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Enquête : le web a-t-il brisé le tabou des menstruations ?

C'est un tabou social, culturel, mondial et intemporel. Les menstruations, parées d'une aura de mystère dans la société, seraient-elles en train de briser leurs chaînes ? Sur YouTube et la blogosphère, les règles deviennent peu à peu un sujet (presque) comme un autre.

« Les serviettes périodiques tâchent les sous-vêtements, elles fuient tout le temps et salissent mes sous-vêtements, c'est dommage qu'elles n'aient pas d'ailettes, mais même quand elles en ont, j'ai l'impression que mes sous-vêtements sont sales, alors qu'avec les tampons, je ne les salis jamais. »

1 251 282. À l'heure où nous écrivons ces lignes, voici le nombre d'abonnés que compte la chaîne YouTube de Marissa Rachel et Shanna Lisa, sur laquelle les deux sœurs originaires des États-Unis consacrent une playlist entière aux menstruations. 59 vidéos, très exactement, dans lesquelles les deux YouTubeuses abordent face caméra, avec enthousiasme et dans un décor digne d'une chaîne lifestyle ou beauté, les règles. En long, en large, et en travers.

https://www.youtube.com/watch?v=UBEKLlLj73w

Routines de règles, récits d'histoires embarrassantes, conseils pour mettre un tampon ou une coupe menstruelle, comparatifs entre les différents types de protections hygiéniques, les sous-vêtements à porter en période de règles... Les deux jeunes femmes déclinent le thème des menstruations à toutes les sauces.

À les voir raconter leurs anecdotes, prodiguer leurs conseils et expliquer concrètement comment mettre une protection hygiénique -- Marissa Rachel réalise par exemple une démonstration à l'aide de son ours en peluche -- on pourrait croire qu'il est aussi naturel de parler menstrues sur YouTube, et a fortiori sur Internet, que d'avoir ses règles.

Les menstrues, ce tabou social

Pourtant, dire que les règles sont un tabou social est un euphémisme, et le web n'échappe pas à ce constat. Ainsi, en 2015, Instagram supprime la photo d'une femme étendue sur son lit : le sang de ses menstruations tâche son pyjama au niveau de son entrejambe. Son auteure rétorquera face à la pudibonderie du réseau social. « Si la photo de mes règles vous a mis mal à l'aise, demandez-vous pourquoi », lance-t-elle dans une tribune.

Sans prétendre à l'exhaustivité, nous avons donc souhaité interroger, en cette année 2017, la place occupée par le thème des menstruations sur le web. Internet a-t-il donné aux règles la place qu'elles méritent, à savoir un phénomène physiologique dont on devrait pouvoir parler sans avoir à rougir ? Qui sont les figures de la toile qui contribuent à casser les codes en prononçant sans chuchoter les mots comme « tampons » ou « sang » ?

Outre-Atlantique, Marissa Rachel et Shanna Lisa n'ont pas attendu 2017 pour parler menstruations sur YouTube. « Nous faisons partie de la première génération de filles qui a grandi en regardant YouTube. Nous avons commencé à faire des vidéos en 2012 pour nous amuser, et, un jour, nous avons réalisé que nous faisions un meilleur travail que beaucoup de chaînes que nous suivions. À ce moment, tout le monde était concentré sur les vidéos de mode et beauté. C'était un marché réduit, alors nous avons élargi nos horizons pour inclure le lifestyle, les blagues et la santé des femmes », nous racontent les deux YouTubeuses.

Marissa Rachel et Shanna Lisa deviennent rapidement les « grandes sœurs » de leur communauté d'abonnés, qui en redemandent à chaque nouvelle vidéo : « J'en apprends plus dans vos vidéos qu'à l'école », « Vos conseils sont si utiles. Je ne peux pas parler à ma mère de ce genre de choses », « Quand j'ai mes règles, je fais du binge watching devant tes vidéos sur les règlesS'il te plaît, fais en plus ! ». De tels commentaires achèvent de les persuader qu'un manque est alors à combler en la matière sur la plateforme de vidéos.

« Les nouveaux influenceurs sociaux, en particulier dans une ville comme Los Angeles, ressemblent un peu à la société du far west : les normes sociales se transforment, et sont tout le temps brisées. Nous sommes en avance, par rapport aux médias traditionnels et aux stratégies marketing des entreprises en ce qui concerne les menstruations. Il y a quelques années, quelqu'un nous avait dit que nous étions "trop dangereuses pour Disney", simplement parce que nous donnions des conseils de santé aux filles ! Les choses évoluent très rapidement, le tabou sera tombé d'ici dix ans. »

Aux States, un temps d'avance sur la France

Marissa Rachel et Shanna Lisa ne sont pas les seules à aborder sans détour le sujet des menstruations sur le YouTube américain. La chaîne de Hannah Witton évoque ainsi régulièrement la sexualité, le fonctionnement des organes génitaux féminins, les menstruations et le flot de tabous qui leur sont associés. Une autre chaîne baptisée Femme Head, et tenue par une YouTubeuse prénommée Victoria, évoque également les menstruations, alternant entre les vidéos explicatives et les témoignages sur ses propres expériences.

https://www.youtube.com/watch?v=pDi8O71HYa4

Et en France ? Sur YouTube, nous n'avons pas trouvé de chaîne qui traite exclusivement du sujet. Il faut plutôt chercher du côté de la blogosphère pour découvrir une intégralement dédié au sang qui coule chaque mois du vagin de la moitié de l'humanité -- et qui ne concerne d'ailleurs pas seulement les personnes qui s'identifient au genre féminin. Cet endroit, c'est le blog de Passion Menstrues, tenu par l'auteure Jack Parker. Un blog qui parle de sang, de vulve, de vagin, d'utérus « et autres histoires de chatte ».

L'histoire de ce blog, orné de dessins de sexes féminins dont s'échappe un filet rouge sang, commence en 2015. « Cela fait partie de mon cheminement féministe, nous confie Jack Parker. Avant, je ne me posais même pas la question, c'était un truc qui arrivait tous les mois et qui me faisait chier. Un jour, je me suis demandé : "mais quelle protection portent Beyoncé et Adele quand elles ont leurs règles ?" Et là, j'ai réalisé que, même celles que mes potes portaient, je ne le savais pas. Ça m'a donné envie de ramener ce sujet à un niveau plus accessible, et par le biais des témoignages que j'ai reçu, j'ai vu qu'il y avait plein de choses à dire sur le sujet. »

« Laissons la place aux chattes ! »

La naissance de ce blog n'est pas étrangère au cheminement féministe de Jack Parker, passée par la rédaction de Madmoizelle. « Quand on parle de vulve ou de sang menstruel, j'en ai marre de voir les antennes des gens qui se rétractent... on dessine des bites partout, laissons la place aux chattes ! », sourit-elle.

À raison d'une ou deux publications mensuelles, Jack Parker reste modeste sur l'impact que peut avoir son blog. « Certains billets peuvent atteindre 2 000 visites, en général il y a entre 100 et 1 000 vues par sujet. L'objectif, c'est de donnes des clés aux personnes qui se posent des questions. Par exemple, le papier que j'ai écrit sur le syndrome des ovaires polykystiques a cartonné, ce qui montre bien que c'est un vrai sujet. »

Contre toute attente l'auteure a trouvé sur Internet un lieu bienveillant. « Sur les réseaux sociaux, je m'attendais au troll, or je n'ai rien eu de violent. Au contraire, le blog a généré beaucoup d'engagement et est devenu un espace hyper cool, qui libére la parole pour revoir, d'une certaine manière, la vision étriquée des règles. Le web est hyper vivant, et permet de voir sa propre évolution. Ce que j'ai écrit il y a quelques années, je ne l'écrirais sans doute plus comme ça, mais je ne veux pas le renier, c'est mon évolution. Au contraire, ça montre que l'on peut revenir sur ses idées. Et c'est plutôt cool de se dire ça quand on occupe une position de figure féministe sur Internet », s'enthousiasme Jack Parker.

« Ce que j'aimerais, c'est que dans le futur, quand on regardera en arrière, les gens nous disent : "mais en fait pourquoi vous en avez fait tout un plat ?" Après, je ne peux plus me plaindre du fait qu'on n'aborde pas du tout le sujet. Les règles commencent à sortir du thème "pour les femmes", et commencent à toucher de grandes cibles à la radio ou la télévision », poursuit l'auteure.

La parole décomplexée, inclusive et informative du blog Passion Menstrues a aujourd'hui donné naissance au premier livre de Jack Parker. Intitulé Le grand mystère des règles, l'ouvrage explore les menstruations sous toutes les coutures : l'explication physiologique, l'expérience concrète d'avoir ses règles, et toutes les choses que l'auteure -- et sûrement bien des personnes réglées -- auraient aimé savoir avant la venue de leurs premières règles. D'ailleurs, condenser cette bible des menstrues ne serait pas lui rendre justice, quand il faut à l'ouvrage 249 pages pour explorer le sujet en détails.

Comme sur son blog, Jack Parker y a mis un point d'honneur à tenter de genrer le moins possible son discours, pour ne pas heurter les personnes qui ne sont pas des femmes et ont leur règles, ainsi que les femmes qui ne les ont pas. « Si je peux contribuer à parler de cette partie de la population oubliée, tant mieux. Cependant, je n'ai pas vocation à parler à leur place, étant une femme cis et hétéro. J'essaye de faire attention au vocabulaire », souligne l'auteure.

Les vidéastes françaises commencent à s'emparer du sujet. Avec ses 13 millions de vues, la vidéo sortie par Natoo en 2014 a abordé le thème des menstruations sans chichis, avec l'objectif d'en faire un sujet humoristique comme un autre. Au passage, la YouTubeuse tord le coup à quelques clichés véhiculés par la publicité -- le sang bleu versé sur les protections hygiéniques, ou la tendance de ces spots à toujours tomber dans une vision « girly » de la femme réglée.

Toilettes, galères et taxe tampon

La taxe tampon a, quant à elle, inspiré la vidéo d'une autre vidéaste du YouTube game français. Sur sa chaîne, Fannyfique, qui se définit comme « un peu folle, mais sympa », distille sa bonne humeur à travers des sketchs inspirés de ses expériences personnelles. C'est donc en toute logique qu'elle publie, alors que le débat sur la taxe tampon bat son plein fin 2015, une vidéo où elle prend la résolution de tout simplement arrêter d'avoir ses menstruations.

https://www.youtube.com/watch?v=t_ZLIHbcClc

« Je trouvais qu'on manquait d'explications, avec des mots simples, sur le thème de la taxe tampon, nous raconte la YouTubeuse Fanny Malek. Surtout, j'avais envie de dédramatiser, de rigoler et démystifier le sujet, quite à faire du trash. Et aujourd'hui encore plus : on est en 2017, il faut que l'on puisse parler de tout, et appeler un chat un chat. Comme je suis intéressée par tout ce qui touche la vie de meuf, j'ai sauté sur l'occasion. Je sais que certains plans que j'ai fait, notamment celui sur les toilettes, peut mettre mal à l'aise, mais je l'ai fait pour rigoler. »

La « YouTubeuse de la bonne humeur » n'a pas fait de nouvelle vidéo sur le sujet depuis, mais n'exclut pas pour autant de renouveler l'expérience. « S'il y a une autre actualité sur le sujet, je ne serai pas gênée d'en parler. D'ailleurs, j'ai bien envie de faire une vidéo parodique de produits terminés, et d'inclure une protection hygiénique à l'intérieur », nous confie Fanny Malek.

Au total, la vidéo de Fannyfique sur la taxe tampon a été visionnée plus de 43 000 fois. Son autodérision semble avoir fait mouche chez ses abonnés, qui se sont à leur tour succédés dans les commentaires pour raconter à la YouTubeuse leurs propres galères de règles. « Les galères et les looses, c'est le fond de commerce de ma chaîne depuis que je l'ai ouverte il y a six ans. Moi, par exemple, j'ai été virée de mon école de théâtre, je me sentais un peu paumée et je me suis dit : "je vais raconter mes galères sur YouTube". J'ai envie que les filles se sentent bien dans leurs baskets, et à mon sens les règles ne sont pas un tabou. »

« La cup collecte ton sang, et tu vis ta vie »

Les menstruations, Sophie Riche a commencé son expérience de vidéaste avec. Sa toute première vidéo, publiée sur le compte de Madmoizelle -- un média qui semble décidément très à l'aise quand il s'agit de parler menstrues en ligne --, évoque la coupe menstruelle, une protection hygiénique réutilisable en plastique, en forme de petite coupe comme son nom l'indique.

Sans détours, la jeune femme explique comment utiliser l'objet : « Tu la plies, et tu la glisses dans ton vagin. Ça fait un effet ventouse, et ça collecte ton sang. Ensuite, tu vis ta vie », explique-t-elle face caméra. Publiée en 2013, la vidéo cumule aujourd'hui plus de 2 millions de vues.

https://www.youtube.com/watch?v=YmJPm6zjouw

« J'ai vraiment commencé mon expérience sur YouTube avec le sujet des règles, dont j'ai toujours eu envie de parler. En fait, j'ai toujours été si à l'aise avec le sujet à titre personnel que je ne me suis même pas posé la question de savoir si c'était un tabou sur YouTube. Je sais que j'ai un humour brut de décoffrage, mais pour moi c'était vraiment une vidéo à la cool sur le sujet, je ne me suis pas du tout sentie seule en la tournant. Nous l'avons réalisée en duo avec Marion Seclin », nous explique Sophie Riche.

Depuis, l'ancienne rédactrice web a lancé sa propre chaîne, où elle distille tantôt ses bons conseils, tantôt ses blagues ou sa bonne humeur. Elle songe à aborder de nouveau le thème des menstruations en vidéo, sous l'égide de sa propre bannière YouTube cette fois : « Sous ma première vidéo, c'est vrai que j'avais eu quelques commentaires masculins qui disaient :"Je me suis perdu sur YouTube" . On est loin de l'aisance absolue sur le sujet, mais on voit de plus en plus de vidéos et de trucs décomplexants, qui montrent que ça va, en fait c'est cool ! Comme la vidéo dans laquelle m'a invitée à jouer la chaîne Parlons peu, Parlons cul, elles m'avaient sollicitée parce qu'elles savent que je suis à l'aise sur le sujet. »

https://www.youtube.com/watch?v=UmlGvg3rD4g

Alors, y a-t-il un « menstruweb » ?

À l'image de la société, le web semble doucement s'habituer à l'idée que, oui, des personnes ont leurs règles tous les mois, pendant toute leur vie, et qu'il est normal d'en parler ou d'en faire un sujet de plaisanterie. Chaînes YouTube et blogs contribuent à casser le stéréotypes, mais force est de constater que le sujet reste limité à une sphère réduite. Pourtant, il nous concerne tous, personnes réglées ou non.

Le « menstruweb » est né, et il ne demande qu'à grandir.