Le Commandement de l’espace annoncé par Emmanuel Macron est une réorganisation tant hiérarchique que stratégique. La volonté de la France est d’affirmer sa puissance spatiale. Numerama a décrypté la portée de cette annonce en interrogeant le porte-parole de l’armée de l’air.

Lors de son traditionnel discours aux armées pour les célébrations du 14 juillet, Emmanuel Macron a annoncé la création d’un Commandement de l’espace, accompagné d’un renforcement de la surveillance exoatmosphérique. À terme, l’armée de l’air va être renommée « l’armée de l’air et de l’espace ».

Cette annonce du président de la République ne sort pas de nulle part. En 2018, il avait fait part de sa volonté de doter la France d’une véritable stratégie spatiale de défense. Suite à cela, un groupe de travail avait planché sur la question, avant de remettre un rapport au Ministère des armées.

Emmanuel Macron a annoncé la création d'un Commandement de l'espace lors d'un discours à l'hôtel de Brienne, pour les célébrations du 14 juillet 2019. // Source : Capture Twitter / @Elysee

Emmanuel Macron a annoncé la création d'un Commandement de l'espace lors d'un discours à l'hôtel de Brienne, pour les célébrations du 14 juillet 2019.

Source : Capture Twitter / @Elysee

Stratégie défensive et offensive

L’évolution stratégique est portée par une volonté de renforcement militaire de la présence spatiale française. Emmanuel Macron a annoncé vouloir mieux protéger les satellites « y compris de manière active ». Une rhétorique similaire était déjà présente dans les propos de la ministre des armées, en avril 2019. Sur Radio Classique, Florence Parly précisait que « nous ne nous interdisions pas d’avoir une stratégie plus offensive ».

Que se cache-t-il derrière la « manière active » et l’« offensive », termes qui peuvent prêter à confusion ? Le colonel Cyrille Duvivier, porte-parole de l’armée de l’air, explique à Numerama : « C’est de l’offensif éventuel pour protéger, cela reste bien une mission de protection. L’utilisation d’une arme dépend toujours de la doctrine dans laquelle on l’utilise. Ce peut être offensif comme défensif. En l’occurrence, l’idée d’être actif est ici d’empêcher l’agression. »

Dans cette dynamique, l’Onera (laboratoire français de l’aérospatial) développe un laser incapacitant : il n’a pas pour but de détruire le satellite, mais de bloquer sa mission. Cyrille Duvivier n’a pas pu confirmer ni infirmer son utilisation à venir, mais il cite en revanche l’existence d’autres techniques, comme par exemple des protections sur les satellites eux-mêmes, mais aussi des satellites « garde-du-corps » dédiés à « protéger les autres ».

Les limites posées par le Traité de l’espace

Il n’est a priori nullement question de procéder à des attaques. Le droit international est d’ailleurs censé prohiber ce genre d’actions. En 1967, le Traité de l’espace a été promulgué en interdisant la mise en orbite d’armes de destruction massive. Toute manœuvre militaire, tout test d’arme et toute base militaire sont également proscrits.

Normalement, il ne devrait donc pas être nécessaire de se défendre dans l’espace, puisque c’est un milieu qui appartient à tout le monde. Mais alors pourquoi passer à une défense offensive ? « C’est une forme de réponse à un développement récent de l’espace.  Ce n’était pas censé être un endroit de confrontations, mais il est en train de le devenir », nous explique Cyrille Duvivier.

Face à l’arsenalisation de la Chine et de la Russie, la France ne veut pas « rester inactive ».

Et, en effet, une course à l’armement spatiale commence à prendre de l’ampleur. Donald Trump a ordonné la création d’une space force, tandis que l’Inde a réussi à détruire un satellite en trois minutes par un tir de missile. La Chine et la Russie se sont également engouffrés dans le développement de telles armes. Face à cette arsenalisation, la France ne veut pas « rester inactive ».

En conséquence, l’annonce d’Emmannuel Macron paraît s’inscrire dans une démonstration de puissance. Cyrille Duvivier nous confirme ainsi qu’il s’agit aussi d’une « réponse politique de souveraineté face à un vrai enjeu. Au-delà de l’aspect technique, il s’agit l’autonomie stratégique française. Puisqu’on constate des évolutions, nous avons le devoir d’être prêts ».

Pour être puissant, il faut être organisé

En France, il existe déjà un Commandement interarmées de l’espace (CIE). Son chef, Michel Friedling, était auditionné début 2019 par le Sénat. Il appelait à remédier à la dispersion des acteurs du secteur spatial militaire, ainsi qu’à « l’absence de chaîne de commandement unifiée » dans ce domaine.

L’idée de regroupement a été confirmée par Florence Parly sur France Inter : « Nous allons rassembler tous les moyens qui sont dispersés dans nos armées et qui contribuent à la bonne utilisation des moyens spatiaux ». Il est donc très probable que la réorganisation commence par une fusion entre ce CIE et le nouveau Commandement de l’espace, afin de tout rassembler… et ce, sous une seule tête, probablement une sorte de général de l’espace.

« Il y a un avant et un après. Cette décision politique montre que la France veut se saisir de l’enjeu spatial et qu’elle s’organise donc en conséquence », conclut Cyrille Duvivier. Pour autant, il faut rappeler qu’au-delà de l’effet de l’annonce, la mise en œuvre va encore prendre du temps. Les missions des armées sont définies dans le Code de la défense, qui est une loi. Pour la modifier, il va falloir travailler avec le Parlement, ce qui pourrait prendre du temps. L’armée de l’air et de l’espace, ce n’est pas exactement pour demain, et une prétendue guerre des étoiles encore moins — bien heureusement.

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