The Get Down, la nostalgie sublimée de Baz Luhrmann
https://www.youtube.com/watch?v=nHdPQpf0liI Avant même d'être dévoilée par Netflix, la série The Get Down a déjà fait couler beaucoup d'encre dans les colonnes de Variety.
Ce point de vue, ce fut aussi celui de Netflix qui a tenu à garder le réalisateur de renom malgré les pressions de Sony qui voulait en changer ; le cinéaste était trop coûteux pour les aigris de la société, alliée pour l'occasion au service de SVOD américain pour mettre au monde le show.
Néanmoins, la carrière du Lurhmann n'est pas seulement composée de réussites et les extravagances du monsieur ne sont pas toujours du meilleur goût. Netflix tenait entre ses mains un grand nom avec la signature de Luhrmann, mais n'était pas assuré de s'en tirer avec un chef d’œuvre au bout du compte.
C'est par ailleurs un peu le charme de ce pari, très quitte ou double. En fin de compte, le tournage a été jalonné d'épreuves, de déconvenues et de dépenses, pour une raison qui est rapidement mise en lumière par la série elle-même : le mode narratif, l'esthétisme et la mise en scène sont inédites dans ce format encore jeune que l'on appelle modestement série télé.
Le freak c'est chic
Diffusé à travers le monde ce 12 août, nous avons vu seulement les trois premiers épisodes du show. Soyons clairs : rien que le premier épisode de plus de 2 heures est hors norme. Dépassant très largement les 50 minutes imposées par Netflix, le pilote est en réalité un long métrage esthétique, fleuve, extravagant et immanquablement entrecoupé de plans dont la seule utilité est purement visuelle.
Car Lurhmann n'a définitivement pas choisi de faire du petit écran avec sa série, il ambitionne un format encore inexistant, difficile à cerner entre le clip vidéo, la performance, la comédie musicale et la série télé. À ce titre, on lui donnera raison d'avoir voulu expérimenter avec Netflix, dont la liberté des formats a laissé au maître la latitude suffisante pour exposer son talent.
Mais là où sont les plus grandes qualités du show se situent également ses principales faiblesses. On imagine déjà que la série ne plaira pas unanimement, car dans le fond, peu de films de Luhrmann l'ont fait. Et bien que la présence du cinéaste est tempérée par la présence des scénaristes et d'autres producteurs, The Get Down reste une sorte de manifeste stylistique de Luhrmann. Les deux épisodes qui suivent conservent la patte imposée, le grain, les plans carte postale à n'en plus finir, tout en accélérant le rythme de la fiction, sauvant ainsi le trop ambitieux fantasme du réalisateur.
Car à de nombreuses reprises au fil de ces trois épisodes, le spectateur est laissé pour compte devant ces amoncellement de plans magnifiques, de mises en scènes étourdissantes et de plaisirs, quasi-égoïstes, de Lurhmann qui collectionne, passionné et monomaniaque, les références et les détails d'une époque déchue.
En cela, le show The Get Down doit se regarder pour ce qu'il est : une éblouissante collection de sons et de souvenirs d'un New-York habité par l'âme de la musique, la ville et ses habitants flottant nonchalamment dans une époque trouble et percutée par la crise. Soyons honnêtes quant à la subjectivité de cette critique, votre serviteur a été biberonné à Saturday Night Fever et autres West Side Story, un référentiel que l'on trouve évidemment dans The Get Down.
Passé ce nécessaire disclaimer artistique, l’œuvre se révèle.
Last night a DJ saved my life
La série foisonne de personnages, dont les destins se mêlent, entre gangs, église, voyous à col blanc et petites gens du Bronx, et l'on pourrait s'y perdre. Mais l'écriture reprend si souvent son souffle, que le rythme et la narration s'éclairent au fur et à mesure de l'avancée du show. Et les très bonnes idées qui ont compliqué la production donnent à cette narration son originalité. Sinon, l'intrigue initiale repose sur un amour presque impossible -- Roméo et Juliette hante vraiment Luhrmann -- mais surtout sur une fresque que les Français qualifieraient de naturaliste, par son sens des réalités sociales, ethniques et culturelles.
C'est ce qui sauve la série de ses penchants esthétisants, puisqu'elle se transforme peu à peu en formidable épopée sur la naissance du son. Mais là où Empire (Fox) et d'autres séries musicales récentes s'en tiennent à filmer la naissance providentielle et inexpliquée de la magie musicale, The Get Down plonge la tête la première dans les circonstances qui font musique.
Lorsque l'on s'attache à parler d'une époque où la musique n'est pas une distraction mais le prix de la liberté, c'était selon nous, l’écueil à éviter absolument. Or le show, savant et documenté, pose des mots et des fictions sur la naissance du son. Le disco n'est pas qu'un fond sonore, c'est cette musique ultra-sexuelle qui réconcilie les blancs et les noirs. Le rap n'est pas non plus un prétexte, c'est la voix de ceux qui meurent dans l'obscurité.
Brighter side of darkness
La série se fait dès lors très politique, et son propos est étayé par ses modes narratifs, particulièrement bavards, parfois jusqu'à l’écœurement. En somme, Luhrmann voudrait tout montrer, tout souligner et tout expliquer ; l'implicite n'existe pas pour lui, et cette mauvaise habitude se sent dans son show. Mais si on lui pardonne au profit des qualités documentaires de la série, The Get Down devient une œuvre à part, singulière, précieuse et fascinante, sur laquelle on pourrait disserter des heures durant, malgré ses maladresses.
L'ensemble porté par une foule d'acteurs percutants et vifs finit par être solaire et se détache peu à peu de ses lourdeurs pour s'envoler, le temps de quelques scènes, vers une grâce certaine, comme les séries en proposent rarement. Une élégance inattendue qui s'échappe des séquences trop chorégraphiées et des plans improbables, et qui, en substance, nous rappelle que rien n'est plus sauvage que l’œuvre d'un perfectionniste.
On finira par mentionner bande-originale, costumes et décors dans un même ensemble. C'est évidemment les très grandes qualités de ce show mené par des passionnés. L'univers The Get Down est luxuriant, détaillé, poétique et surtout, empreint d'une authenticité presque stéréotypée, comme muséfiée. Un honneur que la musique noire des années 1970 aura attendu longtemps.
Ailleurs dans la presse
Le Monde : « Baz Luhrmann filme Ezekiel et Mylene comme il filmait Leonardo DiCaprio et Claire Danes dans Roméo + Juliette. »
Les Inrocks : « Pleine de foutoir, spectaculaire et vibrante, [la série] se place constamment du côté des poètes et des orphelins, surpasse ses faiblesses pour créer un monde vivable dans lequel tout glisse. »
Télérama : « Des boîtes disco aux bureaux des hommes politiques locaux, des squats où s'exercent les DJ aux bancs des églises, la série peint un monde fantasque, haut en couleur. »