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Et si le vrai programme d'Emmanuel Macron, c'était le big data ?

Commentateurs et citoyens se souviennent-ils que le programme du favori de la Présidentielle française est une recette inédite ? Entre big data, sondages, algorithmes et consensus, Emmanuel Macron n'est pas le candidat d'un projet mais celui d'une méthode. 

Mais qui est donc Emmanuel Macron ? Longtemps jeune premier d'une gauche libérale enfin assumée, prêt à revendiquer des positions radicalement progressistes et guidé par un haut sens moral, le Macron qui courtisait les cercles élyséens n'a pas grand chose à voir au candidat qu'il est devenu. Rarement clair, souvent contradictoire, M. Macron, une fois candidat, semble incarner un produit politique sans relief, prêt à tout pour être d'accord avec tout le monde.

Le cerveau d'une gauche morale et libérale

Le tout Paris le jugeait intellectuel il y a encore quelques années, profond, et surtout passionnément idéologue. Collaborateur de Ricoeur et proche de François Hollande, fin social-démocrate et cerveau droit de la gauche française, le jeune Macron représentait l'irruption d'une figure intello dans un système social-démocrate en perdition.

Alors qu'il occupait, dans le confort du château présidentiel le rôle de secrétaire général du Président, le haut-fonctionnaire distillait ses bons mots, à ses amis et aux rares journalistes qui s'intéressaient à lui, toujours emprunt d'un sens politique évident.

Lorsqu'il rejoint Bercy, il organise, au détour de ses réformes, des sessions publiques où il raconte, se passionne lui-même, déroule, logique et solidement référencé, sa vision de la social-démocratie. Des expressions à fortes résonances conceptuelles apparaissent ainsi au gré de ses diverses interventions : l'acquisition de droits nouveaux est une « étoile morte » de la gauche, le manque d'idéologie est le mal de notre siècle, la société des statuts dans laquelle nous vivons depuis le Conseil National de Résistance nous prive d'une liberté nouvelle et enfin -- surtout -- la République autoritaire est un credo inutile.

C'est notamment sur cette question qu'il vient s'opposer remarquablement à Manuel Valls, tenant d'une ligne conservatrice et autoritaire dans la séquence difficile qui suit les attentats sur notre sol. Le premier ministre explique alors -- sans se soucier du non-sens -- que l'étude du contexte social, psychologique et économique d'un jeune terroriste est inutile, voire néfaste puisque « expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser. »

Une vision absurde dans laquelle la justice comme la République n'ont qu'un rôle : sanctionner. Le ministre de l'économie se montre lui plus fin, et surtout plus cohérent avec un logiciel social-démocrate accompli.

M. Macron note alors devant un think-tank libéral, à quelques jours d'écart de la déclaration de son Premier Ministre : « Le terreau [du terrorisme] ? Les injustices, les discriminations et surtout l'échec de la mobilité sociale. Nous sommes dans une société toujours endogame où les élites se ressemblent de plus en plus et ferment la porte. Lorsqu'on étouffe la société, on nourrit l'amertume, l'exclusion et, au bout du compte, la folie totalitaire. Notre premier devoir, ce n'est donc pas seulement de prendre des mesures sécuritaires, mais d'ouvrir la société, sinon elle ne tiendra pas. »

Implacable, lyrique et moralement solide, la position Macron est nourrie de sociologie mais également de nuances. En fait, avec du recul, il reprend à ce moment le flambeau de la morale d'une gauche qui s'apprête à se suicider avec la déchéance de nationalité. S'il ne suivra pas Christiane Taubira vers la sortie, il ne pardonnera jamais ce qu'il appelle, avec ses proches, la République punitive que propose Valls.

De contradictions en consensus permanent

Et pourtant, au printemps 2017,  à la lecture du programme du Macron désormais candidat, la République punitive longtemps dénoncée semble être revenue en force. Empruntant au FN et à l'ancien maire de New York, Giuliani, la notion de tolérance zéro pour la petite délinquance, l'ancien élève de Ricoeur se montre désormais moins solide sur ses positions morales en matière de justice, qui vont souvent jusqu'à la contradiction. Sur le terrorisme, il devient particulièrement difficile de distinguer ce qui s'approcherait d'une politique alternative à celle menée par M. Valls.

Libéral jusqu'au bout des ongles Macron ? Peut-être, mais étrangement effacé sur la question du libéralisme moral qui, pourtant, était très lié à sa personne avant qu'il ne devienne candidat. Exit la légalisation du cannabis, exit la remise en cause de l'État d'urgence : le libéralisme Macron est de situation. Tout comme ses convictions qui semblent se plier aux aléas des sondages.

Mais dans le fond, plutôt que de maugréer sur les flux et reflux idéologiques d'un homme, nous nous interrogeons plus simplement : pourquoi M. Macron n'est pas le candidat de sa fibre idéologique si longtemps défendue ? Car, au-delà de sa sensibilité social-démocrate, le jeune politicien est avant tout un entrepreneur qui semble concevoir sa course présidentielle comme l'on imagine une stratégie de commercialisation.

Et la vraie pierre angulaire de son programme n'est ni son libéralisme, ni ses valeurs, ni même sa tête bien faite et bien remplie, mais bien la big data. Ce nom barbare qui désigne rien de précis vient ici rappeler que la recette du programme Macron est avant tout algorithmique.

Celui qui n'était encore que Ministre lançait à l'été 2016 Une Grande Marche pour collecter des données sur plus de 100 000 français volontaires. Cette enquête d'opinion géante, portée par 4 000 bénévoles, réalisée en porte-à-porte, a accouché sur une des plus belles chimères mathématico-politiques jamais inventée : un générateur de consensus.

Ni focus group, ni sondage : les questionnaires des marcheurs avaient été pensés par la startup Liegey-Muller-Pons et analysés par Proxem, startup experte en analyse sémantique de big data textuelle -- en bref : capable de discerner les tendances de fond dans des milliers de témoignages. L'objectif est clair pour la startup et pour En Marche ! : identifier les problèmes concrets que dit rencontrer tel ou tel bassin de population et fournir une cartographique des préoccupations des Français.

Cela pourrait apparaître comme l'immersion tant attendue de la civic-tech dans la politique française, un nouveau moyen de prendre le contact avec les citoyens, d'établir un diagnostic, comme le répétaient les marcheurs : faire de la politique, en somme. Cela aurait dû être une occasion, inespérée, de dépasser l'idée d'une politique de l'offre, qui imprime sur la réalité un imaginaire, dévergondant les débats et le réel, et empêchant depuis plus d'une décennie d'aborder l'élection présidentielle avec la maturité d'une démocratie moderne.

Mais comme piégé dans le carcan de cette élection où se succèdent les non-sujets, les scandales et l'idée, jamais morte depuis Bonaparte, qu'un seul homme porte à lui seul l'espoir d'un peuple entier, Macron utilise sa machine politique pour forger du consensus mou. Naviguant à vue dans ses profilages électoraux, le candidat parle à la France comme un VRP s'adresse à sa cible, en présupposant ses besoins et ses envies plutôt qu'en les abordant avec justesse et constance politique.

L'instabilité de l'homme devient une sorte de reflet de ce que pourrait être une gouvernementalité algorithmique dans l'espace de non-démocratie qu'est la Ve République : une idée peu flatteuse de la vie de la cité dans laquelle chacun, ciblé comme l'est le poisson par la mouche, viendrait distribuer son vote au plus malléable des candidats.

Pour Antoinette Rouvroy, chercheuse au Fond National de la Recherche Scientifique Belge, cette fameuse gouvernementalité algorithmique se résume à un paradoxe intéressant : « Enregistrer des données, ce n’est pas encore écouter la personne. » Emmanuel Macron écoute-t-il vraiment la France ?