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Nos députés français connaissent-ils vraiment le numérique ?

L'Institut Montaigne, un think tank libéral, a évalué les compétences numériques de l'Assemblée nationale. Si la méthodologie est discutable, l'exercice n'est pas dénué d'intérêt.

L'Assemblée nationale est-elle suffisamment qualifiée pour comprendre et traiter les problématiques liées au développement du numérique ? C'est à cette question que l'Institut Montaigne, un think tank d'obédience libérale et financé par des entreprises, a cherché à répondre, fin novembre. Les 577 députés élus (ou réélus) à l'issue des élections législatives de 2017 sont ainsi passés au crible.

Il ressort de ce travail que l'essentiel des élus, d'après les critères méthodologiques de l'Institut Montaigne, n'y connaît pas grand chose, voire rien du tout. 414 d'entre eux tombent dans la catégorie des « non-experts », soit 71,75 % de la représentation nationale. Dans cette catégorie figurent les parlementaires qui ont eu moins de 20 points, selon le barème du think tank pour évaluer leurs compétences.

Barème composé de six critères

Ce barème se compose de six critères qui donnent accès à un certain nombre de points si leurs conditions d'obtention sont respectées. Ainsi, la rédaction d'un projet de loi vaut 20 points, tandis que la participation à un travail parlementaire en donne 15. Si le député a fait preuve de diversité dans les sujets numériques qu'il a traités, il a droit à 10 points par sujet.

L'on objectera toutefois que ces points reflètent avant tout l'activité parlementaire de personnes s'intéressant sans doute au numérique, plutôt qu'une réelle compétence dans ce domaine.

Cependant, les trois autres critères illustrent mieux le niveau des élus : 20 points sont donnés par année passée dans le secteur du numérique, 10 points par expérience annuelle liée au numérique (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) et 5 points par diplôme correspondant aux domaines des sciences, des mathématiques, de l'ingénierie et des technologies.

Au-dessus de la catégorie des « non-experts », trois groupes existent : les « amateurs » (c'est-à-dire les députés ayant obtenu entre 20 et 49 points), les « connaisseurs » (entre 50 et 109 points) et les « experts » (au-delà de 110 points). Dans la chambre basse du Parlement, nous avons donc, selon l'Institut Montaigne, 73 amateurs (12,65 %), 59 connaisseurs (10,23 %) et 31 experts (5,37 %).

Des experts répartis politiquement

On notera que sur ces 31 députés experts, la très grande majorité occupe en général un ou plusieurs postes à responsabilité dans les groupes d'études relatifs au numérique (présidence, vice-présidence ou secrétariat), même si leur répartition est inégale : tous les postes-clés du groupe d'études sur « la cybersécurité et la souveraineté numérique » leur sont revenus, mais pas pour celui sur « les startups, PME et ETI ».

Dans la plupart des cas, ces députés, outre des postes à responsabilité dans ces groupes d'études, peuvent aussi avoir un simple statut de membre. Attention : cela ne veut pas dire que les autres parlementaires ne sont pas qualifiés : certains d'entre eux figurent peut-être dans les catégories « amateurs » ou « connaisseurs ». Les 31 élus que l'Institut Montaigne met en avant sont juste ceux ayant eu la meilleure notation.

Seuls trois parlementaires « experts » n'apparaissent pas dans l'un de ces groupes.

Il s'agit de Moetai Brotherson, que l'on retrouve dans une mission d'information sur la blockchain et dans un groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne, Franck Riester, qui est entré au gouvernement à la mi-octobre et qui a un certain passif sur ces sujets, et Cédric Villani, dont l'expertise vient d'un parcours brillant en mathématiques et par un rapport sur l'IA.

Une méthodologie fiable ?

Détaillée sur le site de l'Institut Montaigne, la méthodologie choisie pour classer les députés est toutefois discutable : si certains critères sont légitimes, comme la formation universitaire ou l'expérience accumulée dans ce secteur d'activité, d'autres semblent plus refléter une simple activité parlementaire et non pas une réelle compétence ou connaissance du sujet.

Ce n'est pas parce qu'une activité est relevée qu'elle témoigne d'une maîtrise du sujet. L'histoire regorge de textes dénotant une faible perception des enjeux : on se souvient par exemple de cette idée de nationaliser Internet avec une loi, de ce texte pour interdire l’anonymat des blogueurs ou, plus récemment, de cette proposition pour interdire l’iPhone pour faire céder Apple sur le chiffrement.

Cependant, il convient de noter que ces cas de figure ne sont manifestement pas pris en compte par l'Institut Montaigne, qui ne fait pas mention des propositions de loi ou des amendements que déposent les députés et qui sont parfois le lieu de toutes les absurdités législatives. La méthodologie se concentre en effet surtout sur des rapports et des apports, ce qui a priori permet de trier le bon grain de l'ivraie.

En outre, la progression dans les rangs supérieurs nécessite a priori de satisfaire une pluralité de critères, ce qui permet de filtrer d'éventuels « passagers clandestins » qui ne se feraient remarquer sur les sujets du numérique que par des interventions découplées de la réalité. Ainsi, si la méthodologie est sans doute perfectible, l'exercice n'est en tout cas pas dénué de sens et d'intérêt.

Former des députés geeks

Le travail de l'Institut Montaigne rend ainsi plus concret la nécessité de former les députés à être un peu plus geeks. C'est justement un objectif de l'Assemblée nationale. Plus tôt en 2018, la chambre basse du Parlement annonçait l'organisation de formations pour que ses membres maîtrisent mieux ce sujet. Manifestement, ce n'est pas que nécessaire : c'est urgent, vu le nombre de non-experts comptabilisés par le think tank.

« Certains députés ne sont pas encore familiers des outils numériques qui évoluent très vite et qui nécessitent des mises à jour régulières des compétences », lisait-on dans un document de l’Assemblée nationale. Ces formations, financées par le parlement, « seront assurées par des prestataires et bénéficieront à des députés choisis par leur groupe politique », était-il précisé.

Comme nous le faisions alors remarquer, l'idée du Parlement s'inscrit en droite ligne des travaux du Conseil national du numériqueDans son avis de juillet 2017, l’instance insistait pour « des outils numériques efficaces et une politique active de formation des élus », afin qu'ils soient à l’aise avec ces technologies. En effet, celles-ci jouent un rôle de plus en plus important dans la fabrique et le suivi de la loi.

L'instance consultative appelait aussi à « favoriser les interactions » entre les députés, la société, les chercheurs et les acteurs de la Civic Tech, et de faire en sorte que le savoir technique des élus converge de manière à ne « plus pouvoir différencier les élus geeks et les élus non-geeks ». Car le numérique infuse aujourd'hui partout, et que certains débats requièrent une connaissance aiguisée des enjeux.