Dans Grandes oreilles et bras cassés, Jean-Marc Manach raconte l’affaire Amesys et le scandale des outils de surveillance massive vendus aux dictatures, désormais utilisés également en France.

Jean-Marc Manach est un journaliste incontournable pour qui s’intéresse aux sujets du renseignement et de la protection de la vie privée, dont il est devenu l’un des plus grands spécialistes en France. Il est en tout cas sans doute le journaliste le plus sérieux sur ce sujet. C’est donc avec une curiosité certaine que nous avons reçu sa bande-dessinée éditée par les éditions Futuropolis, « Grandes oreilles et bras cassés ».

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À travers les 120 pages illustrées par le coup de crayon de Nicoby, Manach raconte dans le détail l’affaire Amesys, du nom de l’ancienne filiale de Bull — devenue depuis une entité autonome établie à Dubaï mais toujours sous contrôle français, accusée d’avoir vendu des outils de surveillance massive au régime de Mouammar Khadafi, pourtant connu pour commettre des exactions à l’encontre de son peuple. Il montre les dessous de cette affaire  les complicités politiques réelles ou soupçonnées, qui ont facilité les transactions.

Les lecteurs découvrent dans cette BD une histoire souvent absurde et incroyablement cynique, mêlant Pieds Nickelés (on devine que l’expression aurait pu être celle du titre si elle n’avait pas posé un problème de droits) et corruption politique, où la fourniture d’outils de surveillance de la population est vécue par ses acteurs comme un business ordinaire. Ou plutôt était.

Car l’histoire parfois comique tourne au tragique, comme l’a confirmé l’ouverture à Paris d’une enquête préliminaire pour complicité d’actes de torture en Libye, et le nécessaire changement de régulation qui ajoute quelques complications administratives à l’exportation des outils d’espionnage.bd2

Chose originale, l’auteur raconte les faits à travers l’enquête qu’il menait alors pour feu OWNI, ce qui a le double intérêt de présenter la sinistre histoire d’Amesys au lecteur, tout en racontant comment se fabrique une enquête journalistique de qualité à partir d’un tuyau qu’il faut vérifier et étayer, en profitant également du travail
des confrères. Le procédé permet aussi à l’auteur de dépasser la seule affaire Amesys pour parler de la loi Renseignement adoptée en France, y livrer son point de vue sur l’excès de « paranoïa ambiante » qui aurait remplacé l’excès d’indifférence, ou de s’attaquer durement à la rédaction du journal Le Monde, accusée de monter en épingle des scoops qui n’en sont pas, voire de trahir des faits pour les rendre plus spectaculaires qu’ils ne le sont.

Le résultat d’ensemble est excellent, avec de très nombreuses informations distillées dans un « scénario » passionnant, même pour qui connaît déjà les grandes lignes de l’affaire. Le tout est même soutenu avec une documentation finale qui démontre à qui en doutait que tout ce qui est raconté est vrai.

Le seul reproche que l’on pourrait adresser est dû au procédé narratif utilisé, qui met peut-être trop en lumière le talent d’un Jean-Marc Manach qui en devient, dans la bande-dessinée, parfois vaniteux. On est même un brin gêné pour son confrère Olivier Tesquet, qui revêt pour l’occasion les habits de l’ignorant à qui Manach doit tout expliquer (puisqu’à travers Tesquet, c’est au lecteur que Manach s’adresse).

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« Grandes Oreilles et Bras Cassés » (éditions Futoropolis, sorti le 20 août 2015, 120 pages)


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