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Conspirationnistes repentis, voici comment ils ont arrêté de croire aux théories du complot

La crise sanitaire semble raviver le succès des explications conspirationnistes en ligne. Y croire un jour ne veut pas dire y croire toujours. Exemple avec Sylvain et Clément, deux trentenaires sortis de ces théories après une longue remise en question.

Il y a quelques années, Sylvain aurait sûrement relayé Hold Up, un « docu-menteur », comme le décrit aujourd'hui cet ancien « complotiste ». Aujourd’hui juriste en région parisienne, le trentenaire décortique sur sa chaîne Youtube des théories alternatives répandues en ligne, sur le coronavirus ou le 11 septembre.

Au début des années 2010, le jeune homme voyait le monde à travers un prisme conspirationniste, expliquant volontiers les événements comme le résultat d’un plan secret, manigancé par une organisation ou un groupe de personnes, qui cacherait les traces de son implication.

La « révélation »

Pour Sylvain, tout commence par « un délire de fin de soirée », quand un ami lui montre la « Révélation des pyramides ». D’après ce « documentaire », vu plus de 5 millions de fois sur Youtube, la pyramide de Guizeh n’aurait pas été érigée par les Egyptiens.

Il partage ce film à des amis et à ses parents. Son père, ancien bénévole sur des fouilles archéologiques, reste sceptique. Sylvain n’en tient pas compte. Avec « le sentiment de savoir des choses que les autres ne savent pas », il conclut : « si ce qu’on m’a dit sur les pyramides est faux, je peux tout questionner.»

L’étudiant visionne des heures de vidéos en ligne. Le 11 septembre ? Les USA ont participé. Les traînées d’avions dans le ciel ? Des produits toxiques. L’holocauste? Peut-être des chiffres gonflés. « Pourtant, je n’ai jamais été antisémite », souligne Sylvain.

Depuis l’enfance, ce juriste adore l’astronomie. Sa chaîne Youtube s’appelle « Debunker des étoiles » et le 21 juillet 1969 est, pour lui, « le plus bel exploit de l’humanité ». Alors, le jour où il découvre une vidéo affirmant que les Etats-Unis n’ont jamais marché sur la Lune, cela « le dérange beaucoup ».

A chaque affirmation, il met la vidéo en pause et cherche, « pour la première fois », des contre-arguments qui le rassurent : pas de doute à avoir sur les premiers pas sur la Lune.

L’étudiant joue un temps sur les deux tableaux. Dans les commentaires de vidéos sur le 11 septembre, il alimente les thèses conspirationnistes, tout en défendant la version officielle pour la Lune. La « dissonance cognitive » devient intenable.

En vérifiant, « dans son coin », d’autres théories auxquelles il croyait, le juriste entame un « rétropédalage progressif » et finit par admettre que toutes sont « fondées sur du vent. »

« Blessant pour l’ego »

Sylvain découvre aussi les outils du mouvement « sceptique », qui prône une démarche scientifique rigoureuse et un développement de l’esprit critique. Le détricotage de la Révélation des Pyramides par un sceptique sort pour de bon Sylvain des théories conspirationnistes.

« C’est blessant pour l’ego de se rendre compte que l’on s’est fait duper », confie le jeune homme. Difficile aussi de redevenir « un mouton », de ne plus « se démarquer du “simple” peuple par ses connaissances. »

Faire marche arrière aurait été plus douloureux pour Sylvain s’il avait adhéré à ces théories « par idéologie »Dans son cas, ne pas cautionner l’antisémitisme rendait moins difficile, par exemple, d’abandonner une thèse négationniste. « Tout le monde n’a pas les mêmes raisons d’y croire. Comprendre pourquoi la personne s’intéresse à ces théories est très important », confirme Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l’Université de Fribourg.

Une théorie peut en cacher une autre

Pour Clément, la sortie s’est faite en deux étapes. En 2015, cet étudiant aujourd’hui professeur de SVT, cesse de relayer les idées d’Alain Soral, condamné notamment en octobre 2020 pour avoir désigné « les juifs » responsables du 11 septembre 2001. Dans les années 2010, ce polémiste d’extrême-droite s’était fait une place sur la toile et y relayait ses obsessions : le « lobby gay », les juifs, les féministes.

Le déclic de Clément est « émotionnel ». Après quatre années d’adhésion, des paroles ouvertement antisémites de Soral le « choquent ». Pour l’étudiant, ces paroles remettent en doute la sincérité d’Alain Soral, qui justifiait ses saillies contre les juifs par pur antisionisme et défense de la cause palestinienne, chère à Clément.

Sebastian Dieguez, neuropsychologue suisse, propose une comparaison avec la sortie d’une secte : « Le déclic ne vient pas forcément d’une critique rationnelle des fondements de la secte. Cela peut venir d’un sentiment de décalage entre ses propres valeurs et celles de la secte. »

Mais Clément, à l’époque, ne comprend pas comment il est « tombé dans ces pièges ». Devenu végétalien en 2015, il se fait happer par les vidéos de Thierry Casasnovas, figure des médecines « non-conventionnelles ». Ce dernier fait l’objet de 400 signalements à la Miviludes, la mission interministérielle chargée de lutter contre les dérives sectaires. Contre la vaccination, Thierry Casasnovas prétend que le crudivorisme, l’hygiénisme et le jeûn suffisent à être en bonne santé et minimise la gravité des cancers, et dissuade certains de ces fans de poursuivre leur suivi médical, leur proposant parfois d’acheter ses formations pour se faire leur « propre idée ».

Changer ses sources d’information

Son adhésion à une association de défense de la cause animale vient bouleverser ses certitudes. Des adhérents partagent de nouveaux conseils à Clément sur le véganisme, comme les guides nutritionnels officiels d’autres pays européens. Certains lui confient avoir cru les mêmes sources erronées que lui par le passé : « Ça m'a un peu déculpabilisé, ça aide à prendre du recul. »

Plus généralement, la parole de repentis pourrait avoir un effet sur les conspirationnistes. Une étude allemande portant sur la radicalisation politique, un phénomène supposé proche du conspirationnisme, suggère ainsi que les extrémistes écoutent et mémorisent davantage les contre-arguments s’ils viennent d’anciens radicalisés.

L’enseignant, désormais abonné à Médiapart et Arrêts sur images, ne boude plus les médias traditionnels. Il renforce aussi sa culture générale, celle qui lui faisait défaut en écoutant Alain Soral : « je manquais de repères historiques et politiques ». « C’était difficile de démêler le vrai du faux », déplore le trentenaire. Il s’attarde aujourd’hui sur les sources accompagnant les vidéos qu’il regarde.

Comment ne pas se faire berner à nouveau ? Sur Youtube, « je regarde d’abord si la personne s’est déjà exprimée sur des sujets que je connais. Si elle les maîtrise, je fais plus confiance. »

Pas de formule magique

La diffusion massive de théories conspirationnistes peut laisser penser que beaucoup les adoptent. « Il y a une zone grise, où les gens relaient sans y adhérer », relativise Anthony Lantian, maître de conférences à l’Université de Paris Nanterre et auteur de Croyez-vous aux théories du complot ? (PUG/UGA Editions). Cette tendance à partager peut s’expliquer par la curiosité, l’idée que l’on n’adhère pas à la totalité du contenu mais que cela reste un point de vue intéressant.

Le Guide des théories du complot, une synthèse des travaux de 150 chercheurs européens, propose d’agir en amont sur les personnes qui ne croient pas encore au conspirationnisme. Leur diffuser des messages de réfutations ou des contre-arguments basés sur des preuves s’avère alors « partiellement efficace ».

Mais tout dépend du niveau d’engagement. Avec un conspirationniste très convaincu, argumenter peut se révéler inutile. Déconstruire une croyance risque même d’échouer et de renforcer l’adhésion.

Sylvain choisit parfois, pour les théories qu’il juge « absurdes » comme l’hypothèse de la terre plate, de se moquer de ceux qui y croient. Des chercheurs hongrois ont estimé la technique payante, avec un risque néanmoins : le rejet total de la contradiction.

« Il n’y a pas de formule magique, il faut s’adapter en fonction du degré de croyance et du caractère de la personne », résume Sébastian Dieguez, chercheur à l'Université de Fribourg.

Et quand ces théories obsèdent un proche, Sebastian Dieguez rappelle que ce n'est pas « le rôle de gens ordinaires, comme nous, de les sortir de ce genre d’emprise. Nous n’avons pas non plus de raisons de supporter leurs lubies». Le plus souvent, ceux qui arrêtent de croire aux théories du complot le font après un long cheminement personnel et l’entourage n’y peut parfois rien.

C’est la philosophie de Sylvain. Sa chaîne Youtube ne produira peut-être jamais de déclic, mais elle offre, espère-t-il, des outils aux personnes ayant entamé une réflexion.