Depuis l’Europe, on a l’impression que le cinéma coréen produit perle sur perle. On parle d’art et de coups de poing politique. Mais l’important pour les réalisateurs est avant tout de faire assez d’argent pour pouvoir réaliser un second film. Depuis Séoul, Ophélie Surcouf vous raconte son expérience de la production coréenne grand public.

La partie 1 de ce reportage est à lire à cette adresse.

« Oppa, tu n’es pas du tout comme le personnage que tu incarnes dans le film, comment as-tu fais pour devenir quelqu’un d’aussi différent ? »

La demoiselle qui a posé la question laisse échapper un rire timide avant de rendre le micro au présentateur. En vingt minutes, c’est la troisième fois que la question est posée à Kim Jae Young. L’acteur coréen se tient debout sous l’écran où vient d’être projeté la première mondiale du film Derailed du coreen Lee Seong Tae.

Sur les chaises, des dizaines de fans se sont rassemblés au plus près de la scène. Elles agitent des éventails sur lesquels est imprimé le visage de Min Ho, l’acteur principal du film. Mais à cause de son emploi du temps, le célèbre membre du groupe de K-pop SHINEE n’a pas pu se rendre au festival de Busan pour présenter le film.

Pour les fans, difficile de réconcilier l’image ultra-cute de leur « oppa » avec la violence de son rôle

Héros dévoué a sa petite amie, il passe l’essentiel du film à se battre avec panache et à tout faire pour la sauver. Personne ne lui aurait posé cette question. En revanche, Kim Jae Youg incarnait un dangereux psychopathe, le « méchant » du film. Pour les fans, difficile de réconcilier l’image ultra-cute de leur « oppa » avec la violence de son rôle.

Les coréens utilisent très rarement leurs prénoms pour se désigner les uns les autres. Ils utilisent le nom de famille suivi en général du job ou de la place dans la famille. « Oppa » est donc difficile à traduire en français. L’usage classique est « grand-frère » mais les Coréennes l’utilisent aussi pour leur petit ami ou un ami proche s’il est plus âgé. Et dans le cas des stars, « tant qu’il est beau, c’est un oppa », dit l’adage.

Le public est tres habitué a ce que leurs idoles ne sachent pas vraiment jouer. Dans les dramas (terme désignant les séries asiatiques), il arrive tres souvent que le casting soit fait pour des raisons marketing. Dans ce cas, c’est la popularité et le physique qui motivent les choix des producteurs plus que leur talent.  

D’ailleurs, debout juste à côté de Kim Jae Young, Lee Yoo Jin n’arrête pas de plaisanter du contraste entre son rôle dans le film et l’image donnée par son agence. Le jeune homme y joue le meilleur ami du héros, un sidekick un peu simplet mais loyal. « Je ne suis pas aussi stupide dans la vraie vie, avertit Lee Yoo Jin bien droit dans son costume en tweed.  Vous avez aussi pu remarquer que me suis beaucoup fait tabasser dans le film… Je ne sais pas me battre. Du coup, je n’ai pas eu à jouer, ça m’est venu naturellement ! »

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Marketing à tout prix

Derailed n’en est pas moins un film intéressant. Réalisé par Lee Seong Tae, il s’agit de son premier long-métrage. Il raconte l’histoire d’un groupe d’adolescents qui vivent à la rue. Ils survivent en volant de petites sommes. Jusqu’à ce qu’une arnaque tourne mal… et que tout déraille. Le quatuor doit fuir, avec à leur trousse le gérant d’un bar de prostituées et une ancienne connaissance tout juste sortie de prison.

Au montage, il a fallu privilégier l’action plutôt que développer l’histoire

Parti avec un petit budget, Lee Seong Tae a réussi à séduire Ma Dong Seok. L’acteur est très populaire et possède une excellente réputation auprès du public coréen. D’ailleurs, la salle éclatait de rire quasiment à chacune de ses scène pendant la projection – même si le contexte était plutot dramatique.  Cette tête d’affiche lui permet de convaincre Min Ho de participer au projet. « J’ai eu l’idée de ce film lorsque j’avais la vingtaine, raconte Lee Seong Tae. Aujourd’hui, j’ai 40 ans. Mais je me demande toujours qu’est-ce qui fait autant souffrir les gens et pourquoi adultes et adolescents dans notre société sont aussi désespérés. »

Le titre coréen, ? ??,  se traduit littéralement par « Deux Hommes ». L’un a 18 ans (Min Ho) comme le réalisateur lorsqu’est né le projet. Le second (Ma Dong Seok) représente l’homme qu’il est devenu depuis. « Le script n’était pas prévu pour un film d’une telle envergure. J’ai laissé les acteurs libres au maximum, ajoute Lee Seong Tae. Je ne voulais pas que l’histoire donne l’impression d’être un film d’adolescent… raconté par un vieux de quarante ans. »

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Le problème est que le film – qui raconte une histoire de larmes et de sang – en est devenu très lisse. C’est une constante qui est souvent revenue dans les films coréens projetés au festival. Excepté dans le cas de films comme Mademoiselle de Park Chang Wook, le cinéma coréen prend, de plus en plus, les mauvaises habitudes d’Hollywood.  Lorsque le casting est composé d’idoles – bons acteurs ou non – la réalisation prend trop de précautions. Les gros plans sur le visage, des héros sur lesquels les traces de sang sont toujours parfaitement bien réparties… tout est trop propre.

Fatal Intuition, de Lee Jun Hyun était projeté dans un autre cinéma de Busan. Sorti en 2015 le film a pour acteur principal, Joo Won. Même s’il est bon acteur et peut jouer des rôles charismatiques (comme dans Gaksital), son physique poupin a, à lui seul, rendu le film trop pur.

Il s’agit pourtant d’un thriller glaçant, entre histoires de fantômes, meurtres et vengeance. Après que sa sœur a été assassinée dans leur maison, il s’allie avec une étrange jeune fille qui a des visions des crimes avant que ceux-ci ne se produisent. À la suite de la projection, le réalisateur avoue qu’il s’agit « d’un film commercial » après une question du public sur l’intrigue. « Au montage, il a fallu privilégier l’action plutôt que développer l’histoire du criminel. »

Une réalité qui laisse Lee Jun Hyun plus résigné que triste.

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Un marché difficile pour la science-fiction

Gagner de l’argent, séduire la foule…  dans le discours, les films coréens ne semblent jamais avoir été réalisés simplement pour l’art. « Il est difficile d’avoir du succès avec un film de science-fiction en Corée, » observe Lee Ho Jae. Il a réalisé Sori : Voice of the Heart, la touchante histoire d’un père qui doit faire le deuil de sa fille disparue il y a près de 10 ans. Il trouve sur la plage un satellite de surveillance de la Nasa avec lequel il va la chercher à travers le pays.

Sori est typiquement l’un de ces films très agréable à regarder où apparaissent des tas de zones d’ombres si on le regarde de trop près. Mais l’émotion et l’humour sont là tout au long du film – au point d’occulter la manière très légère dont est abordé le sujet de la surveillance omniprésente en Corée du Sud par exemple.

Le sujet de la surveillance est occulté

Ka-ri, l’un des personnages, est une jeune femme pleine d’esprit et de dynamisme. Au début du film, elle raconte à son amie qu’elle vient de créer cette nouvelle application qui, si elle est installée sur un téléphone, lui permet d’espionner tout ce que va faire l’autre personne. Elle veut à l’origine s’en servir pour surveiller son petit ami : « Ka-ri est un des gros points faibles du scénario, avoue Lee Ho Jae. Mais je voulais absolument montrer cette scène où elle réalise que trop de surveillance est dangereux. » Il s’agit du seul moment où le sujet de la surveillance sera abordé pendant l’interview.

Pourtant, le robot est un satellite de la Nasa, capable de retrouver toutes vos données simplement grâce à votre numéro, votre nom ou le son de votre voix. Lorsqu’un spectateur curieux demande si le film est un peu politisé, le réalisateur ne répond pas vraiment à la question et recommande plutôt de protéger les enfants et de faire attention à ce que nous postons sur les réseaux sociaux. Un conseil un peu léger quand on sait que les caméras de surveillances sont installées dans tous les recoins en Corée du Sud, y compris à l’avant des voitures.

Impérialisme japonais

Les seuls films commerciaux qui ne donnent pas cette impression sont ceux qui se déroulent à l’époque de l’occupation japonaise. Leur réalisation est très soignée et le message à l’encontre de l’impérialisme japonais très clair. Age of Shadows et The Last Princess sont des blockbusters qui ne cachent pas leur nationalisme. Age of Shadows, avec Lee Byung Hun, et The Last Princess avec Son Ye Jin ne racontent pourtant pas la même période.

Age of Shadows présente la résistance entre explosions, grands étalages de costumes, de décors d’époques et de situations tendues. The Last Princess est plus mélancolique. Il se déroule alors que la princesse Deok Hye (la dernière princesse coréenne) est prise en otage par le régime japonais. Obligée de vivre au Japon, elle tente de redonner espoir au peuple coréen et de retourner à tout prix dans son pays.

Ce n’était peut-être pas la bonne année pour Busan

Mais malgré la violence, les difficultés et le sang, de nombreux films coréens ressemblent de plus en plus à des dramas. Ils racontent des histoires d’amour, se dépolitisent et cherchent à remplir les salles, parfois au détriment des désirs du réalisateur.

Mais peut-être que vu ce qu’est en train de vivre le festival, il était difficile à Busan de penser à autre chose que l’argent

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