La série devait prendre le relai du succès monstrueux de Game of Thrones. Avec sa beauté, sa complexité et son ampleur, Westworld semble être l’aboutissement d’une télévision à-la-HBO. Notre critique, sans spoiler.

Voilà, c’est fini. Ces joies violentes ont des fins violentes. L’épisode 10 de la première saison de Westworld a permis au show de tirer sa révérence après des mois de suspense. Un suspense double : chacun regardait la série en se demandant si elle serait bel et bien le nouveau Game of Thrones, avant d’être happé par le puzzle fictionnel qu’offre le monde des humanoïdes. En concluant sa série ce dimanche, HBO referme le livre de son projet avec une seule certitude : Westworld n’a pas laissé indifférent.

Le cirque de la pourriture humaine

Le monde a succombé aux tourments d’un parc à thèmes constitué de robots humanoïdes dont le destin absurde est de supporter malgré une conscience visiblement balbutiante, les violences et les abus motivés par des consciences bien humaines. Le parc à thème est une entreprise formidable, qui reçoit de nombreux visiteurs prêts à payer une fortune pour mesurer la puissance de leur liberté. Ils deviennent alors les animaux qui sommeillent en eux, dès lors que la loi s’efface dans un schéma que ne renierait pas Hobbes.

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Lévinas lui-même perdrait tout espoir devant l’abject nature humaine que montre Westworld une fois que les hommes sont libres de s’en prendre à quiconque sans conséquence. Mais, ce cirque de la pourriture humaine ne peut pas durer et les humanoïdes commencent à gagner une conscience à cause d’un nouveau programme que les créateurs du parc ont développé, les rêveries (en français dans le show). Ce petit programme permet aux hôtes — les robots — de soudainement voir les souvenirs de la maltraitance qu’ils subissent réapparaître dans leur esprit… La mémoire devient alors le sang de leur conscience.

L’étrange enquête de l’affaire Westworld

Nous n’avions plus vu autant de podcast, de billets et de théories diffusées sur le web pour tenter de percer le mystère d’une série depuis bien longtemps. C’était presque ridicule de voir les internautes surenchérir dans la folie de leurs théories pour démonter les obscures intrigues du show, et pourtant, celui qui a regardé chaque semaine les épisodes de ce monstre télévisuel s’est forcément prêté au jeu.

À la rédaction, c’était devenu un rituel, le mardi, il fallait brainstormer sur l’affaire Westworld — la série étant diffusée le dimanche sur HBO, elle était disponible le lundi sur OCS. Nos théories farfelues n’ont malgré nos efforts pas été en mesure de prévoir l’ensemble des impossibles twists qui ont marqués cette première saison. Et c’est là le signe d’une écriture implacable.

Car si Westworld a su devancer les enquêteurs qui tentaient de percer son mystère, ce n’est pas en sapant leurs théories par des dénouements trop simples pour être prévus. Ce genre de twist scénaristique est banni de Westworld. Ici, pas de : en fait c’était tout con. Non, la série de Jonathan Nolan joue plutôt à la surenchère, elle s’applique à dépasser les espérances, et finalement à laisser plus de questions que de réponses. Et c’est en cela que les spectateurs-enquêteurs n’ont pas été déçus par les dénouements offerts. Pas de grandes réponses qui d’un coup de plume défont le nœud serré de l’intrigue.

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Il faut dire que l’originalité et l’impénétrabilité de la série sont assurées par une invention prête à échapper à toutes lois de la raison : les hôtes ne sont pas des êtres humains et leurs motivations sont par essence imperceptibles. Avions-nous déjà été exposés à de telles fictions dans laquelle la raison et la connaissance de l’esprit humain sont fondamentalement superflues ? Alors que le show suit une majorité de personnages robotiques dont la programmation est la seule conscience (à débattre), ils sont de fait illisibles, incompréhensibles et enfin prêts à tout. Bien qu’incarnés par des acteurs en chair et en os, nos notions psychologiques de comptoir ne peuvent rien contre la poker face implacable d’une Dolores.

le travail de sapement intellectuel et moral de Westworld est trop brutal

En cela, Westworld brutalise la fiction et ses règles intrinsèques et trouble le rôle du spectateur-juge qui ne peut plus être le magistrat régnant sur le procès des vies fictives, il doit d’abord être l’enquêteur qui conduit la recherche et la collecte de preuves pour tenter de déceler l’intention profonde du show. On nous promettait ainsi une aventure métaphysique pour Westworld, qui nous conduirait à nous approcher de la philosophie de l’existence.

Or, il n’en fut rien. La série ne peut être moralisatrice car elle n’a finalement ni vainqueur, ni perdant, ce n’est pas là Game of Thrones qui applique à ses méchants personnages des revers de karma et à ses gentils de trop insolents supplices. D’où les puissants vertiges et le réel malaise qui traversent chacun d’entre nous devant son téléviseur, le travail de sapement intellectuel et moral de Westworld est trop brutal pour nos esprits habitués à la fiction télévisée.

Une finalité sans fin

C’est peut être ici que nous devons lire la série comme une métaphore plus grande du rôle même de la série télévisée dans nos vies. Une vingtaine d’années après Twin Peaks et une dizaine après Six feet under, nous vivons, mangeons et pensons série. Le format mal-aimé et réduit au divertissement d’autrefois est devenu artistique, d’auteur, et même cinématographique et nombreux sont les sériephiles qui ne connaissent plus le chemin de leurs salles obscures.

Westworld est peut-être là pour aboutir cette transition de la tekhnè fictionnelle vers un nouveau monde, en écrivant une chose que seule les grandes œuvres — les œuvres totales qui se suffisent à elles-mêmes — parviennent à faire : être une finalité sans fin qui n’a d’autre propos que celui d’être et de puiser dans sa tekhnè son seul sujet.

Ne trouvez-vous pas qu’un monde robotique où chaque personnage n’a d’autre ambition que celle de suivre une programmation sourde, qui se dissimule sous ses propres parures, n’est en fin de compte pas le propre de la fiction ? Et ces visiteurs qui viennent mesurer leur humanité à la liberté, ne serait-ce pas le spectateur de ce siècle qui scrute les bulles de fiction dans son salon à la conquête de sa propre liberté ? En cela, Westworld devient donc une œuvre totale.

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Et si le scénario est la pièce maîtresse de la série, il ne faudrait pas non plus en négliger sa réalisation qui malgré un perfectionnisme évident, ne parvient pas à embrasser les ambitions démesurées de la série. Malgré des réussites qui ne surprennent pas tant que ça — J.J. Abrams sait produire de la superbe photographie (aucun scoop en vue) et Anthony Hopkins est un acteur brillant (idem) — Westworld patauge quand il s’agit de déraper, de gagner en liberté et en fougue. Le résultat est immuable : nombreux sont ceux qui se sont ennuyés devant la série. Affublé d’un rythme et d’une construction très classique chez HBO (du Game Of Thrones pur jus dans son développement), le show ronronne trop souvent comme un moteur bien huilé en 10 épisodes.

Westworld patauge quand il s’agit de déraper, de gagner en liberté et en fougue

Ses plans de coupe spectaculaires et sa bande son exagérément grandiloquente n’aident pas à soutenir l’humilité nécessaire à une prise de risque artistique. Pour la musique, HBO convoque Ramin Djawadi (Game of Thrones encore) et les cordes pleuvent sur un show qui respire déjà souvent l’artificiel et le perfectionnisme trop appliqué.

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Un défaut en fin de compte logique lorsqu’une chaîne comme HBO se lance dans un projet aussi titanesque, avec plus de trois ans de préparations et des dizaines de millions de dollars de budget : le droit à l’erreur est impossible mais cela en devient plombant. Comme pouvait l’être la perfection rutilante de The LeftoversWestworld est trop propret. Mais malgré un agaçant et persistant défaut de chaleur, la puissance de l’écriture et de son mystère emporte malgré nous notre scepticisme.

La démesure du projet Westworld est trop vertigineuse pour qu’elle soutienne ce genre de regrets qui face à la prouesse de cette première saison s’effacent et s’annulent. Ce qu’il restera de Westworld est la cathédrale finalement bâtie, et non les pérégrinations de sa construction douloureuse.

À ce titre, Westworld est un monument d’art de notre siècle.

Le verdict

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10/10

Westworld

Spectaculaire, intelligent et brutal, le show ne déçoit pas dans son écriture, malgré son penchant pour une certaine facilité dans le perfectionnisme assumé. Cela tient en un concept brillant, un scénario ultra ambitieux et une direction scrupuleuse : une recette qui porte indéniablement ses fruits. 

Les phénomènes comme Westworld ne se produisent qu'une seule fois à la télévision. Sa réussite vient certainement de sa singularité et de sa capacité à tenir ses promesses et même à aller au-delà, et pour cela, il faut voir Westworld

La série va-t-elle devenir un monument commercial à la Game of Thrones, puisque la question se pose inlassablement ? Peut-être pas, sa deuxième saison sera probablement décevante et sa première tentative restera dans les mémoires comme une réussite indépassable -- quand la saison 1 de GoT était une introduction.

Et si ce n'était pas exactement ce que nous attendions d'une excellente série ? Ces joies violentes ont des fins violentes après tout...


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