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Rivers Solomon sort Sorrowland : « Les systèmes établis nous limitent »

Après L'incivilité des fantômes et Les Abysses, Rivers Solomon sort Sorrowland, qui traite à nouveau de sujets profondément sociaux tels que le racisme systémique. À l'occasion de la sortie en France de l'ouvrage, nous avons rencontré cette autrice qui est déjà une figure de prou de la science-fiction contemporaine.

Après deux ouvrages SF qui font déjà référence, L'incivilité des fantômes et Les Abysses, l'autrice américaine Rivers Solomon revient avec Sorrowland, édité en France chez les Forges de Vulcain. Mobilisant à nouveau sa plume puissamment allégorique et son écriture émancipatrice, Rivers Solomon décrit une rébellion individuelle contre la violence systémique -- dans un pays fictif qui ressemble toutefois à notre réalité. 

Son héroïne, Vern, 15 ans, accouche de jumeaux dans une étrange forêt alors qu'elle fuit une secte brutale où elle a été élevée en autarcie. Pourchassée, elle n'est pas pour autant acculée : la jeune femme vit une métamorphose qui lui confère une force surnaturelle. De quel héritage cette créature intérieure est-elle le fruit ?

Lors de son passage en France, début juin 2022, nous avons été à la rencontre de Rivers Solomon, à la librairie Les Mots à la Bouche (Paris). Entretien -- à retrouver aussi dans notre format vidéo « 1 mot avec » sur tous nos réseaux sociaux.

https://twitter.com/Numerama/status/1540367613838217216

« Ce qui compte, c'est la résistance et la justice »

Numerama -- Quelle est votre œuvre pop culturelle de référence ?

Rivers Solomon -- Battlestar GalacticaC'est politique. [La série] se penche sur les aspects les plus sombres de la vie humaine, en les affrontant sans en avoir peur.

Pourquoi écrire vous-même de la science-fiction ?

S'amuser ! Qui ne veut pas vivre dans un monde légèrement différent du nôtre ? J'ai toujours été une personne qui, depuis que je suis enfant, a la tête dans les nuages. Quand je partais en pique-nique, j'attachais un petit bandana à un bâton et le mettait sur mon épaule pour rendre ça plus excitant. Je m'intéresse aux mondes différents qu’offre la science-fiction. Même si les choses que j'écris sont plus sombres, il y a toujours l'enfant en moi qui ne peut pas échapper au sense of wonder que permet la science-fiction.

Comment peut-on définir Vern, l'héroïne de Sorrowland ?

Vern est une combattante parce qu'elle comprend plus que ce qui compte, plus que tout, c'est la résistance et la justice. Nous n'atteindrons jamais cette sorte de société utopique parfaite, c'est pourquoi nous devons constamment travailler en ce sens, embrasser la bataille du processus lui-même et continuer d'y travailler, ce qui implique de se battre.

Rivers Solomon tenant son roman « Sorrowland », à la librairie Les Mots à la Bouche (Paris). // Source : Numerama / Louise Audry

Vous prenez soin d'aborder des thématiques LGBT+ dans vos romans. Que voudriez-vous répondre à ceux qui critiquent une « surexposition » de personnages queer ?

Ce sont des conneries. Je sais que pour moi, par exemple, je n'écris que sur ma vie. Même si c'est de la science-fiction, c'est directement inspiré et nourri par mes amitiés, ma famille. J'ai longtemps été « le » cousin gay, mais maintenant je ne suis même plus le cousin gay au singulier : et il y a de multiples cousins gays et queers, donc je pense que c'est surtout qu'on est plus ouverts et qu'on se crée un espace pour nous-mêmes.

« Même si c'est de la science-fiction, c'est directement inspiré et nourri par mes amitiés, ma famille. »

Rivers Solomon

Dans l'idéal, qu'est-ce qui doit caractériser le futur ?

La réhabilitation. Tellement de personnes, d'animaux et de terres ont été empoisonnées par le capitalisme, le colonialisme et toutes ces horreurs. Mais je pense qu'il y a encore quelque chose de beau, et ils ont beau avoir essayé de nous détruire, ils n'y sont pas parvenus et ne le peuvent pas. Nous continuerons à cultiver nos jardins, et à nous construire, et à nous remodeler, et à faire du monde ce qu'il est censé être : un monde juste, et plein d'amour, et de passion, et se battre pour ce monde.

Et inversement, que ne doit pas être le futur ?

Blanc. Nous avons toujours eu -- enfin pas toujours, mais durant les 400 dernières années -- un Occident blanc, comme résultat du colonialisme. Nous avons une histoire qui nous a été imposée à tous et partout dans le monde et qui a causé la mort, de personnes à proprement parler, de peuples entiers qui ont été anéantis, de cultures et d'histoires. Sans compter des espèces animales qui ont disparu à cause de cette relation d'exploitation qui résulte du capitalisme et du colonialisme. Nous avons besoin d'un monde qui embrasse d'autres connaissances, d'autres façons de faire les choses et d'autres traditions, et pas seulement l'approche occidentale blanche.

« Les systèmes établis nous limitent »

Rivers Solomon

Vern est quelqu'un qui serait démunie dans notre monde, discriminée. Mais dans Sorrowland, elle développe des pouvoirs, se transforme en créature puissance. Est-ce qu'on a tous et toutes une créature puissante en nous, métaphoriquement ?

Je pense que oui. Quand j'étais enfant, mon père me remémorait sans cesse une citation, qui dit en fait que « Nous ne sommes pas effrayés d'être petits ou de ce que nous sommes incapables de faire, nous sommes effrayés de combien nous sommes puissants dans tout ce que l'on peut accomplir ». J'y crois énormément. La réalité, c'est que les systèmes établis nous limitent. Mais nous avons tous et toutes un énorme potentiel intérieur de puissance et de changement du monde -- même si cela ne consiste qu'à nous libérer individuellement. 

Vern est aussi une rebelle. Est-ce que cela fait d'elle un « modèle » ? 

Oui, car il faut se battre pour résister, et ne pas juste accepter la façon dont sont les choses. Se questionner constamment, défier la façon dont on nous dit que les choses sont ou qu'elles doivent être. Peut-être pas exactement comme Vern cependant, elle est en colère et pleine de rage -- et elle a tous les droits pour l'être. Elle a une tendance nihiliste. Mais j'aimerais être davantage comme Vern, avoir ce même niveau de combativité en moi. 

Dans Sorrowland comme dans Les Abysses, vous transformez le trauma en une sorte pays fictionnel, comme pour lui donner de la matérialité. La fiction est-elle un moyen d'exprimer l'inexprimable ? 

La fiction nous permet d'aborder des choses que nous ne pourrions pas évoquer dans une conversation normale, ou même en lisant un essai. L'immédiateté et la viscéralité de la fiction nous poussent dans nos retranchements, dans des recoins sombres et nous forcent à nous y confronter, à ressentir toutes ces choses. Mais j'écris de la fiction, alors c'est évident que je dise ça !

« L'immédiateté et la viscéralité de la fiction nous poussent dans nos retranchements »

Rivers Solomon

Sorrowland décrit aussi un écosystème global, qui fait écho au mouvement écologique qui invite à penser la nature comme un ensemble et non comme des choses séparées. Faut-il une même prise de conscience pour l'humanité ? 

Absolument, cela ne concerne pas seulement notre rapport à l'écologie. Il s'agit de comprendre que nous sommes tous et toutes en connexion, que nous avons des racines similaires, voire les mêmes. Nous sommes une vaste toile. Imaginez une toile d'araignée : aujourd'hui, c'est comme si quelqu'un avait effiloché ces fils délicats. Nous devons trouver un moyen pour la reconstruire, la reconnecter et y trouver notre place.