La candidature corso-sarde à l’Hyperloop One Global Challenge fait partie des 35 projets retenus à travers le monde par la société américaine. Le projet ambitionne de relier les deux îles en moins de 30 minutes grâce à ce moyen de transport futuriste qui ouvre de nombreuses possibilités commerciales.

Début janvier, CES de Las Vegas. Il commence à se faire tard lorsque la confirmation publique tombe enfin, comme une lumière inattendue dans le désert des Mojaves. Après des heures de discussion, la candidature corso-sarde proposant de relier en Hyperloop le centre-ville de Bastia (Haute-Corse) à celui de Cagliari, capitale de la Sardaigne, est officiellement validée.

Elle fait partie des 35 projets retenus dans la short-list de la société américaine Hyperloop One pour accueillir « le tube du futur », dont elle aimerait voir les trois vainqueurs du challenge livrer chacun un systèmes opérationnel ?d’ici à 2021 (même si aucune deadline n’est figée).

Né d’une idée du très médiatique Elon Musk, le papa de Tesla ou encore de SpaceX, ce transport sous vide révolutionnaire, écologique et ultra-rapide fait des émules depuis près de quatre ans. Ce n’est pas un hasard si, il y a près de douze mois, la SNCF participait à une levée de fonds lancée par la startup Hyperloop One, l’une des entreprises travaillant sur son développement  (engagée dans une course infernale avec ses deux concurrents). Et c’est cette même société qui a décidé de lancer courant 2016 un challenge international visant à identifier les territoires d’intérêt susceptibles d’accueillir cette technologie.

Après l’étude de près de 2 600 candidatures, le seul projet français (et italien) a passé la coupe et s’est retrouvé parmi les demi-finalistes. Un premier succès inespéré pour les porteurs de l’étude baptisée « Sardinia.Corsica ».

Connecter deux îles voisines pour faire émerger un territoire nouveau

« Quand on a reçu le mail fin décembre, au petit matin, je vous avoue qu’on s’est frotté les yeux deux ou trois fois avant de sourire. Et on a un peu paniqué ! » reconnaît Ghjuvan’Carlu Simeoni, le manager du projet et directeur général de FemuQui Ventures, pendant « technique » de l’unique société corse de capital-risque investissement FemuQui. Ce sont ses équipes qui ont permis de repérer le challenge.

« On suivait un certain nombre de sujets technologiques, on a toujours eu une veille, explique-t-il. L’année dernière, ce concours se lançait et on s’y est intéressé par curiosité. En téléchargeant le cahier des charges, on s’est rendu compte que c’était très ouvert : c’était un appel à imaginer des solutions stratégiques. Ils expliquaient que ça pouvait correspondre aux grands bassins de population, où il y a beaucoup de flux, etc., mais qu’ils cherchaient aussi des endroits où connecter deux points et créer quelque chose de nouveau. On s’est reconnu là-dedans avec la connexion des deux îles, qui fait émerger un territoire avec une morphologie nouvelle et offre des possibilités. »

Barbara Susini, chargée d’études à l’Agence d’aménagement durable, d’urbanisme et d’énergie de la Corse, s’est greffée à l’aventure dès le départ. Elle a notamment discuté avec la Collectivité territoriale de Corse et la Région autonome de Sardaigne pour s’assurer de leur soutien. Une mission compliquée : « On s’est vite rendu compte que les contraintes, les délais, etc.,nécessitaient une certaine agilité pour répondre et que c’était difficile de convaincre en peu de temps les institutions de prendre des décisions politiquesAvec FemuQui, on a donc décidé de porter le dossier après que les deux exécutifs nous aient donné le feu vert. »

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« Les technologies de transport façonnent le mode de vie des hommes »

Si les deux représentants du projet ont été gagnés par la panique après que leur candidature a été retenue, c’est surtout parce qu’ils savaient à ce moment-là que tout restait à faire. Et qu’une partie visant à la création de valeurs demeurait encore insondable. C’est la raison qui a poussé Barbara Susini à lancer un concours d’idées transfrontalier au début du mois de mars : « Si demain on peut se déplacer entre les deux îles à des prix très raisonnables, tout change les modes de vie, les interconnexions, les poids des échanges, les rapports socio-économiques… »

En ouvrant le concours au plus grand nombre, le projet entend s’entourer d’une somme d’idées venant de tous horizons. Chacun(e) est libre de définir sa problématique et de l’adapter à une thématique qui lui est propre, que ce soit en matière d’urbanisme, d’architecture, de design, de vision artistique… Ghjuvan’Carlu Simeoni complète : « Toutes les technologies de transport façonnent le mode de vie des êtres humains, organisent leur espace. C’est vrai pour le train il y a 200 ans, pour la voiture il y a un siècle, pour l’avion il y a quelques décennies. Quand l’Hyperloop sera une technologie commercialement viable, elle le fera aussi et on pense qu’il y a un intérêt à s’appuyer sur les réflexions de jeunes et d’étudiants notamment. »

Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 20 mai pour toutes celles et ceux souhaitant prendre part à l’aventure. Une grille de prix — 5 000, 3 000 et 2 000 euros — prévoit de récompenser les trois meilleures propositions qui seront publiées sous licence Creative Commons.

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Cagliari de nuit — CC Filippo N.

462 kilomètres de parcours et 30 minutes de trajet

Si le tracé reliant la Corse et la Sardaigne est loin d’être définitif, les premiers contours ont été dessinés. Plusieurs noeuds intermodaux ont été imaginés en tenant compte des contraintes géographiques des îles. Ce sont pour l’instant sept stations qui ont été mises en avant dans les prémices de l’Hyperloop : une sur le port de Bastia en centre-ville, une à l’aéroport voisin de Poretta, une autre à Aléria, une supplémentaire à l’extrême-sud vers Porto-Vecchio et Bonifacio, et trois stations côté sarde à Sassari, Oristano et donc Calgari, qui présente l’avantage de disposer d’un aéroport, d’un port et d’un centre-ville dans un mouchoir de poche.

Voilà ce qu’il faut retenir en quelques chiffres de cette potentielle «  super-île méditerranéenne » :

    • 450 km de parcours sur terre, 12 en mer
    • Quatre ports et quatre aéroports connexes
    • Trois universités (45 000 étudiants) pour créer un « super-campus » et 13 hôpitaux concernés
    • 30 minutes de trajet

L’Hyperloop envisagé par les porteurs du projet combinerait transport de passagers et de marchandises. « On a une unité géographique qui représente deux millions d’habitants mais aussi 15 millions de présences chaque année, explique Ghjuvan’Carlu Simeoni. Si le sud de la Corse et le nord de la Sardaigne sont connectés, on peut imaginer l’émergence d’une destination touristique tout à fait singulière. »

Mais ce rapprochement pourrait aussi avoir un véritable impact sur les flux de circulation commerciaux : « Le port de Cagliari est un arrêt logistique essentiel pour les porte-containers qui naviguent sur la route entre Suez et Gibraltar. Ce serait une connexion majeure pour la Corse dans la mesure où nous n’avons pas de terminal containers en Corse et si vous voulez en faire sortir un de l’île, ça vous coûte trois fois plus cher de le rendre sur un port continental que de faire transborder votre container de Cagliari à n’importe quel port du monde. »

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« Que pourrait créer l’Hyperloop ? Tout ! »

Pierre Ridolfi fait partie des étudiants de l’Université de Corse participant au concours d’idées. Il a rejoint un groupe d’amies aux parcours multidisciplinaires pour plancher sur l’intégration de cette nouvelle technologie. « C’est encore de la science-fiction, il n’y a pas de projet existant sur lequel s’appuyer, détaille-t-il. Alors quand on te dit que tu vas faire Bastia?—?Cagliari en 30 minutes, en ayant le temps de t’arrêter dans sept stations et pour le prix d’un ticket de bus… Tu n’es même pas dans Retour vers le Futur, tu es dans Star Wars là ! »

S’il a accepté d’apporter sa pierre à l’édifice c’est parce qu’il est conscient du potentiel d’une telle nouveauté. « La question qui est posée est simple : que pourrait créer l’Hyperloop ?’ Et bien tout ! La Corse est une île asphyxiée par ses transports et tu ne peux rien faire ou presque extérieurement. Tu veux aller en Sardaigne? Il n’y a que deux bateaux qui y vont alors qu’il n’y a que 12 kilomètres entre les deux. Rome est à moins de deux heures mais tu n’as aucun bateau qui part. L’Espagne? Je n’en parle même pas. En terme de commerce, on peut prétendre à ne plus seulement échanger avec le continent et Livourne. Demain tu prends l’Hyperloop, en une demi-heure tu es à Cagliari, un port international. »

Sans parler des difficultés intérieures subies chaque jour sur les routes souvent encombrées de l’île : « Je fais plus de 40 000 kilomètres par an. Avant d’être quoi que ce soit, je suis routier. Si ma voiture n’a plus de Bluetooth, je meurs ! » La ligne ferroviaire de l’historique micheline, malgré sa modernisation récente, met encore près de 4 heures à relier Bastia à Ajaccio.

Si la logique des choses aurait voulu que l’axe Bastia-Ajaccio-Bonifacio soit préféré, l’infrastructure doit composer avec un problème géographique : l’Hyperloop nécessite de la plaine, qu’on retrouve davantage sur la côte est de l’île. Pas de quoi décourager le jeune homme de 24 ans pour autant. Car pour lui, quoi qu’il en soit, « ça peut être un moyen de recentrer la Corse et la Sardaigne au milieu de la Méditerranée et de les aider à peser davantage. »

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Le vieux port de Bastia — CC Daniel Cremona

Quelles chances de succès face aux candidatures américaines ?

Difficile de pronostiquer les chances de succès de la candidature mais il est possible de la comparer aux autres compétiteurs en lice. Les projets indiens (5 sur 35 dossiers) et américains (au nombre de 10) drainent des flux de population bien supérieurs. Leur organisation est sans commune mesure. « Je ne sais pas si on fait le poids, reconnaît Ghjuvan’Carlu Simeoni. Mais le fait d’avoir été short-listé, ça fait avancer l’idée d’autant plus vite que si on avait du la prendre de zéro en expliquant aux uns et aux autres que dans moins de dix ans ce sera une technologie complémentaire. Être retenu en tant que  ‘territoire d’intérêt’ permet de nous positionner très en amont et de faire en sorte que l’idée existe. »

Barbara Susini tient à rassurer sur les chances bien réelles de la candidature corso-sarde. Elle « ne sait pas si les autres projets bénéficient d’une aussi grande implication des institutions [20 sur les 35 seraient soutenus par des autorités publiques, NDLR]. Il y a un terreau favorable et stable. Certes, la question de la rentabilité se pose mais il faut aussi s’assurer de l’opérationnalité, de la faisabilité réelle de l’infrastructure, et ce contexte est plutôt favorable pour nous. La configuration géographique des deux îles peut permettre d’avoir un territoire test d’assez grande envergure. Ce n’est pas juste une candidature spontanée qui dit on n’a rien à perdre’ ».

Le plus gros avantage de la candidature corso-sarde reste sans doute son originalité : quelle meilleure vitrine pour Hyperloop, porte-étendard d’un moyen de transport futuriste, qu’une installation reliant deux îles ? Début de réponse courant juin, quand 10 ou 12 projets feront l’objet d’une étude approfondie de la société, avant la désignation officielle des vainqueurs à la fin de l’été.


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