainement beaucoup de francophones et anglophones dubitatifs mais montre une connaissance du corpus italien très raffinée.

Amarsi un po' est en effet un tube aux relents disco de l'immense Lucio Battisti, roi et père de la meilleure veine du rock trans-alpin. Le single ici utilisé sort en 1977 et marque un tournant disco, très inspiré dans la carrière du chanteur italien.

https://www.youtube.com/watch?v=ODgezpIjR9k

Trois ans après les expérimentations bruitistes de Battisti sur l'increvable Anima Latina -- un album de prog rock au moins aussi ambitieux que ce que Genesis et Pink Floyd fomentaient à l'autre bout de l'Europe -- le musicien de génie revenait sur Io tu noi tutti avec le poète Mogol sur une scène inexplorée en Italie : une pop riche, un brin aristo, soutenue par des textes magnifiques et des arrangements savamment disco, enregistrée sous le soleil de Hollywood.

Amarsi un po', pour en revenir à l'énergique ballade choisie par Ansari, résume de bien des manières l'amour, vécu comme par effraction par Dev, pour une femme. Battisti y chante, dans une langue simple et dénuée de fioritures : S’aimer un peu / C’est un peu éclore / Ça aide, tu sais / À ne pas mourir. Avant de conclure : Mais seulement s’apprécier, non / Participer / C’est difficile / Presque comme voler. 

Malin.