Suspendu pour avoir créé Wikileaks 13 : une décision normale
C'est une décision qui peut paraître choquante, mais qui est tout à fait normale.
En soi, cette décision du Conseil général est compréhensible, et il faut se garder de tout jugement hâtif contre les pouvoirs publics locaux. Sur son site, l'homme n'hésite pas à afficher comme rubriques les termes "abus de pouvoir", "copinage", "corruption", "marchés publics bidons" ou "mensonges et omissions". Des accusations graves à l'encontre de la collectivité locale et de ses fonctionnaires, qui dépassent le cadre de la simple expression d'opinion.
Il existe effectivement pour tout agent de la fonction publique une obligation de réserve, consacrée par la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui "interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque". Qu'elle soit légitime, ou non. Protéger la liberté d'expression, c'est aussi savoir en poser les limites, pour ne pas que ses abus incitent à la brider davantage.
Wikileaks, dont le fonctionnaire se revendique, n'a jamais qualifié pénalement les faits qu'il dévoile à travers ses documents. "Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est clair qu'il y a eu des pratiques contraires à l'éthique, mais il est trop tôt pour suggérer qu'il y a délit. Nous devons être prudents et ne pas coller une étiquette de délinquants aux gens avant d'être tout à fait sûrs", disait encore Julian Assange au magazine Forbes, à propos des révélations à venir sur le secteur bancaire.
Lorsque l'homme de Marseille parle d'abus de pouvoir, de corruption ou de marchés publics bidons, il ne prend pas la distance que s'impose Wikileaks, et qu'imposerait un devoir de réserve. Même si en 2001, le gouvernement avait indiqué dans une réponse à un député que l'obligation de réserve "ne saurait être conçue comme une interdiction pour tout fonctionnaire d'exercer des droits élémentaires du citoyen : liberté d'opinion et, son corollaire nécessaire dans une démocratie, liberté d'expression". Mais affirmer qu'il y a délit pénal n'est pas l'expression d'une opinion, c'est le pouvoir d'un juge, et d'un juge seulement.
Reste que le devoir de réserve doit s'appliquer à l'égard de tous, avec la même sévérité. Or lorsque la magistrate Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits de l'Hadopi, ricane ouvertement de justiciables, en livrant à la moquerie publique les éléments de leur défense pour les ridiculiser, elle atteint à son devoir de réserve. Le ministère de la Justice explique en effet que "l'obligation de réserve, dont les fondements sont rappelés dans une circulaire du 29 décembre 1952, implique, de la part des magistrats de l'ordre judiciaire, une nécessaire retenue dans leurs déclarations publiques, destinée à préserver l'exercice de leurs fonctions de toute critique de partialité".