L’Histoire, la discipline, est par essence révisionniste, en ce qu’elle consiste à réécrire le passé en fonction des témoignages, vestiges et autres indices, de leur analyse et recoupement.
Le révisionnisme comme méthode en recherche historique, et qui emprunte d’ailleurs à la pensée positiviste (je pense à Karl Popper) qui définit encore aujourd’hui les paradigmes de la Science (grosso merdo : une théorie est jugée valide lorsqu’elle fait consensus parmi la communauté des chercheurs, ce jusqu’à ce qu’elle soit invalidée par consensus - toujours - au profit d’une autre théorie), n’est pas du complotisme.
Le révisionnisme est, en France et depuis la loi Fabius-Gayssot, un crime puni par loi, interdisant aux historiens comme à quiconque de procéder avec une période précise de l’histoire comme on procède habituelle avec d’autres périodes. Le principe de cette loi est qu’il est interdit de remettre en question une virgule des conclusions du Tribunal de Nuremberg relatives aux crimes nazis.
Le complotisme est une notion apparue dans les 60 aux Etats-Unis. Sorte de tazer rhétorique, elle - la notion - est explicitement conçue pour décrédibiliser le discours de l’adversaire en axant la réponse non pas sur le contrargument mais sur l’attaque ad nominem (je crois qu’il est question de ça à plusieurs reprises ici, d’ailleurs : “on ne discute pas avec Maurice”).
Attaque ad nomimem, on psychiatrise (pratique stalinienne) :
On criminalise : voir la suite.
Le tout étant d’éviter le débat sur le fond.
Cette méthode rhétorique a eu de beaux jours outre-atlantique, brandie à l’encontre de quiconque dénonçait un complot, qu’il soit a posteriori avéré (Watergate), toujours sujet à interrogation (Kennedy) ou manifestement farfelu (Roswell), avant de débarquer chez nous en France.
Première, certainement, apparition du tazer rhétorique en France, brandi contre Thierry Meyssan suite à la parution de son livre “L’effroyable imposture” dans lequel l’auteur critique et documente sa critique de la thèse dite officielle, non pas de l’attaque des tours jumelles, mais de l’attaque du Pentagone. Derechef, levée de bouclier des chiens de gardes, K. Fourest en tête, BHL…
Le principe argumentatif mis en place par les sus-nommés, à ce sujet, comme, par suite, pour d’autres, est de pilo-tracter un lien entre le discours supposé complotiste et l’antisémitisme. Jackpot : avec une accusation comme ça, l’interlocuteur passe plus de temps à se défendre contre ce qu’il n’a pas dit plutôt qu’à argumenter son propos.
L’accusation rhétorique de complotisme, variante : conspirationnisme, poursuit discrètement son chemin une petite décadre durant, jeter ça à là à la tête de détracteurs, souvent adossée à l’accusation d’antisémitisme, histoire de faire entrer dans l’esprit de chacun le réflexe pavlovien de “conspi = antisémite”.
On agrège petit à petit tout et n’importe quoi, du farfelu ufologue aux analystes critiques de l’actualité comme de l’histoire proche d’obédience droite extrême, droite, gauche, gauche extrême. Ainsi, parfois on tend au grotesque tant l’accusation est jetée indistinctement au visage de n’importe quel tenant d’un discours qui ne plaît pas. Ainsi, un économiste marxiste tel Frédéric Lordon, ainsi le Monde Diplo… Là, pour le coup, la ficelle est grosse mais elle trahit bien le principe : il s’agit moins de faire taire le contradicteur que de le privé d’auditoire, le tout en faisant l’économie d’une contre-argumentation (“on ne discute pas avec Maurice”) en jouant sur le réflexe pavlovien de l’accusation de complotisme dont la mécanique est maintenant amalgamante dans l’esprit du commun : conspi-revisionniste-antisémite-soralien-dieudonesque-hihihi-reptiliens-et-autres-illuminatis.
Mais cela, pour l’heure, ne restait qu’une pratique de chiens de gardes, d’experts, de médias.
Il aura fallu les attentats de janvier 2014 pour le complotisme entre dans la bouche du politique par celle de M. Walls, et devienne un cheval de bataille qui n’a pas cessé de galoper toute l’année 2015 durant (sans qu’on comprenne trop pourquoi : il n’y avait pas plus urgent ?).
Puis vient 2016.
- Rue89 ouvre le bal avec une campagne d’articles s’étalant sur une semaine durant : le complotisme, qui ils sont, qu’ils sont cons, quels réseaux, quels relais sur quels sites, hahaha hihihi 'agadez ces sots. D’autres médias, certainement, ont du emboîter le pas. Je ne sais pas, j’étais en période d’ascèse médiatique.
- Le gouvernement lance une campagne de communication à destination des jeunes sur le thème du complotisme : sensibilisation, conseil pour une information et une pensée saine.
- Le gouvernement embauche une “star” des internet, issu du Bagel, pour tourner et diffuser un clip, toujours à destination des jeunes dans foulée de la campagne sus-évoquée.
- Le gouvernement lance une journée du complot, toujours à destination des jeunes : explication, discussion, jeux.
On peut légitimement s’interroger sur la raison profonde de ces campagnes. Après tout, il y a peut-être des choses plus urgentes à régler que de contrer les discours de personnes à qui on n’oppose d’ordinaire comme seuls arguments : “hihihi parano taré dingo, les reptilluminatis toussa, et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu !”, ou “complorevisionistantisemite !” (rappelons-le : "on ne discute pas avec Maurice).
On peut s’interroger sur le timing de l’entrée de cette thématique dans la liste des préoccupations majeures du gouvernement.
On peut s’interroger sur la concomitance de cette campagne et de l’accélération des lois et propositions de lois visant à contrôler l’expression publique.
On peut s’interroger sur la raison pour laquelle, finalement, un tel effort de propagande (1), s’il avait pour but d’informer, contribue au contraire à la confusion : beaucoup commentent mais peu savent de quoi on parle. Le gouvernement mettrait autant de pognon pour discréditer des personnes qui le font très bien elles-mêmes (chemtrails, ovni, reptiliens, illuminatis) ou qui soutiennent des thèses dont, en France, on se fout (Kennedy, Roswell, le 11/09, l’alunissage) ? Vraiment ? Sérieux ?
(1)Propagande, parce qu’il faut appeler un chat : “un chat”, et que le mot n’est pas de moi mais d’un député socialiste, rapporteur d’un projet sur l’éducation numérique préconisant, entre autres : de faire pression sur les GAFA pour que les sites de “propagande officielle” (sic) soient mis en avant dans les résultats de recherche, de délivrer un permis de surfer à l’exemple du certificat de sécurité routière délivré au marmots, de mettre en place des cours d’instruction sur le bien surfer (toute ressemblance avec la campagne actuelle serait purement fortuite).