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13 Reasons Why sur Netflix ou comment (bien) parler du suicide adolescent

Avec 13 Reasons Why, Netflix signe une de ses premières séries orientée adolescent. Entre Elephant de Gus Van Sant ou le cinéma d'Araki et le plus traditionnel drame scolaire à la Pretty Little Liars, 13 Reasons tente une synthèse intelligente mais périlleuse. Netflix a-t-il réussi son pari ? 

Mais qui a tué Hannah Baker ? À la manière d'une sempiternelle question à la Twin Peaks, 13 Reasons Why interroge sur la culpabilité, la morale et l'âge adolescent. Fresque sociologique et psychologique d'un lycée américain, le dernier show de Netflix dissèque et analyse les rouages du meurtre social -- le suicide. En effet, la jeune Hannah a laissé derrière elle treize cassettes, sur chacune d'elle, le portrait subjectif d'une personne ayant joué un rôle dans sa décision de mettre fin à ses jours.

https://www.youtube.com/watch?v=6ILJ7IqoSIU

Une synthèse difficile de deux genres bien à part

13 Reasons Why joue sur plusieurs tableaux en même temps : série petit budget pour ado, adaptation littéraire d'un épais livre sur le harcèlement et hommage assumé aux teen movies indépendants qui ont marqué les dernières décennies, le show Netflix prend des risques en tentant une synthèse d'éléments antagoniques.

Que trouve-t-on de commun dans une série comme Riverdale et un film de Gregg Araki (Mysterious Skin, Kaboom) ? D'un point de vue de l'écriture et du style, pas grand chose, mais si l'on se penche sur la faible psychologie qui anime un show à la Riverdale, on peut y trouver, égrainés comme autant d'indices, les marqueurs du teen movie : un huis-clos entre jeunes gens perdus dans un monde où les adultes ont abandonné leurs rôles.

Et c'est ainsi que débute 13 Reasons Why, en s'appuyant sur le seul élément commun entre l'objectif commercial poursuivi -- un drama teen à petit budget et gros rebondissements -- et les ambitions plus stylistiques du show qui tente sans cesse un accomplissement cinématographique, sociologique et psychologique sur l'adolescence.

Une paradoxale introduction qui se matérialise dès le pilote par un ton qui ne laisse que peu de mystère sur la teneur générale du show : en voix off,  Hannah, jeune et décédée, introduit le drame à la manière d'une Mary Alice dans Desperate Housewives.

Venant d'outre-tombe, sa voix ne tremble pas pour dire, impérieuse, si vous écoutez cela, c'est trop tard, avec une arrogance qui rappelle Angela, 15 ans. Sur les chapeaux de roue, la mort est la première invitée d'un show qui ne cache pas son affection pour la grandiloquence dans le drame. Une grandiloquence un peu aguicheuse, qui colle bien aux accents teen show et rappelle par exemple Pretty Little Liars. Mais plutôt que de se terminer sur le visage décomposé (et surmaquillé) de jeunes actrices aux physiques avantageux, 13 Reasons Why évite l'écueil de sa propre banalisation par une pirouette esthétique : le pilote enchaîne les plans esthètes sur fond de Joy Division.

Et en ressuscitant Unknown Pleasures, le show montre les muscles de sa direction artistique : la vraisemblance compte. Oui, même lorsqu'on parle de bande-originale.

Ici, on écoute l'album de punk rock le plus lié aux désespoirs de la génération Y. Plus Ian Curtis que Justin Bieber, 13 Reasons Why esquive donc les écueils du pur teen show américain sans toutefois en abandonner le format. C'est toute la spécificité du défi que s'est lancé Netflix avec le showrunner Brian Yorkey.

C'est ensuite grâce à des plans très rapprochés et une écriture qui s'appesantie sur la culpabilité permanente que 13 Reasons Why gagne ses lettres de noblesse et conjure la malédiction de la banale série pour adolescents.

La direction des acteurs met également en avant des jeunes talents convaincants qui proposent, chacun, une interprétation foisonnante et précise du drame. Les visages sont toujours crispés, durs et cryptiques, les secrets de l'intrigue sont retenus derrière ces traits lourds, plutôt justes dans leur ensemble. Les regards sont glaciaux et les fêtes où l'alcool coule à flots sont saisies comme des cauchemars, nous donnant des sueurs froides à cause d'une caméra agoraphobe et paniquée.

Cette réalisation mêlant plans très rapprochés, peu d'échappées, et un effet loupe sur le drame provoque un certain malaise chez le téléspectateur qui se retrouve, à son tour, mis à mal par le suicide de la jeune fille.

Un drame au microscope

Devenant voyeur et juge à la fois, nous ne pouvons éviter du regard les lourdes questions posées par les épisodes qui défilent, dans lesquels nous sommes souvent pris à parti -- jusqu'à devenir des suspects.

Cet effet dérangeant est soutenu par l'écriture de la série qui, librement inspirée du livre éponyme, se dévoile dans toute sa sophistication à travers des dialogues pesants et quasi incessants, mêlés à la voix off d'Hannah. Mais comme trop écrit, trop méticuleux, le script manque de naturel et de cinématographie : l'équilibre entre ce qui est dit et ce qui est fait n'existe pas.

Comme dans un livre audio, il faudra toujours qu'un des personnages aille décrire ce que nous avons vu à l'écran. La technique est peu subtile, plombe encore une ambiance déjà morbide et accentue jusqu'à l'excès la gravité du sujet. Ainsi, les scènes de viol seront à la fois exposées par des flash back à la technique parfois bancale -- poser un filtre sépia n'est pas une bonne ellipse temporelle quand l'effet est répété une bonne vingtaine de fois -- mais également ré-exploitées par la parole, à la manière d'un drame racinien.

On observe là le principal défaut de l'adaptation de Yorkey, certainement trop proche du texte.

Par souci de fidélité mais aussi peut-être pas respect pour le travail pédagogique qu'offre 13 Raisons, la série semble parfois devenir une déclamation plutôt qu'une reproduction cinématographique de la fiction. Ce défaut apparaît justement lorsqu'un des chefs de file du teen movie, Gregg Araki, dirige quelques épisodes centraux qui s'avèrent être les meilleurs.

Ils sont justement dotés d'un équilibre entre parole et action et sont moins obsédés par l'idée d'offrir un microscope social sur le sujet. Araki conserve la tonalité froide du show mais montre qu'il aurait été possible de lui donner plus d'élan, plus de vrais moments de cinéma et moins de bavardages.

Comme un signe que la série a véritablement du mal à définir son rôle et son format, à la fin des 13 épisodes, Netflix propose une demi-heure de débat avec des psychologues sur la dépression et le suicide chez l'adolescent. Entre le document pédagogique, la fable morale et le teen show, 13 Reasons Why semble définitivement singulier, hors du cadre. Les défauts de la série embarrassent et dérangent mais font aussi sa fibre et son audace. Difficile, de fait, de trancher.

Par manque de volonté d'adaptation et d'inventivité dans la réalisation 13 Reasons Why se dépouille de toutes fioritures pour ne garder que ce qui semble  essentiel ici : la problématique psychologique. Quitte à refroidir les mordus de série, le show s'impose de lui-même comme un document à part : une œuvre que l'on déteste regarder, oppressante, voyeuriste et brute, mais dans laquelle, étrangement, une force narrative radicale finit par jaillir, non pas pour plaire mais pour frapper, jusqu'au sang. Un exploit en soi.

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