Privés de vie ?
Et ce fameux acheteur, il aurait tout intérêt à se pencher sur d’autres problématiques liées à ces systèmes d’amélioration du quotidien. Car à l’ère du « tout à l’écoute » révélé par Edward Snowden, nombreux sont ceux qui lèvent un poing rageur d’un côté mais de l’autre n’hésitent pas à dilapider leurs données sur des serveurs d’entreprises dont on ne sait pas toujours grand chose. Avec les trackers d’activité, et donc de sommeil, les données filent bien souvent à l’extérieur, sans que l’on sache ce qu’elles deviennent.
L’effet Actimel
Assez comparables aux alicaments (mot valise né de la fusion d’aliment et médicament), les systèmes d’assistance au sommeil sont également sans danger selon Sylvie Royant-Parola qui évoque juste le risque « de se faire enquiquiner par un capteur pour s’apercevoir le lendemain que ça n’a pas marché ». C’est déjà ça !
Interrogé sur les craintes concernant la vie privée par nos confrères de 20 Minutes en 2014, le co-fondateur de Withings, Cédric Hutchings, tentait de balayer les inquiétudes. Selon lui, la situation est comparable à l’arrivée de la carte bancaire et de ses historiques permettant de retracer les achats d’un individu. Rôdé à l’art de l’argumentation, l’homme d’affaires prenait également l’exemple du téléphone mobile traçable mais protégés par des gardes-fous législatifs.
Reconnaissant que son entreprise absorbe les données de ses utilisateurs pour les partager avec de grandes universités américaines, Hutchings affirme pourtant que ces données restent anonymes et ne sont nominatives que dans le cas d’une circulation entre capteur et application du client. Il n’en reste pas moins que, pour le dirigeant, la collecte de données est importante. Et pour cela, le cadre cite l’exemple du Mediator afin de démontrer à quel point il est important pour l’ensemble du corps médical de croiser les données.
A terme, cela devrait permettre de sauver des vies, assène un Cédric Hutchings bien décidé à défendre son point de vue. Quant à la politique de Withings sur la question, elle est écrite en long en large et en travers sur le site officiel de l’entreprise. On y apprend que Withings sait à quelle heure un client a choisi de se réveiller, combien de pas il aura marché dans une journée et même un simple champ rempli dans une application Withings peut remonter jusqu’à cette dernière. Cependant, l’entreprise assure ne jamais travailler atvec les données d’un client lorsque ce dernier est identifié, à moins d’avoir obtenu son accord préalable.
À votre écoute,
coûte que coûte
Pour Sleep Cycle, la situation est un peu identique avec une entreprise qui reconnaît bien la collecte des données tout en jurant qu’aucun partage n’est effectué avec une tierce partie. De même que son concurrent français, l’entreprise en charge de l’application affirme que les données collectées restent bel et bien anonymes. La situation est à peu près similaire du côté de Sense, module d’assistance au sommeil, financé via Kickstarter pour près de 2,5 millions de dollars. Ici aussi, l’entreprise reconnaît l’absorption de données mais assure également leur anonymisation.
L’information a son importance : le module Sense étant équipé d’un micro, le risque que tout ce qui se dit dans une chambre à coucher finisse dans des oreilles indiscrètes est réel. Dans tous les cas, il faudra tout de même faire confiance à des entreprises pas forcément aussi respectueuses qu’elles le prétendent. Reste que du côté du monde de la recherche, accéder à de telles données, dans le cas d’appareils plus précis que ceux actuellement présents sur le marché, pourrait aider à mieux comprendre certains phénomènes de santé.
De meilleures solutions ?
Si les applications les plus populaires se révèlent être aux limites de l’escroquerie, d’autres applications validées par des spécialistes existent. On pourra par exemple citer iSommeil, conçue par des spécialistes du centre de sommeil de l’hôpital Hôtel-Dieu de Paris ou Mon Coach Sommeil, fruit du travail des spécialistes oeuvrant pour le Réseau Morphée.
Pour la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL), la problématique posée par les objets connectés a déjà fait l’objet d’une enquête en profondeur. Résultat : les experts ont établi quelques règles claires et qui peuvent paraître évidentes mais ne le sont pas forcément pour tout le monde. La CNIL recommande ainsi de préférer l’utilisation d’un pseudonyme sur les plateformes où les données peuvent être publiées, tout en évitant de partager les dites données vers d’autres services, notamment sur les réseaux sociaux. Ceux qui désireraient quand même en partager devraient se limiter à un cercle de confiance alors qu’un utilisateur abandonnant un service doit pouvoir effacer et/ou récupérer ses données personnelles. Des conseils importants voire essentiels, établis après une série de travaux ayant permis de définir que « si la plupart des pratiques actuelles peuvent sembler ludiques au premier abord, la frontière avec des applications relevant du monde médical peut s’avérer particulièrement ténue ». Très intéressée par la question la CNIL ajoute que derrière ce qui peut ressembler à de jolis jouets, « Ce sont bien des données du corps qui sont concernées ».
On pourrait alors être tenté d’en conclure que si la majorité de ces applications et appareils sont si médiocres dans leur analyse, il n’y a pas de raison de s’en inquiéter. Et c’est sans doute vrai dans un premier temps, mais avec l’évolution inévitable de ces systèmes et le très probable rapprochement entre experts et entreprises désireuses de vendre de la santé et du bien être, la question va forcément se poser. Pour l’instant, tout cela semble encore assez inoffensif que ce soit du point de vue du sommeil ou des données récoltées. Mais nul doute qu’avec un marché estimé à plus de 127 millions de dollars dès 2017 et de plus en plus de sociétés intéressées, les choses vont changer.
Récemment, le géant des jeux vidéo Nintendo annonçait son intention de débarquer prochainement sur le juteux marché de l’amélioration du sommeil dans le cadre de son programme « Quality of Life ». Il y a quelques années, la même entreprise se vantait de pouvoir mesurer l’âge de notre cerveau dans son fameux « Programme d’entraînement cérébral du Dr. Kawashima ». À l’époque, un chercheur français en avait déterminé que le jeu de l’entreprise japonaise rejoignait « la longue liste des marchands de rêve ». Voilà qui rappelle quelque chose.
Reportage : Michel Beck
Design : Romain Gérardin
Intégration : Clément Décou & Ivan Daum