En 2016, Steve Jobs est encore au cinéma. La première fois n’était pas la bonne, mais nous avons laissé sa chance à la deuxième.

Vous souvenez-vous du film sur Steve Jobs avec Ashton Kutcher dans le rôle principal, nommé sobrement Jobs et sorti en 2013 ? Nous non plus. En France, le film a débarqué en plein mois d’août et est passé tellement inaperçu qu’à la rentrée, il avait déjà déserté la plupart des écrans. Et pourtant, ce n’était pas n’importe quel biopic, mais l’histoire du fondateur de la firme la plus riche de l’Histoire, qui a amené au monde, entre autres, l’iMac, l’iPod, l’iPhone et l’iPad.

Steve Jobs a, comme on dit, le cul entre deux chaises

Trois ans après cet échec, on nous ressert une petite tournée de Steve Jobs en nous promettant que cette fois, ça y est, c’est la bonne : Sorkin au scénario, Fassbender dans le rôle principal, Rogen et Winslet complètent le trio d’acteurs et l’oscarisé Danny Boyle à la direction. Si cela n’avait pas fini de nous convaincre, on nous affirme que le scénario est adapté de l’excellente biographie de Walter Isaacson. Un cocktail de luxe… pour un film profondément inutile.

Capture d'écran de la bande-annonce de Steve Jobs

Viré

Au fond, Steve Jobs n’est pas un mauvais film. On passe un bon moment et les deux heures que fait le long métrage passent très vite malgré l’audace de Sorkin qui a choisi de couvrir uniquement trois préparations à trois keynotes essentielles dans la vie de Jobs : celle du Macintosh, celle du NeXT et enfin, celle de l’iMac. On est plongé trois fois dans la tension d’une préparation à un événement majeur dans l’histoire d’une société, qu’il soit tragique ou annonceur d’un renouveau.

À cela s’ajoutent les problèmes et défis personnels de Jobs : sa lutte contre sa mégalomanie, sa relation épouvantable avec la fille qu’il ne voulait pas reconnaître, sa rivalité teintée d’amour sincère avec Wozniak, sa reconnaissance envers Joanna Hoffman qui semble être la seule personne à le supporter et le soutenir ou encore, sa position difficile vis-à-vis de Sculley, l’homme qui l’a tour à tour sauvé et viré.

Et pourtant, tout cela ne suffit pas, parce que ce Steve Jobs, a, comme on dit, le cul entre deux chaises. Le choix de Sorkin de se concentrer sur la préparation des keynotes est audacieux et demande une maîtrise parfaite du non dit, voire de la théâtralité ou une capacité à créer la surprise par une réalisation qui n’est pas évidente. Boyle, au contraire, nous sert une soupe convenue avec un niveau de pathos et de plans faciles qui tournent souvent au ridicule, petite musique aux violons inclue.

Steve Jobs, un film romantique ?

On a la structure d’un film qui pourrait prétendre apporter une œuvre nouvelle avec un parti pris radical au cinéma et on se retrouve avec une réalisation et un montage digne d’une comédie romantique médiocre. Les acteurs sont bons et les situations restent touchantes, mais on reste dans la facilité d’un film très grand public qui avait les fondations pour être un film beaucoup plus ambitieux.

Et si être grand public n’est pas un problème de manière générale, dans ce cas précis, cela devient extrêmement pénible. Encore une fois, le film est partagé entre deux extrêmes et n’arrive pas à s’imposer : il est tourné sans audace et semble donc s’adresser à tout le monde, mais si vous ne connaissez pas l’histoire d’Apple un minimum, vous manquerez à coup sûr des tas de choses.

Un film qui manque de tout pour plaire à tout le monde

Le choix scénaristique de se concentrer sur l’avant keynote ne laisse entrevoir l’après keynote que dans des séquences d’archives mal montées et vite expédiées, mises là pour combler les trous du scénario. Elles sont suffisantes pour rafraîchir la mémoire de celui qui connaît bien Apple mais trop peu fournies pour le spectateur que semble viser le film. Impossible de comprendre le personnage de Steve Jobs — et l’évolution d’Apple — en résumant 10 ans de sa vie en 30 secondes de coupures de Macworld et du Time. Et ce n’est pas la relation avec sa fille, le prétexte à faire lâcher une petite larme qui ne fonctionne pas tant les scènes tournées débordent de niaiserie, qui vous donneront les clefs pour comprendre la relation fucked up d’un Jobs avec le concept de parent.

stevejobs-boyle

Alors quoi, le film s’adresserait-il à ceux qui connaissent déjà dans ses grandes lignes le scénario ? Manque de chance, Boyle rate encore son coup : si vous connaissez un peu Apple et Jobs, vous n’apprendrez rien. Vous savez déjà quel genre d’homme il était parce que vous avez lu Isaacson, vous connaissez sa relation avec Wozniak et avec sa fille Lisa, vous vous souvenez de NeXT et le rôle de Joanna Hoffman ne vous est pas inconnu. Vous savez qu’il était aussi mégalo, froid et calculateur qu’il était un grand commercial et un visionnaire, chef d’orchestre plus qu’artisan. En sortant de la séance, vous ne saurez rien de plus et le lendemain, le film sera déjà brouillé avec votre connaissance personnelle et antérieure de la marque et du personnage.

Voilà pourquoi Steve Jobs est inutile. Ce n’est ni un grand film, ni une bonne biographie, ni un document d’information pour les connaisseurs, ni un parcours d’initiation pour les néophytes. Les nombreux compromis en font un film qui manque de tout, qui plaira globalement à tout le monde et ne restera dans l’esprit de personne.

 

Et pour bien commencer la semaine


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